QUE ? LA KEYKEYHEYTCHE ?
DE
ISLAMABAD AU BABUSAR PASS
La
keykeykeytche (en bon français : « kakahache »), ça
c’est du mythique ! Traduction pour les non-grands
bretonnants : KKH = Karakorum Highway (« Grande Route du
Karakorum »). Il s’agit de cette portion de l’antique Route de
la Soie, ayant relié un temps Rome et les pourtours de la Côte
Syrienne avec l’Empire du Milieu, j’ai nommé Tchong Guo
(Chine).
Cette
route est aujourd’hui plus d’intérêt politico-stratégique que
commercial et économique : il s’agissait pour le Pakistan et la
Chine de créer un axe les reliant physiquement, autant pour faire la
nique à leur vieil ami commun : l’Inde, dont chacun s’était
emparé d’un bout de territoire dans
l’Himalaya.
Comme
de juste, cette Karakorum Highway, traversant l’Himalaya pour
desservir la partie centro-asiatique de la Chine, ne passe pas par
le col du Karakorum (une vieille passe abandonnée à 5 500 m entre la
Chine et l’Inde), mais par le Khunjerab Pass, à l’altitude plus
banale de 4 730 m. Il faut dire que je m’étais auparavant mis en
jambes côté indien, avec la kyrielle des plus de 5 000. Parmi eux,
le désormais incontournable Khardung La, 5 602 m, fait en compagnie
de trois autres Français rencontrés dans ce Tibet indien :
Robert, Jean-Pierre et Robert.
Islamabad,
dix jours d’arrêt : le traditionnel lot de problèmes de santé
dans ce type de voyage, dont une interminable diarrhée, qui me
mettra sur les genoux, au « propre » comme au figuré, fort
heureusement d’origine non parasitaire. Une chaleur étouffante, des
nuits tout aussi moites, qu’il me tardait de quitter. La KKH,
revêtue tout du long, a un parcours aisé les 540 premiers km :
après avoir franchi de petits cols vers 1 700 m, elle se
contente de suivre l’Indus, dans un parcours qu’on dit remarquable
mais pénible : outre la chaleur, on traverse le Kohistan, à la
réputation peu appréciée des cyclistes. Il s’agit en fait quasiment
d’une zone tribale, où la loi de l’Etat Pakistanais ne s’applique
qu’en théorie. Attaques de bus et camions de nuit, gens en armes
partout, fondamentalisme musulman…
Pour
ma part, je vais contourner cette difficulté…en allant en chercher
d’autres ! Et pour commencer, en montant par Murree, station
d’altitude (2150 m) batie par les Anglais dans la région des Galis,
avant la replongée dans la chaleur des plaines, vers Abbottabad et
Mansehra.
Pierre
Brivet, lors de son voyage Lyon-Bangla Desh, y était passé en 1983,
décrivant cette piste comme horrible. Je peux le rassurer :
elle n’a guère changé ! Le goudron, après avoir été jusqu’à
Kagan, ne dépasse aujourd’hui guère Balakot de 22 km ; après,
c’est de la piste pour 140 km. Encore cette piste est-elle correcte
pour les 110 premiers km : à un endroit, je loupe
l’embranchement du Babusar. Et pour cause : tout droit, une
piste nouvellement tracée, large, plate, au revêtement de terre et
graviers régulier, desservant un village en fond de vallée. Sur la
gauche, un chemin étroit, très pentu, caillouteux, plutôt proche
d’un large sentier muletier que d’une piste. Je me demande même
comment deux jeeps peuvent s’y croiser, au bord du ravin.
Avec
mes 35 kg de bagages, il me faut souvent pousser le
« monte –en-bique » (mot aimablement prêté par Marie
Hélène Cornet), plus que je ne roule. Le pire : après avoir
monté haut en corniche, la piste redescend tout aussi brutalement
vers la rivière ! J’escomptais dormir à Besal, village
normalement équipé, d’après mon guide Lonely Planet 1993, d’une
resthouse et probablement de petits restaus et autres possibilités
de camper. Surprise : il n’y a plus que des ruines, et toute la
zone est occupée par des campements de nomades Gujar, aux visages
austères et qui se demandent ce qu’un cycliste extra-terrestre peut
bien faire ici.
Peu avant le lac Lulusar, un pont de bois, auquel il manque quelques planches. L’une d’elles a été mise en travers, et il me faut passer en équilibre le vélo, puis les sacoches, en évitant de regarder sous mes pieds l’écume bouillonnante du gros torrent qui déboule. J’apprendrai plus tard que les jeeps, pour le franchir, déplacent progressivement les planches restantes, mettant plus d’une demi-heure pour traverser dix mètres !
Donner
des broutilles donne bonne conscience au donneur (depuis le temps,
j’ai sacrément mauvaise conscience ;..), ne résoudra en rien
les problèmes de ces pays (on ferait mieux de moins râler quand une
partie de nos impôts sont utilisés – souvent mal il est vrai – pour
aider un peu ces pays, surtout quand on se rend compte que nos pays
riches exploitent sans vergogne leurs richesses naturelles), et ne
peut habituer ces gens qu’à l’assistanat, en prime de ne devenir
qu’une source d’emm… pour les voyageurs venant après, avec parfois
des jets de pierre.
Je
continue de monter, pour finalement arriver à Gittidas, village où
je voulais éviter d’arriver pour le soir ! C’est gagné, la nuit
tombe dans une petite heure. Je vois au loin la piste monter tout
droit vers le col, 500 ou 600 m plus haut. Comme
« promis », des nuées de gosses, tels des mouches,
entourent mon vélo. Ils seront moins pénibles qu’annoncé, mais
arriveront quand même à me chaparder un demi-paquet de biscuits
d’une sacoche arrière mal fermée. A la sortie de ce village qui n’en
finit pas, je salue un groupe d’hommes aux visages austères, l’un
armé d’un fusil. Brr…La chasse au cyclo serait-elle ouverte ? A
ce stade, je ne vois plus qu’une solution : grimper le col en
début de nuit, en sachant que de l’autre côté, le village de Babusar
n’a guère meilleure réputation.
C’est alors, comme dans tous les bons films, que j’aperçois devant moi des couleurs le long du torrent. Des tentes « occidentales », on dirait. Mirage dû à la fatigue ? Je n’ose y croire, mais parcours les 500 m m’en séparant. Effectivement, il s’agit d’une « expédition » pakistano-japonaise de géologistes, qui campent ici ! Leurs affaires sont même dehors, ce qui suppose que l’endroit est plus sûr qu’il n’y paraît. Sans doute la présence de Pakistanais dans le groupe, certes de la capitale, permet aussi cette sécurité. En fait, les gens du coin, malgré leurs armes, sont avant tout des bergers : à voir passer des touristes, dont certains ont commis probablement la bétise de donner un petit quelque chose pour soulager leur conscience (rappelons nous de la bonne fable moralisatrice du père La Fontaine sur le sabotier et le financier, les pauvres ne connaissent pas leur bonheur !), certains finissent par insister pour obtenir quelque chose, mais en principe les adultes ne vont pas jusqu’à agresser un touriste. Cela dit, tant au Pakistan qu’en Inde, des trekkers isolés « disparaissent » de temps à autre…
DU
BABUSAR PASS A GILGIT
Franchir
le col ne sera, le lendemain, qu’une formalité…en
poussage ! Babusar Pass, 13 679 pieds, ce qui tout de
même pose plus que les 4 170 modestes mètres. Et 3 000 m de
dégringolade en…45 km. Au début, il s’agit encore d’une piste
de jeep, finalement pas si mauvaise si l’on n’est pas chargé,
mais en fait elle n’est guère améliorée ensuite. Il arriva ce
qui devait arriver : un patin de frein, mal serré (ou
ayant glissé suite aux vibrations), s’est mis peu à peu en
oblique, et le pneu arrière a fini par s’éventrer
soudainement, laissant la chambre faire ami-ami avec la
caillasse. Pan ! Ce n’est pas un coup de feu d’un paysan,
vaquant tranquillement sur la piste avec son inséparable fusil
(destiné surtout à le protéger…des habitants d’autres
villages, charmante ambiance du Kohistan), mais la chambre qui
éclate.
Qu’à
cela ne tienne, je traîne depuis plus de 2 mois 2 pneus
( !) et 2 chambre de rechange. On remet du neuf, on
regonfle et on repart. Zut, quasi à plat. La dernière fois,
j’avais dû mal réparer la chambre. J’utilise cette fois une
chambre totalement neuve, encore sous son plastique, je
regonfle à bloc, je….zut, à peine gonflé encore ! J’ai
beau « shadoker » l’air ressort aussi vite qu’il
n’est entré. A ce moment, trois vieux Kohistanais, l’un
évidemment le fusil en bandoulière, s’arrêtent, procèdent à un
audit, une expertise de professionnels avec leurs doigts
crevassés, et me font comprendre que ce sont les valves qui
déc…bref, qui sont desserrées. Ayant inspecté ma trousse de
secours, ils sont fort surpris de ne pas y trouver l’outil
idoine que je me devais de posséder, et essaient quand même
d’opérer avec leur couteau, puis un de mes tournevis. Peine
perdue, le peu de jeu restant est suffisant pour qu’on pompe
et pompe et repompe, au point que nous devenons aussi vidés
que les chambres.
Tant
pis, je les laisse, eux et leurs fusils et leurs ennemis des
villages voisins, et entreprends de parcourir les 20 km
restant de piste caillouteuse, jusqu’à Chilas. Il me faudra
deux heures ! A Chilas, les perspectives restent
sombres : mes 2 chambres me semblent inutilisables, et le
plus proche « vélociste » semble être à 120 km de
là, avec peut-être seulement du 28 pouces en stock. C’est
marrant, ces pauvres ne semblent pas encore avoir compris les
bienfaits de la planche à voile, du deltaplane et du VTT. Ils
ne doivent pas se brancher assez souvent sur internet pour
s’informer de tous ces loisirs…
A
l’hôtel au « confort pakistanais » (piaule sale,
branchements électriques douteux, robinet dans les WC sombres
pour toute toilette), je pompe à tour de bras, espérant que
par miracle l’une des chambres va finir par entendre raison.
L’aubergiste apparaît alors dans la cour (du miracle),
considère la situation…et revient avec une petite pièce de
métal. En fait, je me rappelle qu’un Autrichien, en tenue
tyrolienne, m’avait une fois remis ce genre d’outil, perdu
depuis. En un tour de main, mes valves se trouvent resserrées
à bloc. L’aubergiste, qui m’a déjà fait, en bon musulman, le
prix « normal » pour la chambre et le repas (13 FF
en tout !), m’offre « naturellement » ce petit
outil bien précieux.
Je
peux donc repartir le lendemain, ayant rejoint la Karakorum
Highway après mon escapade par le Babusar, un
« raccourci ». Mais 70 km avant Gilgit, je finis par
me laisser tenter par une nouvelle escapade, d’une
semaine : gagner Skardu par la piste des Deosai Plains,
puis rejoindre Gilgit par la route des gorges de l’Indus.
Depuis Chilas, la route se déroulait dans un paysage de gorges
arides. Je quitte donc la route, mais progressivement le four
solaire laisse place à une région parfois plantée de bosquets
où il fait bon camper. A Chilem, au terme d’une piste
finalement bonne, même chose que pour le pied du
Babusar : tout droit, une excellente piste, menant au
Burzil Pass, axe hélas interdit pour cause de proximité du
Cachemire, zone de guerre larvée depuis 50 ans et 20 000
morts ; à gauche, une vague piste de terre montant
brutalement. En 14 km, cette piste, de plus en dents de scie,
grimpe 900 m.
Là encore, avec mes 30-35 kg de bagages, il me faut souvent pousser le vélo, parfois même dans la caillasse. Chercher Pass, 13 997 pieds, soit 4 266 mètres, me voici dans le parc national du Deosai, à l’équipement inexistant hors les guérites de péage. Sa raison d’être est de protéger l’ours brun, loin dans les montagnes. Du col, je peux encore voir entre les nuages le lointain Nanga Parbat, sommet à 8 000 m, plongeant de près de 7 000 m dans l’Indus proche. La piste, tracée à la serpe, descend, monte, redescend, souvent dans la caillasse, dans un paysage faiblement intéressant. Certes, des montagnes découpées à l’horizon, mais aucune trace de glaciers, alors que de prestigieux + de 8 000, frontières avec la Chine (dont le K2) sont non loin de là. Mais il y a trop de chaînes intermédiaires entre, pour qu’on puisse les voir.
Au-delà
d’un pont brinquebalant, au sujet duquel je me demande comment
il fait pour supporter le poids d’une jeep (même à vélo, ça
tangue bien), la piste remonte progressivement. Il faut alors
traverser une rivière à gué. Encouragé par un précédent gué
avec de l’eau tout au plus aux mollets, j’y vais franco, sans
prendre le temps de vérifier. Une fois pris dans le
tourbillon, je ne peux plus reculer, et passe le vélo, de
l’eau jusqu’au milieu des cuisses pour moi, couvrant les axes
et les dérailleurs et trempant bien le fond des sacoches pour
le vélo ! J’aurais dû pourtant me rappeler cette
traversée d’une rivière glaciaire au Chili, où j’avais bien
failli être emporté par les flots tumultueux me carressant les
hanches… Bonhomme et sacoches trempés jusqu’à la moëlle et la
mie, sans compter les roulements, le compteur du vélo, il me
faut camper, à 4 000 m, alors que le froid de la nuit arrive.
Bon, un mois auparavant, je campais bien à 4 900 m, mais au
moins j’étais au sec !
Récompense : en fin de parcours, une vue sur le splendide glacier du Rakaposhi, puis plus loin, dans la brume naissante, sur le Nanga Parbat, qui écrase le paysage de sa masse neigeuse impressionnante.
DE
GILGIT A KASHGAR
Une
fois la KKH retrouvée, c’est la même chaleur qui m’accompagne jusqu’à Gilgit,
avec les jets de fruits ( !! ça change des pierres…) de la part des gosses
des oasis. Les jets de pierres n’atteignent pas au Pakistan la fréquence de la
Tunisie, ou surtout du Maroc sud, mais ils existent, notamment dans les régions
trop touristiques : KKH, Chitral-Dir… A Gilgit, commence vraiment pour moi
la KKH : de 1490 m, il faudra se hisser à 4 730 m, toutefois en 272 km.
Parcours magnifique : bientôt, on est en face de l’autre versant du
Rakaposhi, dont les crêtes enneigées dansent au-dessus du paysage. On est dans
l’ex-royaume Hunza, qui existait encore il y a 25 ans, avant qu’un général
Pakistanais ne décide que la plaisanterie avait assez duré. Plus facile de
supprimer l’autonomie à ces pacifiques Baltis, qu’à mettre au pas ces tribus du
Kohistan, du Baloutchistan, de certaines zones au sud de Peshawar, sans parler
du brigandage de « monnaie courante » dans le sud du pays (Sind et sud
Penjab)…
De
Ghulmet à Passu, en passant par Karimabad et Gulmit, les paysages fantastiques
de glaciers et pics rocheux se succèdent. Passu, je fais halte quelques jours
pour récupérer des fatigues accumulées depuis Murree, le Babusar et le Deosai…et
retrouver Robert, Robert et Ro…non, Jean-Pierre, les trois cyclos Français avec
qui j’avais roulé dans le Spiti, le Lahul et le Ladakh. Ils ont tout simplement
fait le parcours inverse depuis Kashgar, on échange donc les infos. Sost, 40 km
plus loin et à 2 740 m : c’est là que commencent les choses
sérieuses : il reste 85 km de distance et 2 000 m de
montée.
En
fait, cette montée est plus longue que rude : on n’y dépasse guère les 5 %,
avec quelques passages à 7, et la montée est régulière, avec un vent de dos
efficace. Je passe la dernière nuit pakistanaise à 26 km du col, dans un
cantonnement abandonné. Le lendemain, décidé à partir avant le jour, je
constate…qu’il neige ! A 3 750 m, ça laisse présager le pire 1 000 mètres
plus haut.
Peu
rassuré, j’entame la montée, un œil rivé sur le thermomètre :
1,6°…1,3°…1,0°…0,8°…Il fait désormais jour, les abords de la route sont
totalement couverts d’une mince couche de neige, et la route est le seul élément
sombre du paysage, les montagnes en venant à se confondre avec le ciel
complètement bouché. Au dernier checkpost, le garde me fait signe que la route
est bonne jusqu’au col. Ca, mon bonhomme, j’ai des doutes…
Alors que j’aborde les premiers lacets, et que j’ai désormais le vent de face, la courbe du thermomètre commence à s’inverser, faiblement et incertainement d’abord, puis de plus en plus au fur et à mesure que le ciel s’ouvre, laissant apparaître un fantastique paysage tout de blanc vêtu. Au col, c’est un groupe de touristes Chinois en vacances qui m’accueille, accompagné tant des policiers Pakistanais que du vigile Chinois, fraternité des peuples et tout ça. Ils me prennent en photo, ils me prennent en photo successivement avec chacun des membres du groupe, ils se prennent en photo chacun tout seul sur MON vélo, ils vont bientôt prendre en photo ceux qui prennent les photos et et ne vont pas tarder à demander au vélo de prendre en photo les appareils, je le sens bien…
Le
Karakul, parlons-en. Littéralement « lac noir » en turc - car nous
sommes en Chine, certes, mais surtout en Asie Centrale, dans l’aire turcophone
courant de la Turquie au Xinjiang, province de l’extrême ouest de la Chine,
précisément où je me trouve. Hors des colons Hans (Chinois), de plus en plus
nombreux dans les villes (surtout Urumtchi, ville de 1.5 million d’habitants au
milieu de nulle part), cette province est essentiellement peuplée de Ouyghours,
mais la Karakorum traverse d’abord une vallée peuplée de Tadjiks, puis une de
Kirghizes, venus il y a bien longtemps des états un temps soviétiques du
Tadjikistan et du Kyrghistan.
Bien
que de confession islamique, ces régions semblent bien peu rigoristes, ne
serait-ce que comparé au Pakistan : on croise des femmes qui, suprême
insolence, disent bonjour à l’étranger (qui sait si même elles n’auraient pas un
cerveau, ainsi que nous l’apprendra la science d’ici quelques siècles). A
Tashkurgan, modeste bourg entre le col et Kashgar, on en voit même, dévergondage
ultime, cheveux au vent, et même certaines tiennent des commerces ! Ne
parlons pas de la grande ville, qui ferait frémir plus d’un mollah :
mini-jupe et maquillage (il s’agit cependant très majoritairement de Hans).
« Heureusement »,
comme dans toute périphérie de grande ville musulmane, où le besoin idenditaire
de populations nouvellement urbanisées et encore peu intégrées se fait sentir,
on en voit pas mal, la moustiquaire noire sur le visage, qui leur dissimule
jusqu’aux yeux. Ici, ce n’est pas le traditionnel sac à patates noir, mais un
épais et chaud châle de laine marron. Je suppose qu’elles se dirigent au radar.
Le plus surprenant est que dans les campagnes, d’où viennent ces familles
déracinées, on ne voit pas ce genre d’accoutrement : dans les champs, on a
autre chose à faire que de s’encombrer de cet inconfortable truc sur le visage –
mais il est vrai qu’elles y sont moins soumises aux regards d’étrangers que dans
les villes cosmopolites, et surtout moins soumises à la tentation lubrique,
apanage évident de toutes les femelles, contrairement à l’homme, responsable et
fidèle (bien évidemment) et bon père de famille, cela va sans dire.Si Eve avait
porté un tchador, on serait encore au Paradis, et je ne serai pas sur un vélo à
me crever...
Après Tashkurgan, 3 100 m, eh oui, il faut de nouveau remonter, jusqu’au col de Ulugh Ribat Diwan (4 170 m), dans un paysage désertique moyennement intéressant. Au col, le choc : à droite, la crème renversée du Muztagh Ata (7 433 m), il est vrai visible depuis une quarantaine de km sous un autre angle, et en face, la chaîne du Kungur (7 681 m) dégueulant ses glaciers (j’en ai recensé jusqu’à 18 rien que sur la face sud), le long d’un chapelet de sommets. Au Karakul, c’est encore plus beau : après avoir traversé une vallée occupée par des Kyrghizes, leurs yourtes et leurs yaks, on arrive à ce petit lac de montagne, semblant cerné par ces deux massifs. Au coucher du soleil, la neige rosit avant d’être éclairée par la pleine lune. Rançon du site : -6° au petit matin !