UN ZOZO DANS UN VASTE ZOO

En exagérant à peine, je me demande si, au moins dans les Andes vénézuéliennes, il existe plus d’un kilomètre de route goudronnée sans qu’il y ait, d’un côté ou de l’autre, un grillage, une clôture barbelée, un mur, un portail cadenassé. De la folie ! En y ajoutant les pancartes, parfois fondées, signalant « perros bravos » (chiens méchants) que je verrais bien calientes (…hot dogs !), ma traversée des Andes du coin m’a donné la forte impression d’être un rat de laboratoire, courant dans un labyrinthe étroit, l’unique route clôturée de part et d’autre, à la recherche d’une sortie pour la nuit !

Il est vrai qu’on peut demander à l’habitant, enfin, celui qui n’a pas de perros bravos. Mais vu qu’il m’est arrivé, lorsque simplement je demandais de l’eau para tomar (une grossièreté qu’il serait malséant de traducir), de me voir offrir parfois une sorte de jus de chaussette épais, je me demandais si, à plus de 2000 m dans un pays si arrosé, il n’y avait pas un sérieux problème d’eau potable, ou si dans certains cas il n’y avait pas un tout petit peu de f…age de gueule, peu encourageant à demander de plus à camper sur le peu de place restant entre les maisons et les cultures.

J’ai fini par renverser la proposition (et être plus proche de la réalité, en fait) : ces clôtures, ces grillages même devant les pas de maison, ce sont les autochtones mis derrière ces mêmes barrières (de peur qu’ils ne viennent sauter sur les jeeps, sans doute), comme dans un immense zoo. En fait, pour les barbelés, comme les Vénézuéliens ne semblent pas être fondamentalement un peuple plus « renfermé » qu’un autre, je me dis qu’il y a peut-être à la base des circonstances historiques (Bolivar a-t-il déclaré le barbelé comme moyen de lutter contre l’oppression ?) ou plus sûrement économico-sociales (ralliez-vous à mon barbelé !), ou plus simplement encore une loi destinée à régler les conflits de propriété, genre « le terrain est en bonne possession s’il est clôturé – pondu par ceux qui avaient alors le moyen d’enfoncer quelques centaines de pieux autour de leur domaine. Le premier qui a dit « ceci est à moi », les autres l’ont cru etc…, je vais pas vous refaire la genèse du capitalisme / l’homme est un loup pour l’homme (comment ça, je serais tendancieux, sinon séditieux ?). Toujours est-il que j’avoue être resté un peu hermétique à ce raisonnement accrocheur.

En fait, le problème véritable n’est pas pas ce clôturage obsessionnel et compulsif, à peu près aussi indispensable à un Vénézuélien que consacrer un temps et une somme importants aux loterias, qu’on voit fleurir parfois même dans les villages reculés. Il est que la terre andine vénézuélienne est riche : elle se cultive partout, et notamment le long des routes, très souvent tracées en corniche à flanc de montagne, qui ne sont alors plus qu’une longue succession de petites fermes, dès qu’un coin un peu plus plat se présente. Conclusion, on trouve rarement une petite zone où souffler un peu (sauf à la « terrasse » d’un cafetin, vue imprenable sur les pots d’échappements et supplément vitaminé de poussière de la route en inhalation, dépassement de la dose prescrite garanti), encore moins pour camper.

Le projet initial était de rallier San Antonio de Tachira, à la frontière colombienne, avec Caracas, à un peu moins de 1100 km. Comme d’habitude, l’improvisation a fini par l’emporter, et j’ai parcouru 1350 km pour m’échouer à Trujillo, plus de 600 km avant la capitale ! Première erreur : une fois passée la première batterie (douce) de cols à 2500-3000 m d’altitude, en ligne droite sur Mérida à 75 km devant moi, voilà t-y pas que je me laisse influencer par le vélo, qui en tient pour le circuit de « Los Pueblos del Sur », vanté par la publicité touristique locale. Pour ma défense, la route principale, promise comme désormais bien droite et circulante au milieu d’une vallée densément peuplée, redescendait à l’intérieur du four solaire, jusqu’à 400 m de « bassitude » et 40° de cognitude, tandis que le circuit choisi se déroulait le plus souvent entre 1500 m et 3000 m, dans une région restée assez tranquille.

Cette petite route, certes assez dure (il a fallu plus d’une fois que je pousse le vélo qui ne voulait plus avancer, prétextant que de telles pentes n’étaient pas inscrites dans les conventions collectives), était du reste tout à fait charmante sur ces 250 km sur le versant sud-est des Andes, desservant de petits villages coloniaux aux plazas Bolivar de dinette. Et toute revêtue, fait rare pour un tel itinéraire hors grands couloirs de circulation.

Mérida enfin, aisément atteinte grâce à un vent violent balayant en permanence cette vallée (bon courage pour ceux qui roulent en sens inverse). Bien sûr, il a fallu là aussi que je perde du temps précieux dans la capitale universitaire et culturelle du pays, pour l’oiseux prétexte que le site de la ville est spectaculaire : bâtie en hauteur au-dessus d’une vallée, elle se traîne sur 15 km de long, les plus bas faubourgs à 1100 m, les plus hauts à 1800 m (en fait, certains atteignent même les 2000 m !. Une ville qui pourrait parfois rappeler un des grands centres coloniaux du reste des Andes (Quito, Sucre, Potosi, voire Cuzco), avec ses bâtiments datant des Conquistadores.

L’ennui de Mérida, c’est que systématiquement l’après-midi, voire dès le matin, les sommets sont couverts, et les nuages viennent s’entasser en masse juste au-dessus de la vallée, menaçant de crever. Et puis, la plupart du temps, le lendemain, le ciel bleu revient. Pour deux ou trois heures maxi.

COUCOU AUX CONDORS

Au nord de Mérida commence la montée du Paso del Condor, à plus de 4000 m, le seul passage si haut depuis le Pérou (quoiqu’on puisse dénicher un col à 4031 m en Equateur, pas un m de plus pas un m de moins, le long d’une petite route redescendant vers Guayaquil, sise au niveau de la mer). Surprise : une fois passés les 3000 m, les nuages, poussés par le vent, décident de quitter le fond de vallée, et passent le plus souvent au-dessus des sommets frôlant ou atteignant les 5000 m. La zone est évidemment chouette, justifiant largement une escapade vélocypédique au Vénézuéla depuis la Colombie. Tracée depuis longtemps, cette route, tout comme la majorité des routes principales andines (sauf Equateur / Colombie) n’est pas trop pentue.

Un air de Pérou. Après la végétation dense, très arborée, des environs de Mérida, c’est le minéral qui règne au-dessus de 3000 m. Les derniers villages sont atteints, et j’aborde parfois des zones de frailejones, ces curieuses plantes grasses très particulières à cette zone. Une petite piste pentue sur la gauche mène à l’entrée d’un parc national, dédié aux condors. Malhabile, sinon inélégante dédicace : deux condors sont sous cage, emprisonnés, et n’ont nullement la superbe de ce grand rapace. Ses ailes de géant…

Il fait froid. En tout cas, quand on s’est longuement habitué aux chaudes températures des altitudes inférieures à 2000 m. Au col, le vent souffle, glacé, poussant violemment les nuages venant du fond de la vallée. IL est curieux que les paysages se ressemblent, à plus de 4000 m, à quelque latitude qu’on se trouve. J’aurais bien campé dans les environs, tranquilles à souhait, mais il fait décidément trop froid. J’entame donc la descente, espérant gagner des altitudes plus clémentes, à travers le brouillard bientôt atteint.

Mais qui dit meilleures températures dit cultures, dit fermes, qui comme d’habitude occupent le moindre recoin plat le long de la route, souvent en dangereux équilibre au-dessus du vide. C’est dans un virage, à 3200 m, que je pense avoir déniché l’affaire : une maison visiblement abandonnée dans un virage, avant d’atteindre la vallée peuplée. Visite des lieux. Parfait, ça m’a tout l’air abandonné, à part une paire de bottes traînant dans une chambre sombre. Je m’installe, commence à éparpiller mes affaires sur la table, et à cuisiner.

Soudain une sorte de grognement, venant de la chambre. Non, pas possible, il y avait quelqu’un, dans cet endroit miteux, sombre, sale, en train de dormir ! A la voix très pateuse, je comprends que je ne comprends pas un traître mot de ce que dit le gars, qui semble rester dans sa chambre. Un vieux, qui ne peut pas se lever ? Presque. Un ivrogne, qui finit par se lever, avec des intentions plutôt belliqueuses ! J’opère rapidement un repli stratégique, le gars, un costaud complètement bouffi, se dirige vers moi, et lance son poing dans l’air, que je n’ai aucune peine à éviter.

La peur passée, je réalise soudain que le type est entre moi, mon vélo et les affaires sur la table…dont même mon argent, mon portefeuille et mon billet d’avion ! Je me mets soudain en colère, et c’est cette fois mon ivrogne, complètement penaud, qui bat retraite ! Je récupère mes affaires, réharnache mon vélo, vais pour partir. Voilà mon gars qui vient me mendier de la nourriture (le vin, ça suffit pas à calmer l’appétit), et me fait comprendre que je peux rester. Ok pour la nourriture, mais pas question de rester là, d’ici qu’en pleine nuit il lui prenne l’envie de me piquer le reste de ma confiture aux myrtilles…Finalement, je franchis la clôture proche, qui me permet d’accéder à un coin tranquille, où je peux planter tranquillement. A la vôtre.

Bon, à partir de là, juré, craché, c’est simple, l’itinéraire a déjà été balisé par Maître Thierry Larher, pote de Cyclo-Camping International, il y a 13 ans : tout droit sur Valéra. Voire… Mon Guide Futé me signale un énième village colonial un peu à l’écart : Jajo. Comme si j’étais là pour faire du tourisme, au lieu de tracer un max’…Et pour ne pas monter pour rien la douzaine de kilomètres d’accès en forte pente, je poursuis jusqu’à Tuňame, dernier col à plus de 3000 m avant Bocono. Un intinéraire presque de bout du monde, débouchant sur une assez mauvaise piste une fois le col franchi. Une des rares pistes du pays, la majorité des routes étant goudronnées, même parfois de modestes accès à des villages retirés.

Je croyais, dans un pays où le PNB est plus élevé que la moyenne locale (mais à la richesse probablement aussi mal répartie que chez son géant voisin le Brésil), qu’à 2000-2500 m il ne pouvait pas y avoir de problème avec l’eau. Alors que tout allait bien, la dernière journée à monter le col me découvre fatigué d’un coup, les intestins se mettant à jouer les castagnettes. Et ce sont deux jours que je passerai, dans un champ, un de plus clôturé, mais aisé d’accès par rapport à d’habitude, à me vider et surtotu à récupérer de la fatigue induite. Bah, aussi bien que ça se produise à 2700 m, dans un coin agréable aux nuits très fraîches, plutôt que dans une chambre d’hôtel sordide, moite et étouffante d’une ville bruyante.

A peine la purge des 800 km effectuée, c’estla pluie qui se met de la partie ! Il pleuvra durant deux jours, dont une demi-journée à rouler sur une piste très pentue, accidentée, en assez mauvais état, trnachant avec le réseau encore assez bien conservé du pays – quoi qu’on sente, notamment à Caracas, un relatif abandon depuis pas mal d’années. Le pauvre Hugo Chavez a du boulot, en plus que la haute bourgeoisie locale cherche à tout prix à le déboulonner, avec l’Oncle Sam en sous-main. C’est une nouvelle fois un peu vidé (en énergie cette fois) que j’atteins Bocono, ville en marge des Andes, mais dont on ne peut sortir que par des montées, où qu’on aille. Le parfait type de l’enclavement géographique.

La route que je prends me rabat sur Trujillo, l’autre grande ville andine, retraversant de nouveau l’arête montagneuse qui transperce le Vénézuéla de part en part jusque presque la Côte Caraïbe. En fait, cette dernière ville est d’intérêt moyen, si ce n’est cette immense « Virgen de la Paz », 800 m au-dessus de la vile, en permanence couverte par les nuages dès 10 h du matin, ce qui, en ce dimanche, ne décourage nullement les locaux de s’y rendre en « jeeps collectives ». Et comme à l’aller, c’est un bus climatisé qui me ramène sur Caracas, vélo démonté en soute.

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