GARE,
TOC !
Au delà du premier col en territoire tibétain, la piste rejoint une haute vallée, et surtout le carrefour important de Gartok (Markham), point de convergence des axes Yunnan-Tibet et Sichuan-Tibet (par le sud). Mes infos me laissaient à penser que, s’il ne fallait pas traîner à Gartok même, par contre le point de contrôle de l’axe Sichuan-Tibet devait se trouver à l’est du bourg, donc pas d’inquiétude, puisque j’avais franchi la veille le contrôle de l’axe Yunnan-Tibet. Effectivement, en « ville », je croisais un certain nombre de flics. Sans accélérer pour autant, je ne m’arrêtais pas, afin d’éviter de donner l’occasion d’un interrogatoire impromptu.
Au
sortir de la petite ville, je salue trois derniers flics, à l’entrée de
leur caserne, et arrive immédiatement au carrefour…pour m’apercevoir
rapidement que le checkpost est du mauvais côté ! C’est-à-dire à
l’ouest du carrefour. Je m’arrête, commence à évaluer la décision à
prendre. Inutile de revenir d’où je viens, il n’y a pas un endroit où
camper discrètement sur 50 km, ou à la rigueur à 20 km. Prendre la piste du
Sichuan, camper et revenir dans la nuit ou au petit matin ? Tentant. Il y
aurait bien un « chemin sur la droite » indiqué par un site
internet, pour éviter le checkpost. Il semble bien qu’il y en ait un, mais
il y en a un autre sur la gauche qui correspondrait mieux à la description. Décidément,
tout semble inversé ! C’est là que je me retourne, et vois mes trois
flics qui m’observent depuis la porte de leur caserne. Oh, sans doute
sont-ils plus curieux de voir ce drôle de pèlerin, que vraiment suspicieux,
mais je me dis que ce n’est pas le moment d’attirer l’attention, encore
moins d’emprunter sous leurs regards un sentier, dont tout le monde sait
localement qu’il contourne le checkpost. Mon vieux Freddy, t’as trois
secondes pour prendre une décision intelligente. Que fais-tu ?
- Je fonce
dans le tas, pardi !
Mû par je ne sais quelle intuition ou impulsion (prenez le terme que
vous voulez, nous sommes provisoirement dans un texte interactif), j’y vais
crânement, non sans avoir rapidement jaugé la situation : face à la guérite,
de laquelle le flic en faction a un faible angle de vue, la barrière est
baissée, mais si haute que les véhicules jusqu’à la taille d’un
utilitaire peuvent passer, en ralentissant et klaxonnant. Je calcule mon coup,
et passe face à cette guérite en même temps qu’une jeep roulant dans le
sens inverse. Le gardien a pu voir théoriquement des lambeaux d’un cycliste :
m’a-t-il vu, et pris de court décidé de laisser tomber ? A-t-il été
suffisamment distrait par la jeep, dont le conducteur le saluait ? Il est
vrai qu’il ne passe pas un cyclo Etranger tous les jours par ici, surtout début
avril. Toujours est-il que le coup semble avoir fonctionné : dans la
montée, jusqu’à mon inconfortable repaire pour la nuit (sous un pont gelé,
parmi des excréments séchés), au pied d’un col à 4338 m, je n’ai pas
vu de véhicule me faisant la chasse.
Une
autre froide nuit en perspective !