SOURIEZ, VOUS ETES MOUCHARDE !

Après ce que racontait “Trackster Man” sur son site concernant son expérience de la Friendship Highway en 2000, j’abordais Shigatse avec appréhension. Bon, de toute manière, l’Alien Travel Permit (ATP) exigé théoriquement dès la sortie de Lhasa, et plus concrêtement dès qu’on veut s’éloigner vers l’ouest de Shigatse, n’est jamais qu’un funny paper : il n’a jamais donné le droit à un individuel, a fortiori à vélo, de braver l’interdiction faite aux non-groupés-dûment-encadrés à se promener en toute liberté sur le plateau tibétain. Dans tous les cas, j’avais bien l’intention de suivre les brisées de générations de cyclo-resquilleurs, en franchissant les checkposts établis à la rosée ou plutôt à la gelée matinale. Mais un ATP en poche, c’est toujours sécurisant, en cas de contrôle surprise, surtout que la tendance des Chinois, qui semblent avoir compris le manège de ces touristes non disciplinés (ein zwei, nous avons les moyens de vous faire visiter en groupe), serait d’ajouter des checkposts-surprise, des sortes de contrôles ambulants.

Comme tout internaute ayant roulé au Tibet, je vais vous indiquer leurs emplacements (cf infos pratiques et descriptions d’itinéraire), mais ça aura évidemment changé d’ici là…En fait, il vaut mieux connaître à quelles bornes kilométriques sont situés les principaux bourgs et les carrefours : c’est surtout autour de ces « points d’eau » qu’on risque de trouver des contrôles impromptus, et il peut à l’occasion être sage d’aborder ces zones avec une paire de jumelles…Mais revenons à Shigatse. Une mauvaise indication sur le plan de ville à la fois du Guide du Routard et du Lonely Planet me fait passer, avec mon voyant équipage…juste devant le PSB (Police Security Bureau) ! Service dont dépend l’accord de l’ATP évoqué ci-dessus, qui ne saurait normalement être accordé à un cyclo-voyageur avéré.

A propos, ne tombez pas dans le panneau : à l’entrée du PSB, une affiche en anglais, si j’ai bien compris, signale que ceux qui voyagent principalement à vélo doivent le déclarer, afin que contre 100 yuans (90 FF) il soit apposé la mention « bike » sur le permis. J’aurais tendance à voir là un grossier stratagème pour forcer les cyclos à se découvrir d’eux-mêmes, pour mieux les renvoyer à Lhasa, et/ou leur faire payer une amende « complémentaire » solide. Du reste, sur le permis, on a le choix entre avion, bus et voiture (jeep). Comme il n’y a plus de bus publics au-delà de Sakya, et que de toutes façons ceux-ci sont normalement interdits aux Etrangers, il ne reste que la mention « voiture » comme bonne réponse pour continuer le jeu. Donc, prétendez être à bord d’une jeep (bien que les touristes voyageant en jeep ne semblent pas vraiment se faire contrôler le long de la route, au moins dans le sens Tibet-Népal).

J’arrive donc directement au Fruit Hotel, face à l’entrée du monastère. Encore une riche idée de ma part : l’entrée du monastère, c’est tout à fait le genre de coins où des espions peuvent traîner, et prévenir qui de droit de la présence d’un extra-terrestre bi-roues. A l’hôtel, deux filles attendent : Carole et Rachel, deux Françaises bourlinguant entre Inde et Tibet, et pas vraiment style « groupe organisé », quoique contraintes comme tous les non-cyclos de passer par l’arnaque du pseudo-tour organisé en avion depuis Chengdu. Après avoir rencontré quelques voyageurs qui, lors de tentatives précédentes, se sont tous fait pincer, je tire en passant mon chapeau aux individuels non cyclistes qui ont pu passer à travers les mailles du filet. Finalement, à vélo, c’est nettement plus facile.  

Patientes comme des Tibétaines, elles se trouvent à attendre une hypothétique jeep de 13h à la place du soi-disant bus qui remplaçait une jeep de 6h, bref, l’embrouillamini au bord de l’embrouille. Sur ces entrefaits, le responsable de la jeep leur dit que le départ est remis à 6h au lendemain. C’est là que, l’esprit chargé d’arrières-pensées, je leur glisse perfidement : « mais au juste, vous avez votre ATP ? ». Leur expliquant qu’il doit y avoir 4 ou 5 checkposts d’ici la frontière, c’est pas sûr qu’elles puissent passer au travers des mailles (en fait, je suis désormais à peu près convaincu que des jeeps VERS le Népal ne sont pas contrôlées). Les ayant enrôlé sous ma bannière de demandeur d’asile, nous nous dirigeons de concert vers le PSB. La situation m’arrange, car au lieu de me retrouver seul, je fais désormais apparemment partie d’un petit groupe, surtout que les deux filles ont des documents prouvant qu’elles sont arrivé au Tibet via un groupe. Il suffira le cas échéant d’inventer une histoire pas trop tarabiscotée.

En ce dimanche, le PSB est fermé, mais une des secrétaires qui est dans les parages nous dit qu’elle rouvre le bureau à 17h. Retour donc à l’hôtel. En chemin, un Tibétain, qui dit être policier (j’apprendrai plus tard qu’il s’agissait du chef !), après s’être assuré qu’on était client de cet hôtel, nous dit y avoir vu mon vélo bourré de sacoches ras la gueule. Zut ! Dans la discussion, si j’avais bien planqué le vélo dans l’hôtel, j’avais par contre oublié la majorité des sacoches dessus ! Qu’importe, ce fouineur devait être bien informé, il n’a pas été au hasard à cet hôtel…Bien sûr, je nie que ce vélo m’appartienne, puisque je voyage avec les filles et, que de toutes manières, il faut être fou pour rouler à vélo à ces altitudes-là et sur des pistes aussi mauvaises (je ne me le fais pas dire). Il commence à nous cuisiner, comment nous sommes entrés au Tibet…Par chance, les filles ont encore des documents prouvant qu’elles sont bien passées par une agence de Chengdu, et nous insistons sur le fait que Rachel est malade, et doit aller à l’ambassade de France à Kathmandu. Je ne sais si c’est le mot « embassy » ou bien l’infection qui a fait mouche, mais notre type lâche prise. Cela dit, j’avais bien l’impression que, à propos du vélo, il ne faisait que réciter, sans trop y croire, la réglementation en vigueur que pour mieux se couvrir : si jamais on me chopait plus loin et l’on remontait à so autorisation accordée, il pourrait toujours affirmer « m’avoir lu mes non-droits ».

Coup de théâtre : peu après, une jeep est disponible immédiatement pour mes deux comparses. Je reste seul, à attendre 17h, avec la crainte de me faire désormais blackbouler du PSB sans permis. Mais non, la secrétaire, guère plus dupe que le flic en civil de tantôt, fait mine de croire que je fais toujours partie d’un groupe, en jeep, et me fournit le précieux ATP tant convoité pour 50 yuans (45 FF)…avec une minime restriction, parait-il désormais applicable : j’ai 5 jours pour atteindre la frontière ! Eh oui, on n’a jamais vu une jeep mettre plus de 5 jours pour 500 km, même avec un détour par le camp de base…

Me voilà quitte à transformer le « du 20/05 au 26/05 » en « du 26/05 au 26/06 » ! Après 40 jours d’illégalité, je vais aggraver mon cas avec un faux en écriture. Bah…Comme prévu, je passerai par prudence les checkposts prévisibles vers 6h du mat’. Pour le reste, inch’allah.

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