TOUTES
LES ROUTES MENENT A KATHMANDU
PREMIERE PARTIE : DALI-TANG ME
Je demande
bien pardon à mes centaines de millions de lecteurs (par semaine ; par an,
je compte en giga-lecteurs), mais j’ai choisi d’indiquer la plupart des noms
de lieux en utilisant la toponymie tibétaine ; non que je sois un acharné
de la cause tibétaine face à ces affreux envahisseurs de Chinois, mais c’est
tout de même le respect minimum que doivent les voyageurs aux habitants
(premiers !) de ce pays dont ils apprécient les paysages, la gentillesse générale
et l’héritage culturel (j’en entends ricaner : « t’avais qu’à
utiliser aussi des caractères tibétains, banane ! »). Ça m’agace
de voir des gens, voir des guides touristiques, soutenir à longueur de pages la
cause tibétaine (certes juste, parmi hélas tellement d’autres), et les voir
utiliser à tour de bras la toponymie imposée par les Hans. Ca me fait penser
à ces écolos-fleur-de-peau qui critiquent le nucléaire et ses risques, et
conduisent une bagnole polluante, bagnole qui fait jusqu’à présent plus de
morts que le nucléaire, Tchernobyl compris. Déjà, pour être écolo, faut au
moins faire du vélo ou de la marche à pied (les trottinetteurs sont admis au
club, les surfeurs ont le statut d’observateurs). C’était la rubrique
« redresseur de tort, j’ai toujours raison ».
Si j’y
pense, j’essaierai de faire suivre du nom chinois, histoire que mon immense
lectorat ne soit pas tout à fait paumé, en entendant parler de Tramog au lieu
de Bomé, Péma au lieu de Baxoi, etc. Mais vous savez, je suis si étourdi…
Finalement, la plus belle vue de mon séjour en vélo sur le Toît du Monde
pourrait bien être …le magnifique looping aérien offert par le vol
Kathmandu-Hong Kong au-dessus de l’ancienne colonie britannique : on
survole d’abord Macao, puis le sud de l’Ile de Hong Kong, on amorce un
virage au zénith de Kowloon et Shatin, pour aller se poser sur l’Ile de
Lantau, à une trentaine de bornes de l’agglomération-boites à sardines.
Dans le même genre, la seule fois où j’ai franchement pu voir l’Everest,
ce fut au début du même vol : les nuages de mousson couvraient quasiment
tout le Népal, laissant percer de ça de là les sommets de plus de 8000 –
8200 m : l’Everest dansant au-dessus du coton. En ce mois de juin, il était
exclus de l’apercevoir depuis le sol népalais, et difficile côté tibétain,
même fin mai.
Bon, assez parlé avions, causons choses sérieuses : un Dali (Yunnan,
Chine) – Lhasa (Tibet, colonie chinoise) – Kathmandu (Népal) en deux mois
à dos de vélo – le chameau étant SUR le vélo, et absolument pas sobre en râleries
et injures de toutes sortes à l’encontre de l’état des routes, des rêgles
édictées par les autorités chinoises, de la météo, bref du monde entier et
de ses annexes sur les galaxies lointaines. Ça aide à maintenir un taux
correct d’adrénaline sans lequel il n’est nul voyage à vélo possible.
Les 500 premiers km, pas de problème majeur : routes de montagne
bonnes et tranquilles, à tel point que j’ai fini par quitter le rassurant
goudron entre Lijiang et Zhongdain, pour goûter en avant-première les joies de
la piste tibétaine. Car le Tibet (TAR, Région « Autonome » du
Tibet, aux limites décrétées par l’Empire du Milieu) n’est pas tout le
Tibet, loin s’en faut : il vit même plus de Tibétains sur les pourtours
de cette « TAR », et cela n’a rien à voir avec les réfugiés au
Népal ou en Inde. Simplement, les régions est du Tibet sont moins arides et
plus cultivables que le Tibet que nous connaissons.
En fait, la route vers le Tibet se corse au-delà de Deqên (Jol, en bon tibétain),
dernière ville du Yunnan, accesible après le premier col à plus de 4000 m,
dans un magnifique paysage enneigé ; à une centaine de kilomètres
commence la Région Autonome, là où les Etrangers doivent montrer patte verte
(dollars) pour entrer, et encore : en groupe ou pseudo-groupe. Pour ceux
qui auront répondu : « à vélo en individuel », mauvais point
et retour à la case départ. Un touriste seul, c’est déjà suspect au Tibet,
alors se déplaçant par ses propres moyens, pour la police c’est l’espion
ou l’émeutier rêvé, ou plutôt cauchemardé. C’est bien de la paranoïa
de police chinoise (en tout cas des hauts gradés), car je soupçonne la grande
majorité des voyageurs, tout en étant sensible à la cause tibétaine, de ne
pas vouloir se mettre dans un mauvais cas en en faisant plus. Ma naturelle
couardise me place dans cette majorité. Après tout, dans la gradation de
l’horreur, il y a hélas bien pire, et pas toujours très loin : la junte
birmane, par exemple, dans un pays où les touristes se précipitent par mimétisme,
certains même avant ou après le Tibet, après avoir conspué l’autoritarisme
chinois…
Toujours est-il qu’après avoir sillonné internet de long en large pour pêcher
des infos, j’avais pu situer les checkposts et points dangereux présumés, à
franchir nuitamment ou à l’heure du coq ou du laitier – la malchance
voulant que dans le secteur il n’y a ni coq ni laitier. Le monde est mal fait
mais l’alarme de ma montre en parfait état de marche, Dieu a pensé à tout
en créant le quartz.
C’est donc dans des
conditions
semi-rocambolesques que je franchissais le premier checkpost, deux
cyclos Français me suivant à une douzaine de jours d’intervalle
m’affirmant, eux, être passés en plein jour sans problème ! Sans doute
à l’heure de la sieste… Par contre, celui à la sortie de Gartok (Markham),
je ne m’y attendais pas. La fortune souriant aux audacieux, et encore plus aux
innocents, je le passais sans encombre,
tandis que mes suiveurs ont connu des sueurs froides dans le bourg lui-même,
questionnés par la police.
Si le paysage
était superbe avant et après Deqên (sommets à plus de 6000, pentes largement
couvertes de neige en ce début avril) et jusqu’au premier col après le
checkpost, il redevient plus banal autour de Gartok (Markham). Pour tout
arranger, des gosses de l’autre côté de la rivière me jettent des pierres !
Surtout, la piste n’est pas excellente, loin s’en faut, notamment dans la
longue descente après le col suivant Gartok. Des travaux de terrassement
intermittents sur une trentaine de kilomètres (longueur moyenne d’un chantier
routier chinois) laissent augurer un peu de goudron…d’ici une demi-douzaine
d’années ?
Du reste, sur cet axe Yunnan et Sichuan – Lhasa, le goudron progresse de
chaque côté des chefs-lieux de comté, parfois jusque sur 60 km ! La
Chine semble vouloir impulser l’amélioration des conditions de transport au
Tibet et dans le Xinjiang (la partie de l’Asie Centrale colonisée par la
Chine), avec la très probable arrière-pensée de mieux tenir encore ces
« provinces autonomes ». Même le projet, abandonné un temps,
d’une liaison ferroviaire Golmud-Lhasa semble bien être relancée sur les
rails.
Le premier col à plus de 5000 m me guette bientôt au détour d’un
virage. En fait, avec le vent me poussant gaillardement, ce ne sera quasiment
qu’une formalité. Le surlendemain, à 4000 m d’altitude, après avoir dormi
sous un pont, je me réveille dans un paysage d’hiver : tout est blanc,
et mon précédent col à 5000 m doit être obstrué…pour quelques heures à
peine. A ces altitudes, il a tôt fait de neiger plutôt que pleuvoir, mais le
soleil a tôt fait de faire le ménage.
C’est pourtant quelques jours plus tard, après avoir ramé durant deux
jours contre un fort vent de face, que je découvre la partie la plus « alpine »,
voire norvégienne du parcours : au pied de la descente d’un énième col
à plus de 4000, la glace s’accroche aux parois des gorges, tandis qu’il
neige. Le lendemain, avec le beau temps revenu l’après midi (avec des
bourrasques de neige le matin), c’est plus beau encore : Rawok est une région
de lacs aux allures de fjords, et je décide de « gaspiller » une
journée à monter sans sacoches jusqu’au col de Doma. Celui-ci n’est
pourtant « pas bien haut » : moins de 4800 m, quasiment le
plancher des vaches ici, mais en cette mi-avril, c’est le chasse-neige qui
maintient cet axe stratégique ouvert : piste en cul-de-sac vers une frontière
indo-chinoise disputée. Les murs de neige dominent parfois la piste de 2 ou 3 m
de hauteur ; durant une dizaine de kilomètres, seul le ruban marron de la
piste fait tache sur la neige qui, une fois de plus, a lavé plus blanc le
paysage. Vous m’en mettrez deux barils, c’est pour venir à bout de ces cols
rebelles.
La superbe mais rude série de cols depuis Zhongdian m’a bien fatigué. Ça
tombe bien, la vallée de Rawok à Tramog (Bome) puis Tang-me se prête
parfaitement au camping sauvage : rivière torrentueuse, bosquets, forêts,
très peu de hameaux, souvent concentrés et concentrés sur l’élevage du
bois en batterie industrielle (on ne dénoncera jamais assez les atteintes aux
droits des arbres, victimes du stress – à quand la maladie du platane fou ?),
bref un petit coin des Alpes. Dire qu’il faut aller si loin pour enfin
retrouver ce qu’on a chez soi ! Le dépaysement c’est bien, à
condition de retrouver ses bons vieux repères.
Vers Tang-me, je ferai connaissance avec un climat quasi-tropical, avec même
en prime, recueillis précieusement par mes chevilles dans l’herbe grasse, des
tiques…et des sangsues ! Je ne suis plus guère qu’à 2000 m
d’altitude, pour ainsi dire dans les entrailles de la Terre. A ce niveau, ce
n’est plus guère ce peuple élevé que forment les Tibétains qui vivent ici,
mais des Chinois Hans, importés de leurs pauvres rizières natales, qui
s’accommodent de ce climat à l’indienne.
DEUXIEME PARTIE : TANG ME-KATHMANDU
Rude remontée vers un pourtant « modeste » col à 4500 m, qui débouche
sur le vaste bassin du Tibet Central, avec pour centre Lhasa et pour périphéries
Shigatse, Tsetang et Bayi. Bayi est probablement, après Lhasa, la deuxième
ville chinoise au Tibet. Bien moins peuplée que Shigatse ou Chamdo, cette ville
ayant pour origine une garnison (ba = huit, yi = un, soit le 1° août, date
patriotique chinoise) s’est développée à une altitude propice pour la
culture sous serre. Reconnaissons aux Chinois ce mérite : ils ont su
mettre en valeur la zone…pour le profit quasi-exclusif des Hans, évidemment.
A la lecture de témoignages, et la rapidité avec laquelle les policiers
semblaient leur mettre la main au collet des Etrangers, je me disais que la
consigne avait dû être donnée à tous les commerçants de la ville
(essentiellement chinoise) de signaler à la police tout individu louche traînant
d’échoppe en échoppe, à la recherche d’un indispensable produit
occidental : du style « parmi eux, il y a sûrement des espions à la
solde des envahisseurs Indiens ou Vietnamiens (pourtant, personnellement,
j’imaginerais très bien le Laos envahir la Chine), alors téléphonez-nous
immédiatement ».
Bref, mon extrême, voire excessive prudence (deux Français sont passés à
vélo à Bayi 2 semaines après moi, en plein jour, sans aucun problème), qui
m’avait jusqu’alors fait passer le plus souvent les modestes « capitales »
de comté au petit matin, me disait d’en faire largement autant à Bayi. Ce
serait donc vers 5h30, soit une bonne heure avant même le lever du jour. Par
contre, le jour n’était pas le mieux choisi : dimanche matin. Et alors
que je me voyais ne croiser personne sur les 11 km me séparant de la ville, ce
fut un festival : d’une part, la noria de taxis ramenant les fétards
Chinois du karaoké vers le bourg proche de Nyingchi, d’autre part les
chargements fantomatiques, non éclairés, des paysans Tibétains partis très tôt
à pousser leur tricycle ou leur charrette à bras, pour arriver au marché
avant l’aube.
Deux mondes qui se croisent, se côtoient, qui finiraient par faire penser
à la société à deux vitesses qui caractérisent de plus en plus nos sociétés
occidentales. On pourrait aussi songer à l’apartheid, tel que celui pratiqué
en Israël à l’égard des citoyens Arabes, ou pire, aux citoyens de la
Palestine occupé…Le plus fort est que, dans la matinée, à 42 km de Bayi,
une jeep de police me double sans rien dire ! A vrai dire, c’est un des
mystères du Tibet interdit : vous pouvez croiser plein de flics sur la
route, ils ne s’arrêteront généralement pas. Allez passer la nuit dans un hôtel
du chef-lieu de comté, et vous risquez leur visite. La première explication
pourrait être : « vous ne faites que passer, allez vous faire pendre
ailleurs, loin de notre bourg où nous ne pouvons ignorer si vous vous êtes arrêtés
pour la nuit ». L’autre explication, qui n’infirme pas la première,
est qu’en fait il n’y a souvent que le grand chef de la police du bourg, éventuellement
son adjoint, qui connaissent et cherchent vraiment à faire appliquer la loi
dans toute sa rigueur. Les sous-fifres s’en fichent, ne parlant que le chinois
et se voyant donc en peine d’appréhender des touristes, qui de plus leur sont
souvent sympathiques. En tout cas, j’en suis à une quinzaine de voitures de
police m’ayant croisé ou dépassé, et aucun n’a jugé charitable de me prévenir
que j’étais dans une dangereuse zone interdite pour Occidental. Mais que fait
la police ?
Commence un bel asphalte sur les 400 km séparant cette ville chinoise de
la grande ville plus tellement tibétaine de Lhasa.
Il ne manque que 11 km de goudron de part et d’autre du dernier col, à
5020 m ! Seule l’Inde fait mieux, en ayant quasi intégralement revêtu
l’axe Manali-Leh passant à plus de 5 300 m, et même la montée et la
descente du Khardong La (5 600 m) vers la Vallée de la Nubra, où il ne manque
que 3 ou 4 de (grossier) goudron. Mais comptons sur le dynamisme chinois pour
rattraper ce retard sur tous les grands axes tibétains d’ici une quinzaine
d’années…Abordé après un mois de vélo, Lhasa apparaît comme un superbe
but de pèlerinage à l’occidentale (qu’est-ce d’autre, un voyage à vélo,
qu’une forme de pèlerinage ?), nettement plus passionnant que de payer
fort cher un voyage en groupe depuis Kathmandu, Golmud ou Chengdu, qui fait débarquer
sans transition à ce qui devrait être un point d’arrivée, et non un point
de départ.
Après quelques hésitations et devinant que la suite du voyage ne
saurait être aussi belle, j’opte pour Lhasa-Kathmandu. Pourtant, j’étais
tenté pour un Lhasa-Chengdu par la piste du nord. Mais voilà : intoxiqué
par l’endoctrinement subi par les candidats au voyage au Tibet (un
endoctrinement occidental bien plus efficace que n’importe quel lavage de
cerveau chinois), je voulais faire Lhasa-Kathmandu, quitte à être déçu. Je
n’ai pas été déçu. Mais pas été transporté aux anges non plus : à
part la joie, infinie vous en conviendrez, d’ajouter quelques cols
de plus au-dessus de 5000 m d’altitude à ma collection, cette route offre
un intérêt moyen. Il est vrai que j’ai pris, entre Lhasa et Shigatse, la
piste du nord, qui reste mieux que la route centrale, mais est certainement
moins belle que la piste du sud, via Gyantse. Shigatse est le seul endroit au
Tibet où l’on peut obtenir un laissez-passer quasiment inutile. C’est
aussi un excellent endroit pour se faire repérer. Après Shigatse, comme
disait notre ami Coluche, « n’y allez pas, y’a rien à voir, c’est
une escroquerie ».
Sauf peut-être si, à la sortie de Shégar, vous optez pour la piste du
camp de base de l’Everest, piste que j’ai fait en compagnie de Antoine et
Benoit, deux cousins réalisant un Tour du Monde en un an, et qui m’ont
rattrapé à la faveur d’une journée de repos octroyée à mes muscles et à
ma gorge. Du Pang La (cling ! et un col de + de 5 000 en plus dans le
tiroir caisse !), vue sur l’Everest. On le devinera plus qu’on ne le
verra, entre les nuages qui n’arrêteront pas de s’amonceler de la journée
sur la chaîne encore lointaine. Belle récompense tout de même, après ce qui
sera pour moi la montée la plus rude (même la montée au monastère de Ganden
fut moins dure).
Par contre, au lieu d’aller jusqu’au camp de base, lassés aussi par
un vent girouette violent qui changeait de direction toutes les deux heures
(montre en main !), nous avons décidé d’écourter l’excursion, et opté
pour une piste rattrapant Dingri 15 km avant le monastère de Rongbuk. Le flair
de Benoit nous permit de trouver du premier coup l’amorce peu évidente de
cette piste…qui débouche sur un gué profond et violent. Il nous fallut une
heure pour passer nos vélos en plusieurs morceaux (un voyage par couple de
sacoches), les pieds et les jambes mis à vif par l’eau glacée. Il nous
fallut le reste de la journée pour récupérer de ces efforts, et de ceux
fournis depuis Lhartse, deux cols à plus de 5000 m et surtout le vent de face
travaillant en journée continue.
Cette pause nous confrontera à deux événements : le premier, une
jeep d’un convoi, calant en plein milieu du gué, et il faudra l’arrivée
d’un deuxième convoi, pour avoir une corde salvatrice permettant de dégager
le véhicule. En attendant, peu à peu, un Américain viendra se tremper dans
l’eau jusqu’au haut des cuisses pour essayer de désembourber la jeep, puis
deux, puis trois, puis etc. L’autre événement, moins drôle, fut la traversée
du gué en fin de journée par deux carrioles tibétaines, tirées chacune à
l’arraché par un pauvre cheval malingre, tirant sur tous ses muscles pour réaliser
l’exploit quotidien, avec les Tibétains restant avachis sur le chargement au
lieu d’alléger la charge en traversant à pied. Au sortir du gué, les Tibétains
essaient de me voler une paire de chaussettes mise à sécher sur le
porte-bagage arrière, tels des gosses ! A leur décharge, c’est l’un
des coins les plus miséreux du Tibet, et c’est au même endroit que passent
les touristes les plus fortunés, dont ceux partant pour les expéditions vers
l’Everest. Vous devinez bien que ces pauvres miséreux entendent bien circuler
des sommes qui, même s’ils ne savent pas qu’en plus 1 $ = 8 yuans, leur
semblent astronomiques.
Le vélo est souvent, dit-on, un merveilleux passeport pour établir le
contact avec les gens d’un pays ; c’est surtout le seul touriste aisément
accessible (surtout pour les gosses) pour quémander ce qu’ils ne peuvent
demander aux jeeps – dont les occupants sont pourtant généralement les
premiers responsables de dons stupides autant que nuisibles de stylos, piécettes
ou bonbons, qui ne peuvent qu’amener à un esprit d’assisté sans rien
changer à la condition de ces gens.
Bon, je cause, je cause, mais la frontière népalaise approche. Avant le
poste frontalier, un dernier checkpost à l’entrée de la dernière petite
ville chinoise, destiné à coincer les non-possesseurs de l’Alien Travel
Permit.
Nous sommes passés, preuve que les flics Chinois ne sont pas tous des
ordures, loin s’en faut. Vu le nombre d’entre eux qui auraient pu nous
coincer, ou au moins nous faire cracher au « backshinet » depuis
deux mois d’illégalité, tout les Chinois ne doivent pas être des crapules,
contrairement à une légende tenace qui semble circuler parmi les voyageurs.
Mais il semble être tellement de bon ton, voire à la mode de dire que les
Chinois sont tous désagréables, et les flics encore pire…
La piste, depuis qu’elle soit sous les 3000 m, est surtout bien exposée
aux pluies de mousson, et est dans un état déplorable. En ce tout début juin,
nous avons la chance de passer dans les derniers jours où elle peut encore se
rouler, avant deux ou trois mois de quasi-interruption : à partir de
mi-juin, la mousson se déclenchera, lessivant tout sur son passage.
Nous arrivons surtout en plein deuil national, la Royal Family venant de se
faire massacrer à la sulfateuse dans des conditions restées mystérieuses. Une
probable affaire de palais, dont les royautés sont coutumières dans tout les
pays depuis des siècles. Voilà qui va contribuer un peu plus à stabiliser un
pays croulant sous la misère, l’anarchie, une natalité galopante et la
mousson. C’est à Kathmandu que nous tombons sur trois autres cyclos Français :
Fadila et Fabrice, qui sont partis depuis 8 mois pour un tour du monde
tarabiscoté (après être venu d’Egypte à Delhi en avion, puis vélo à
Kathmandu, ils repartent vers l’Inde, puis le Pakistan, la Chine, le Tibet et
vers l’Asie du Sud Est), et Florent, idem en tour du monde, encore plus
tarabiscoté (Europe du Nord vers le Proche Orient, puis idem depuis Le Caire).
Bref, six cyclos-voyageurs Français, dont cinq en trois Tours du Monde différents,
à Kathmandu début juin, c’est un événement aussi important que le premier
pas sur la Lune – vous avez certainement dû en entendre parler sur CNN. Le
temps de faire quelques
balades
moussonneuses et sangsuesques sur des
pistes
dans la Vallée de Kathmandu, et je rembarquais pour
Hong
Kong, ville de la finance à défaut d’être celle du vélo.
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