SI CES SEPT CENT SIX SANGSUES SUCENT SON SANG SANS CESSE, C’EST SANS ISSUE (ÇA C’EST SUR, SUSURRE CE SISYPHE)

 

Fini le Tibet, à nous la Vallée de Katmandu. Hélas, j’y arrive à la mauvaise saison : l’été, sauf qu’ici été signifie pluie. Mousson, vous connaissez ? Sale temps pour les cyclos. Les premiers jours de juin, il faisait encore suffisamment beau, quoique il y a belle lurette qu’on ne distinguait plus la chaîne de l’Himalaya. Mais, en l’espace de quelques jours, la couverture nuageuse s’est mis de plus en plus en place, les pluies nocturnes commencent à déborder sur la journée, la mousson s’installe.

 

Les flaques sur la piste sont parfois si profondes, que les buffles pourraient presque s'y noyer !

 

J’avais quand même espéré pouvoir faire une dernière balade sur les pentes nord de la Vallée, autour de Kakani. Je n’avais qu’une crainte : que les pistes ne soient en mauvais état. En fait, à la sortie de Budhanilkanta, les choses commençaient bien : une excellente piste entretenue, avec de beaux gravillons bien tassés, du jamais vu dans cette vallée depuis une semaine que je me bagarrais dans les ornières, la caillasse et la boue ! Je ne râlais même pas quand, à un checkpost, les militaires me firent débourser 250 roupies (27 FF) pour l’entrée dans la réserve naturelle de Shivapuri. Si au moins une partie de cette somme sert à entretenir la piste…

Je comprenais un peu plus haut : en fait, cette piste permet d’accéder à un camp militaire, en pleine réserve naturelle (les éclats d’obus, c’est bon pour la nature, c’est bien connu), au-delà duquel la piste reprend l’habituel statut d’ornières, flaques et boue fangeuse qui est le lot d’une piste normale dans la Vallée. De là à penser que les 250 roupies servent à entretenir la piste pour l’armée…

 

 

Après avoir poussé mon vélo sur deux kilomètres en évitant d’enfoncer mes pieds jusqu’aux genoux dans la boue, j’atteignais enfin un col, au-delà duquel la piste remontait durement, mais au moins sans boue. En fait, c’était pour mieux atteindre un autre camp militaire, après lequel la piste ne semble plus guère empruntée, pas même par de bucoliques chars d’assaut. Forte redescente de 200 mètres, et peu à peu, voilà que ma piste laisse la place à un sentier, large d’abord, de plus en plus étroit ensuite. Me voilà bientôt à pédaler ou pousser le vélo en pleine jungle, le visage fouetté par la végétation dense, croisant des paysans un peu surpris de croiser un cyclo sur ce qui fut une piste.  

 

Ce modeste ruisseau, en l'espace d'une demi-heure, est devenu une rivière torrentielle dévastant tout sur son passage...

 

Petit picotement sur les mollets. C’est pas vrai, ça recommence ! « Ça », les jukhas sont de retour. Leur nom anglais sonne assez explicitement en français (leeches), il s’agit de nos bonnes copines les sangsues. J’avais eu un aperçu de leurs talents une fois au Tibet, la seule fois où la piste redescendait à pratiquement 2000 m d’altitude (autant dire en dessous de tout), puis quelques jours auparavant près de Namo Buddah, en empruntant à pied un sentier bien herbeux. Non seulement on peine à détacher ces bestioles, mais si on le fait sans les brûler d’une cigarette (je ne suis pas fumeur) ou avec du sel, elles laissent une plaie qui met un temps fou à cicatriser, et « propre » à s’infecter.

Averti du phénomène, j’inspecte en permanence mes mollets, afin de leur permettre le moins longtemps de s’installer, prendre leurs aises et mon sang, pour éviter de me retrouver les jambes toutes sanguinolentes. J’ai de la chance : la plupart de la journée ce sont des « bébés-sangsues », qui doivent faire leurs premières dents, faciles à détacher et laissant une faible marque. J’ai bien dû en détacher une quinzaine quand même. Une belle sangsue (en taille) trouvera quand même moyen de s’installer sous mon short, non loin du complexe génito-urinal, pas bien loin de la bite, quoi. Un coup de lame de tournevis bien ajusté, et hop ! Retour de mon admiratrice dans les herbes. Ça suffit comme ça de se faire sucer…

 

Le sentier n’en finit pas : ça fait 4 km que je pousse le vélo dans le brouillard, frôlant parfois des précipices, le visage fouetté par des branches basses : bref, la jungle. D’un coup, je m’inquiète : 2100 m d’altitude, et le chemin semble obliquer vers l’est, si j’en crois mon espèce de sonnette de vélo/boussole à la précision plus qu’aléatoire (surtout que j’ai tendance à consulter la direction avec la sonnette, et prévenir les passants avec la boussole). Me voici désorienté, décontenancé, dépité, que décider ?

 

Léger retour sur mes pas, j’avise un autre chemin à gauche, qui descend brutalement…sur une porte de sortie de la réserve naturelle, où l’on contrôle naturellement mon ticket d’entrée ! En fait, j’en aurais encore pour un bon kilomètre de descente en escalier, à porter autant le vélo qu’à le pousser, pour enfin atteindre les reliquats de ce qui fut une piste…il y a facilement dix ans en arrière.

 

Le pire est que la quasi-totalité des nombreuses cartes disponibles à Katmandu, d’apparence sérieuses et mises à jour, indiquent toujours l’existence d’un réseau de pistes censé sillonner les pentes du Shivapuri. Bravo pour la fiabilité, certaines cartes atteignant voire dépassant le prix de cartes occidentales…

 

Me voici tout de même à Kakani, 2050 m, réputé pour son point de vue sur l’Himalaya. En ce mi-juin, je n’espérais pas voir si loin (quoique, deux jours plut tôt, après de fortes pluies, j’aie pu voir de bonnes portions de la chaîne, depuis Namo Buddha), mais j’escomptais pour le moins de belles vues, d’un côté sur la vallée de Katmandu, de l’autre sur la profonde entaille de la vallée remontant vers Trisuli. Au lieu de cela, je suis plongé dans le brouillard. Seul aspect positif : le goudron reprend ici, je n’ai donc plus de bestiole qui s’accroche à mes pattes…

 

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