LIBAN : LE PROCHE-OCCIDENT

 

 

Arrivée à Beyrouth, via Frankfurt, vers les 2 h du matin, 3 h en local time. Première surprise : j’avais cru comprendre que le visa était gratuit, en fait il faut acheter au guichet précédent l’immigration un timbre, soit à 16 euros pour un séjour de 15 jours, soit à 32 euros pour 30 jours. Si j’avais su cela avant, car mon billet, non échangeable, ne prévoit un retour que dans 18 jours. Bon, on va pas chipoter, jouons les grands ducs.

 

La surprise suivante est nettement moins agréable : si le vélo est bien là, le sac principal manque à l’appel. Il ne contient rien de moins que la tente, la mousse, un duvet, le thermos, des sous-vêtements de rechange. Encore heureux qu’exceptionnellement, j’ai pris avec moi en cabine le poncho, les couvertures de survie et l’un des sacs de couchage, qu’habituellement je fais voyager en soute. Bon, tout cela devrait parvenir par la prochaine liaison. Pour l’instant, je termine ma nuit dans l’aéroport.

 

Le lendemain, c’est un dimanche, pas vraiment le meilleur jour pour arriver, même dans une capitale. Il est vrai que dans de nombreux pays (Inde, Chine, etc…), les petits commerçants travaillent tous les jours, le dimanche n’est souvent qu’une notion occidentale. Et ici, c’est l’Occident. Tout au moins, l’interface de l’Orient et de l’Occident, qui a toujours fait la richesse de cet état moins étendu que deux départements français. Et effectivement, la grosse majorité des commerçants sont fermés – sauf les petits arabes du coin…

 

Maintenant, une tâche pas facile va être de dénicher l’un des très rares hôtels pas chers de la capitale. J’avais cru lire que l’aéroport était à 16 km du centre. Aussi, au bout de 10 km, après quelques détours imposés par des voies rapides étroites, je m’apprête à continuer mon chemin. En même temps, j’ai comme la vague impression de louper quelque chose, sur ma gauche, qui pourrait aussi bien ressembler à une sorte de centre-ville. Le centre d’une banlieue un peu cossue, pensé-je. Et soudain, en tournant sur la droite, l’évidence m’atterrit dessus : sur ma droite, une ruelle, et, écrit en gros, le nom de l’hôtel sur lequel j’avais jeté mon dévolu. Je ne sais même pas si, une fois bien orienté dans le centre, j’aurais pu le trouver, d’après les indications sommaires dont je disposais, mais c’est lui qui vient à moi.

 

Hôtel au confort aussi sommaire que les indications, mais propre. En fait, il s’agit ni plus ni moins que d’un appartement individuel, reconverti en pension (nom impropre, puisqu’il ne s’y sert aucun repas) : le petit salon en guise de réception et salle télé, les trois chambres et la petite cuisine. Il est possible cependant qu’il y ait dans les étages des chambres plus huppées, les doubles à 20 $. Pour ma part, mon choix se portera sur une (la ?) single, à 8 $. Je me vois proposer le dortoir à quatre lits, le lit à 5 $. Réflexion rapide. Le logement est généralement très cher au Liban, et passer quelques nuits à un tel tarif, même avec les inconvénients style « auberge de jeunesse » est tentant. Va pour le dormitory.

 

Beyrouth n’est pas une ville à proprement parler fascinante : 1,5 million d’habitants sur les 4 que comprennent ce minuscule pays, et une ville en totale reconstruction. En fait, dans le centre ville et ses abords, on tombe encore parfois sur certains immeubles abandonnés, voire même un gratte-ciel : les façades sont criblées d’impact, certains murs éventrés. Aucun bâtiment du centre ne semble avoir échappé à cette folie fratricide. Sur certains immeubles juste retapés, on devine même les impacts, plus ou moins habilement recouverts de plâtre-pansement. L’un des cas les plus surprenants est le musée national, où les responsables ont décidé de planquer les pièces mobiles dans un endroit sûr, et de recouvrir sous des coffres de béton les sarcophages, pour la durée de la guerre civile. On s’étonne même que ces mesures simples aient pu être d’une telle efficacité, quand on voit les dégâts un peu partout, et l’aspect miraculé des pièces du musée.

 

Mais la guerre est oubliée : à part quelques rares de ces vestiges, Beyrouth se présente pour l’essentiel comme une ville neuve. Neuve et toute orientale, même si ce terme pourrait faire rigoler des habitués du Pakistan, de l’Inde, de la Syrie ou même de l’Iran. De fait, cette ville pourrait même être agréable, si seulement le Beyrouthin moyen savait ce qu’était un vélo. Le premier jour, j’ai cru qu’il pouvait savoir, en voyant un espace où les bambins circulaient joyeusement à vélo, puis, le long du front de mer, sur les trottoirs, croiser quelques collègues en VTT. C’était une illusion du dimanche, destinée à tromper le cyclo venu de France. Ruse grossière à laquelle je me suis laissé prendre. Hors dimanche et hors promenade du bord de mer, IL N’Y A PAS DE VELO A BEYROUTH ! En fait, il existe une boutique quelque part en banlieue, et probablement des kamikazes qui, comme à Téhéran, s’évertuent à faire des sorties dominicales dans les collines environnantes.

 

Le jour suivant, je décide ainsi de faire une balade à vélo dans les hauteurs, le bagage manquant n’étant toujours pas arrivé. Je demande ma direction à un flic : « à Broumanna ? à vélo ? » Regard incrédule de celui qui a un fou à lier devant lui, qu’il ne faut surtout pas contrarier. Effectivement, Broumanna est une montée assez costaude parfois, surtout que j’ai pris un raccourci pour rattraper mes errements dans les banlieues à trouver mon chemin (errements mis à profit, puisque j’ai pu trouver les recharges de gaz à 1000 livres – 0,6 euro, au lieu de 1500 dans les hypermarchés). Mais montée bien loin d’être impossible (7-8 % de moyenne, avec des passages à 10-12 comme il se doit).

 

En fait, sur ces routes de montagne, le plus pénible est le trafic. Car les banlieues (cossues, ici) de Beyrouth vont loin et haut, et ce n’est qu’à 1100 m que je vais enfin trouver des routes tranquilles. Auparavant, une grosse Mercédès, en me doublant, va trouver moyen de me toucher la main gauche avec son rétroviseur, c’est dire si le coup est passé près ! Quelle idée aussi, pour un cycliste, d’avoir la main sur l’extérieur du guidon… La veille, alors sur le front de mer, une voiture déboule à toute allure du boulevard pour piquer sur l’entrée d’un complexe de loisirs. Il n’a même pas pris le temps de ralentir, des fois qu’un gosse traverserait. Le gosse, c’était moi, et j’ai dû prestement « auto-chuter » de mon vélo pour éviter le choc. J’ai retrouvé là la bonne vieille manière de conduire de Damas…

 

Les sommets à plus de 2000 m, visibles parfois depuis ma randonnée dans les collines au-dessus de Beyrouth, ne semble pas encore avoir de neige sur les sommets. Le jour suivant, ce n’est peut-être déjà plus le cas, car il pleut. Cette journée sera presque totalement gaspillée, d’abord à me rendre à Lufthansa pour me faire remettre un acompte de 100 $ pour ce qui est désormais la perte de mon sac, puis à rechercher des grands magasins susceptibles de remplacer le matériel manquant, le tout sous une pluie battante alors que j’ai oublié tout vêtement de pluie.

 

Comme je m’y attendais, je ne trouverai pas de tente : à l’office de tourisme, lorsque je demandais une adresse où trouver du matériel de camping, yeux ronds de l’hôtesse. « Du camping ? Mais où vous voulez camper ? ». Après le vélo, le camping, ce fou est décidément vraiment fou, plus fou que de chez fou, enfin, fou vous dis-je. C’est fou. Manquerait plus qu’il se trimballe avec un lecteur de CD et un ordinateur portable pouvant lire des DVD… Au BHV (jumelé avec un Monoprix), je vais toutefois dénicher un abri de plage, qui me dépannera peut-être dans la plaine de la Bekaa et ses grands vents. Un abri de plage pour des nuits par -5° ou pire, de pluie torrentielle, génial. Au Simmey proche, il y a non seulement des sacs de couchage (basiques), mais même des matelas mousse. Hélas, modèle couple avec enfant(s), lourd, et surtout cher : le moins cher est à 21 euros, quand je suis habitué à les payer 6 euros. Les « outdoor activities » ne sont pas encore à la mode, ici ça reste plutôt la fringue, la Mercédès, et le dernier modèle de téléphone portable avec percolateur de débiteur de glaçons incorporés.

 

A la sortie, en ne rachetant que l’indispensable (tant pis pour la bouteille Thermos, etc…), je vais certainement avoir dépensé autant sinon plus que ce que la Lufthansa me remboursera, sans compter une bonne journée totalement perdue à galoper sous la pluie dans la ville. De quoi se sentir un peu pigeon (le beyrouth est une sorte de pigeon. Voyageur ?). Mais bon, cette fois je suis fin prêt à parcourir ce petit pays. Avec le risque de trouver toutes les routes de montagne bloquées par la neige.

 

 

 

Départ enfin mercredi 3 décembre, en direction de Zahle et Baalbek, dans la haute plaine de la Bekaa, non loin de la Syrie, mais surtout de l’autre côté de la Montagne du Liban. Le col est à 1510 m, en probablement 30 km (en fait, 23), je sens que je ne vais pas beaucoup me reposer ! Les indications de directions sont rares dans le centre de Beyrouth, et indiquent au mieux des quartiers. Le militaire à qui je demande « Zahle », semble comprendre un autre mot, et m’indique une direction qui ne colle pas avec ce que je pensais (Zalka Highway semble être le nom de la route du littoral). Je reformule en demandant Baalbek, il me regarde, avec tout mon équipement « mais c’est loin » ! C’est surtout haut. Je crois avoir déniché la bonne sortie, qui monte dans le quartier d’Achrafieh. Avec un peu de chance, il s’agit d’une crête, qui se prolonge vers la route principale.

 

Tu parles ! Après être monté à 80 m d’altitude, ce boulevard redescend presque au niveau de la mer. On repart de zéro. Cette fois, parmi les entrelacs inextricables des voies rapides et autoroutes qui encerclent la capitale, je vois « Chtaura ». Il s’agit du carrefour principal menant ensuite soit vers Zahle, soit vers Damas. Ça monte rude, mais les muscles sont tout neuf, je me retrouve bientôt à plus de 200 m d’altitude, parmi une importante circulation sur cette quasi-autoroute. Et voilà que quelque chose me chiffonne : je ne me souviens pas avoir embarqué ma trousse à outils. Vérification minutieuse de toutes mes sacoches : c’est bien ça, oublié à l’hôtel lors de mes préparatifs. Il faut dire que la chambre est petite, et qu’avec quatre voyageurs (dont un Français, un Polonais et un Hongrois, le tourisme routard se diversifie), les affaires traînent un peu partout sous les lits. J’avais pourtant bien contrôlé par deux fois. Et si la banane officiant de trousse à outils s’était glissé sous le lit voisin ?

 

Pronostic exact, une fois revenu à l’hôtel 10 km avant. Rageant. Maintenant, il n’est plus que moyennement question de me diriger vers Zahle : le but était d’atteindre un petit hôtel pas cher à Chtaura, 45 km de Beyrouth. Avec 6 heures de montée avec mon lourd chargement, et la nuit tombant pratiquement à 16h30, ça pouvait se faire encore à l’aise avec un départ à 8h00. Maintenant, à 10h00, ça devient plus incertain. Et puis, je n’aime pas bien refaire la même route, ne serait-ce que pour 10 km. Changement à vue de plan, je pique vers le nord, par la route du littoral, vers Byblos et Tripoli. Je vais notamment passer du temps dans les supermarchés de la sortie nord de la capitale, des fois que je dénicherai un matelas mousse pas cher. Nib de nib, mais de ci de là, quelques appoints en affaires de camping.

 

Jounieh, à une petite vingtaine de km au nord de Beyrouth centre, est en fait incorporé à la banlieue de la capitale. En fait, aujourd’hui, on peut dire que celle-ci va même jusqu’à la sortie nord de Byblos, à plus de 35 km au nord : partout, des immeubles en construction. Jounieh a un joli site, un peu à la Monte Carlo, et au pied d’une falaise verte où culmine une cathédrale ou quelque chose comme ça. Encore une fois, je me fais accrocher, cette fois par un bus, qui passe en force en frottant contre mes sacoches à l’arrière. Les distances, connaît pas. Le pire, c’est que nous sommes sur l’autoroute (seule possibilité entre Beyrouth et Jounieh, sauf à prendre de robustes et longues routes de montagne), et qu’il veut passer en empruntant mon domaine réservé, la bande d’arrêt d’urgence, pour gagner quelques malheureuses secondes !

 

Les deux langues officielles du Liban sont l’arabe et le français. Si ! C’est visible le long des rues et des routes, avec de nombreuses indications dans la langue de Victor Hugo (et de la mienne, mais je sais rester modeste). Un certain nombre de personnes parlent français. Cela dit, l’anglais est en passe de détrôner le français. Cela est déjà très visible au niveau des publicités le long des routes, mais aussi de plus en plus de gens ont des notions dans la langue de la (perfide) Albion, plus que dans celle de la Patrie (Eternelle) des Droits de l’Homme (et de la Femme, mais ne nous écartons pas du sujet voulez-vous). Ce qui fait en pratique le Liban un pays trilingue. Histoire d’ajouter un peu à sa complexité culturelle et confessionnelle (musulmane et chrétienne, druze et maronite).

 

Voici Byblos, sa citadelle et ses ruines de diverses époques. Le site a été très de tout temps peuplé, et assez stratégique. Les fouilles, entreprises d’abord par Ernest Renan, ont été récemment en quelque sorte compilées par le Québec, qui a réalisé un petit musée et des pancartes très explicatives, pratiquement pas besoin de guide. Joli site, en bord de mer, qui semble si loin de l’agitation urbaine proche, avec même une plage de sable juste à côté… Pour moi, la nuit tombe. Je songeais un moment faire, pour cette nuit, du camping sauvage en bord de mer, mais il y a pas mal de monde, et l’entrée du port est surveillé par un militaire, qui irait bien se demander ce que je ferais là. J’opte pour le choix initial : le camping d’Amchit, sans doutefermé en ce mois de décembre.

 

Eh non, il est ouvert ! En fait, aucun campeur, mais des Libanais occupent, peut-être à l’année, certains bungalows, ce qui fait qu’il reste ouvert. Bonne idée. Je vais enfin pouvoir tester le camping avec un modeste abri de plage, en y accrochant des couvertures de survie avec des pinces à linge. Moyennement concluant, mais la première nuit sera calme, donc pas besoin d’un abri sophistiqué. Si ce camping a un entretien qui semble laisser à désirer (ma splendide merde du premier wc, sans chasse d’eau, restera là le lendemain, et même le jour suivant), il a par contre un site magnifique : au-dessus d’une falaise dominant la mer, en direction de Jounieh et Beyrouth au loin. Des lumières partout sur la montagne plongeant dans la mer. Presque féérique.

 

Le lendemain, c’est pour ainsi dire un orage qui me réveille. Un orage, en ce début décembre ! En fait, cela semble courant, ce sont même ces orages qui annoncent les premières pluies hivernales, les premières neiges dans les montagnes. Aujourd’hui, circuit dans les montagnes. Le but est de joindre la station de ski de Laklouk, en principe à un peu plus de 1600 m, via Douma. L’avenir m’apprendra que j’ai été présompteux. D’abord, l’orage à répétition me fera perdre du temps à me rhabiller-déhabiller en permanence, et puis surtout, plus de km que prévu. Je pensais faire un circuit de moins de 70 km, il en fera plus de 90 ! Surtout, je me trouve à franchir deux cols intermédiaires, certes modestement à 1250 m.

 

Arrivé à Douma. Je ne trouve guère d’intérêt à ce village. Ouais, toits de tuiles rouge. Bon, et alors ? Il est vrai qu’en France, c’est courant, alors qu’au Proche Orient, c’est plutôt rare. Je pensais surtout trouver un village ancien, mais comme apparemment souvent au Liban, ce village est assez neuf. Du reste, j’ai l’impression que la moitié du pays est en construction, et pas seulement les anciens secteurs dévastés : il y a une frénésie de bâtissage assez impressionnante. Seule chose qui y réchappe : la voie ferrée, qui courait autrefois tout le long de la côte, entre Israël et Syrie, avec une branche de Beyrouth vers Damas. Pourtant, cette voie ferrée aurait pu servir à aider à décongestionner un peu cette côte surpeuplée, mais non : tout autoroute. Un de ces jours, ils vont doubler l’autoroute actuelle d’une autre, accrochée en pleine montagne comme en Italie, alors qu’une bonne voie ferrée, dédoublée, aurait tout aussi bien permis d’absorber une partie du trafic. Un jour, ils regretteront d’avoir pratiquement tout déferrée…

 

Par contre, côté route, c’est étonnant : la moindre route de montagne est revêtue, et il y en a de partout ! Il est vrai que le pays est très peuplé, la montagne aussi. Avec le manque d’espace, même les villages à plus de 1000 m d’altitude sont constitués d’immeubles, et l’inévitable pompe à essence est là, dans l’endroit le plus reculé. Si « reculé » a une signification, dans un pays si peu étendu. Pour revenir à Douma, voilà que la route reprend sa descente, jusqu’à 900 m d’altitude. Me protégeant sous un porche d’un orage rapide, je fais le calcul : Laklouk doit être à 15 km, avec peut-être un col au milieu. Mmhh, ça ne me laisse guère d’espoir de redescendre sur Byblos avant la nuit. Et descendre une route de montagne de nuit, avec des automobilistes parfois nerveux et toujours non habitués aux cyclistes, ce n’est pas une bonne option.

 

J’opte pour la descente de la vallée, jusqu’à la côte. A priori, j’ai toutes chances d’y être pour 14h30, une demi-heure ensuite pour Byblos, ça ira bien. Optimisme béat, quand tu nous tiens ! Il faut dire, pour ne rien arranger, que les pancartes indiquant les directions, sont quasiment inexistants. Aussi, lorsque la route, qui devait suivre la vallée, se met à grimper, et bifurquer dans l’autre sens, je me dis que j’ai dû louper ma route. J’ai beau revenir en arrière, rien, si ce n’est cette route apparemment privée en contrebas. Je vais bien perdre une demi-heure à tournicoter ainsi, mais finirai par trouver enfin mon chemin. Et la descente reprend. Surprise : avant la côte, il me faudra encore passer deux petits cols que je ne m’attendais pas à trouver. Finalement, j’atteindrai Batroun, sur la côte, juste à la tombée de la nuit ! Je décide de prendre l’autoroute, où je compte sur la bande d’arrêt d’urgence pour être un peu protégé.

 

Calcul moyen : bande d’arrêt d’urgence, oui, mais marquage au sol, zéro, car le bitume semble avoir été refait récemment (disons, il y a un an ou deux). Heureusement, la plupart des véhicules se calent toutefois sur deux bandes imaginaires en partant du terre-plein central, mais je frémis, à chaque passage de semi-remorques, car ceux-ci ont parfois la mauvaise habitude de se coller sur la droite. C’est en pleine nuit noire que je vais regagner le camping, sans bosse. A peine couché, le vent se met à souffler, un violent orage se déchaîne sur la mer. Je décide d’aller passer la nuit sous le porche des lavabos. En fait, bizarrement, l’orage restera vers le nord, mais la situation me donnera une idée pour le lendemain soir : laisser la « tente » de jour pour stocker les affaires, et dormir sous les lavabos la nuit. En plus, électricité pour écouter mes CD et visionner des DVD sur mon portable, que demander de plus ? Une porte, car il fait quand même désormais frais la nuit !

 

Le lendemain, je vais enfin pouvoir atteindre Laklouk ! Par une autre route, car les axes de montagne sont nombreux. Il s’agit même d’un large boulevard, avec éclairage public (en fonction ?) jusqu’à 1100 m d’altitude. Au-delà de la grimpette le long de la crête, c’est une belle route de montagne qui m’attend, terminant dans un décor sauvage, minéral, désert, bien loin de la côte surpeuplée. Laklouk, je suis à 1750 m, il commence à bien cailler, un peu de grésil tombe. Je commence à me voir très mal, les prochains jours, à de telles altitudes, avec mon abri de plage ! Ce Liban, fait de petits villages essaimés sur les flancs d’impressionnantes montagnes à parfois plus de 2000 m, est bien différent de celui de la côte. Pour autant, il n’y respire pas la misère. On pourrait se croire à Chypre, voire dans quelque coin paumé de Grèce.

 

L’idée de dormir près des lavabos n’a pas été si mauvaise : dans la nuit a éclaté un bon orage, bien venteux, de quoi décorner un abri de plage par exemple. Ce bon orage a enfin permis de nettoyer l’atmosphère de sa brume persistante… et surtout, de faire apparaître les premières neiges sur les sommets du Mont Liban. Bon, l’option par le col d’Anaïta à 2300 m d’altitude semble bien compromise. A Tripoli, il faudra que j’avise, car le seul autre accès à la Bekaa est par une route plus au nord, via une région que le site des Affaires Etrangères ne recommande pas. Je connais leur tendance à être très « sécurité-sécurité », mais dans un pays qui sort d’une guerre civile, un type tout seul à vélo en ces temps de terrorisme peut surprendre. 

 

Je décide de retourner à la vieille ville de Byblos : le premier jour, j’ai pu visiter le site proprement dit, mais il était trop tard pour flâner dans les rues. Mauvaise idée : le président Brésilien est de visite, et les militaires quadrillent tout. Moi qui étais venu faire des photos, ils n’arrêtent pas de vouloir m’interdire. Je me demande ce que mes clichés pourraient apprendre à des ennemis, qu’ils ne savent déjà : la couleur des treillis ? Le nombre de barrettes pour un sergent-chef ? Ça m’amuse et m’agace en même temps de voir ces bornés de militaires interdire toute photo, en cette époque où le moindre satellite-espion en orbite donne des infos nettement plus importantes – et où, en faisant mine d’utiliser son portable, on peut désormais faire des clichés aussi valables.

 

En fait, je soupçonne ces gradés de ne pas vouloir porter atteinte au moral des troupes : en recommandant à leurs subordonnés d’interdire toute photo sur laquelle pourrait apparaître quelque chose d’estampillé militaire (du tank au képi), ils continuent de leur donner l’impression à la troupe qu’elle est importante, puisque tout photographe est un espion en puissance qu’il faut traquer. Et que le fait de se protéger des clichés les protège des ennemis. Pour un cliché…

 

Je m’arrache enfin du charmant (et peu coûteux : 3 $) camping de Byblos, pour me diriger sur Tripoli. Premier arrêt, sous le soleil : Batroun, petite ville charmante, qui dispose de quelques vestiges de sa ville ancienne. La zone est encore chrétienne, depuis Beyrouth les mosquées se font rares. Après Batroun, l’ancienne route prend un tracé en corniche, tandis que l’autoroute s’enfonce dans les collines, puis sous un tunnel. Probablement le seul coin de la côte qui soit resté un peu sauvage, non bâti sur quelques kilomètres. Au nord de Batroun commence le Nord Liban : dès Chekka, le décor est planté. Cette petite ville n’est qu’une immense zone industrielle, style conglomérat roumain ou est-allemand de la bonne époque, avec hautes cheminées dégageant des fumées de partout. Peu à peu, je m’enfonce dans une région d’apparence moins riche que la côte entre Beyrouth et Batroun, qui fait déjà plus penser à la Syrie proche.

 

Une douzaine de km avant Tripoli, une église sur la gauche, en bord de mer. Bien sûr, juste à côté, deux soldats en faction près de leur véhicule blindé, et ils viennent au moins à trois fois s’assurer que je ne prends en photo ni eux, ni leur char. Je me demande bien ce que j’irais abîmer ma pellicule avec de tels objectifs ! Encore heureux qu’ils ne m’aient pas purement et simplement interdit de prendre la moindre photo… Cette petite église, ancienne et bien retapée (comme souvent au Liban), est absolument délicieuse. Il est tout de même surprenant de voir des peintures murales connues, avec autour des phrases en arabe !

 

Tripoli est ? La capitale de la Libye bien évidemment, merci d’avoir tous répondu bien en même temps. Mais c’est aussi la deuxième ville du Liban, et, surprise, il ne s’agit pas de la même ville. Cette ville aussi a souffert de la guerre civile, mais surtout de la présence de Yasser Arafat, que les Syriens voulaient à tout prix déloger – ne parlons même pas des Israéliens. Autre grande ville du pays (Beyrouth et Tripoli doivent réunir près des 2/5èmes de la population totale du pays), il est donc possible d’y trouver quelques hôtels pas trop chers.

 

Je ne trouverai pas la Pension Haddad qu’on m’avait recommandé pour le prix (je verrai plus tard l’inscription, bien au-dessus de la ruelle), j’opte pour l’hôtel d’en face. En plein travaux, j’y ai une chambre spacieuse pour 10 $ la nuit, petit déjeuner inclus. Bon, après tout, pourquoi ne pas se payer un peu de confort, au lieu d’un lit dans un dortoir, avec le risque d’oublier mes outils ou autre chose en partant ? Un peu d’intimité, ça se paye. Et puis, le petit déjeuner s’avérera effectivement copieux.

 

Tripoli a vraiment quelque chose d’une ville italienne, de ces villes populeuses du mezzogiorno. Contrairement à Beyrouth, les séquelles de la guerre s’y voient nettement moins, alors même que les moyens mis en œuvre pour en effacer les conséquences ne sont certainement pas aussi gigantesques que pour la capitale. Cette ville se targue d’être un musée à ciel ouvert, et ce n’est pas faux. Dommage bien sûr que tout cela sente un peu le décrépit, avec tous ces « khans » en bien piètre état au fond de souk très passants. Par contre, le petit guide en français qui m’est remis à la Citadelle Saint Gilles est agréablement fait, mieux que n’importe quel guide général sur le Liban  Je me perds de temps à autres dans ces ruelles impossibles. On est ici un peu plus proche de la Syrie que de Beyrouth : la ville est franchement musulmane, et a même, de part ses vestiges, un aspect presque turc. Ce qui est normal : elle a été tenue par l’Empire Ottoman, avant d’être « remis » aux mains des Français, pour une vingtaine d’années qui ont tout de même bien marqué le pays.

 

Je reconstitue ici quelques forces, avant d’aller affronter la haute montagne. Le beau temps semble s’installer, et lors d’une petite montée dans les collines dominant la mer, je distingue au fond la crête culminant à 3000 m, à peine enneigée. Surtout, les lacets terminaux de la route la franchissant se voient bien, et hors neige. Tiens tiens, avec un peu de chance… Après trois nuits ici, je me lance, vers la vallée de la Qadisha. Le premier soir me mène à l’entrée du monastère de St Antoine, plantée au fond d’une gorge inaccessible avant que la route ne soit taillée dans la roche. Je déniche un magnifique abri sous roche, un peu au-dessus d’une petite route parfaitement déserte. Un seul regret : en partant plus tôt, j’aurais pu prendre des photos avant la nuit, alors que le monastère devait être parfaitement éclairé. Le matin, il restera dans l’ombre.

 

J’ai dormi vers les 900 m, mon souhait le lendemain est au moins d’atteindre Bcharre, la petite capitale de cette région de confession maronite, à 1400 m d’altitude. Il est tout de même surprenant, dans un pays qu’on imagine musulman, d’avoir des femmes qui viennent me parler sans complexe le long de la route, comme s’il s’agissait d’Européennes. Depuis quand une femme se croit permise de parler à un Etranger ? Le foulard sur les cheveux, et yeux baissés devant l’Homme, non de non ! Oui, mais ici, c’est chrétien. De confession et de foi athée, j’ai toujours été plus tenté de « bouffer du curé » qu’autre chose, mais, et bien que je reconnaisse que notre jugement sur l’islam est forcément faussé de par le long contentieux historique (qui doit dater non seulement de 732, mais aussi du temps des Croisés), je me sens disons moins dépaysé dans une région chrétienne : j’y retrouve de rassurants symboles connus (la croix, la vierge etc…).

 

Et puis, qu’on le veuille ou non, les femmes semblent tout de même s’y exprimer plus librement que n’importe quel pays musulman. On pourra toujours me raconter des heures et des heures que l’islam est une bonne religion, une religion est avant tout ce que les hommes (et surtout… ce que les hommes) en font. Je ne doute pas que le jour qu’un pays musulman sera réellement développé (mis à part les royaumes pétrolifères), la femme y sera un peu plus l’égale de l’homme, mais je constate que, même en Amérique Latine, pourtant pas spécialement plus riche que bien des pays musulmans, les femmes y paraissent nettement plus autonomes, malgré le « machismo ». Et pourtant, même chez les chrétiens, la femme n’est que là pour seconder l’homme ! J’ai une certitude absolue : si un jour je me mets à embrasser une religion (sur les deux joues, restons pudique), ce ne sera sûrement pas l’islam. A la rigueur le bouddhisme (qui n’est du reste pas une religion, mauvais exemple).

 

En fait, je pense difficilement sombrer dans de tels abus : pour moi, les religions, malgré leurs efforts louables d’essayer de s’adapter, ont une tare d’origine : leurs concepts de base ont été fixés, figés une fois pour toute un beau jour, parfois de la bouche de leur prophète. Et ce, à des époques où les évolutions des sociétés étaient loin d’être aussi rapides qu’aujourd’hui. Et si leurs grands principes généraux, leur morale, restent applicables (tout simplement parce qu’ils ne font que reprendre, compiler ou synthétiser, ce que l’homme avait créé avant : tu ne voleras point, tu ne tueras point, etc…, bref un plagiat éhonté), tout le reste ne peut être jamais remis en question, car cela serait sacrilège. Un communiste peut très bien dire « Marx s’était trompé là et là », ou bien « On doit rénover la pensée de Marx ». Allez dire « Jésus s’était trompé » ou « on doit rénover ce que Mahomet a dit » ! Et pourtant, au grand jamais les principes applicables à l’homme et à sa conduite en société ne pourront être figés ad vitam aeternam. De la vanité des religions, leur prétention risible de se croire supérieures à l’humanité, avec leurs air faux derche de pseudo-humilité.

 

Revenons à la Qadisha. Un temps superbe ! Avec ces bonnes pentes, je sue à grosses gouttes dès le matin, sous un soleil insolent, en ce presque mi-décembre. Quelqu’un de rencontré me dit bien que je vais trouver de la neige, mais il est de plus en plus évident que la route vers la Bekaa est ouverte. Plus tard, j’apprendrai que les autres années, dès mi-novembre, il est impossible de passer, la neige est déjà trop épaisse. Cette année serait exceptionnelle donc. J’arrive à Bcharre, il est 13h15 : pour le moins, je peux atteindre la station Al Arz (les Cèdres), autour de 1800 m : je devrais, avant la nuit, y trouver un abri pour dormir. Vu qu’il n’y a pas encore de ski, je devrai pouvoir dénicher un coin tranquille.

 

L’ancienne route en lacet borde l’amphithéâtre de la vallée de la Qadisha, avant de gagner les quelques cèdres qui ont pu résister à une exploitation effrénée, qui date au moins depuis les Romains : preuve que la Révolution Industrielle n’est pas la seule à avoir fait des dégâts ! Je me trouve à la station inférieure (1840 m) vers les 14h, il me reste 2h30 avant la nuit, et le col qui doit être à 2300 m : c’est donc faisable d’atteindre le sommet de la route une demi-heure avant la nuit. Après tout, on ne sait jamais : il fait beau, et l’anticyclone semble bien installé, mais si près de la Méditerranée et de ses changements fantasques et parfois brutaux de météo, il peut aussi bien neiger demain. Alors je continue.

 

En fait, le col s’avérera être à près de 2600 m ! Soit, depuis Bcharré, plus de 1200 m de montée en guère plus de 15 km, et 2100 m depuis le matin, avec quelques redescentes intermédiaires. Jusqu’au col, alors que le soleil brillait et le vent dans le dos, j’étais en tee-shirt, alors que les deux derniers km, la neige fait son apparition de part et autre de la route. Au col, changement de décor. Le soleil disparaît, il fait soudain froid, et même avec tous les vêtements sur le dos, je peine à avoir chaud. Je distingue tout en contrebas le village d’Aïnata, qui a donné son nom au col, presque 1000 m plus bas ! Les derniers km, il fait quasiment nuit. Je vise la première maison, 1 km avant le village : elle semble déserte, il y a une fontaine avec un mince filet d’eau, un petit rebord de toit sous lequel dormir, c’est parfait. En fait, je vais prendre froid ici, pas remis de ma descente gélifiante, et alors qu’à 1600 m, il ne fait encore pas bien chaud.

 

Jusqu’à ce que je me rende compte que le propriétaire des lieux ne sera pas là ce soir, et que surtout, la porte de l’annexe contre laquelle je me suis frileusement installé à préparer ma soupe ne tient que par un fil de fer, qu’il m’est aisé de défaire : une petite pièce, encombrée de tuyaux d’arrosage, mais avec un lavabo et des WC, avec même la lumière et une prise électrique, bref tout le confort sur le palier. Et une nuit un peu moins fraîche que si passée dehors, comme je m’apprêtais à le faire. Et me voilà tranquillement à visionner un DVD avec Mel Gibson dans un appenti de jardin (en dur) !

 

Le lendemain, même ciel bleu, et il fait assez bon. Baalbek n’est qu’à moins de 30 km, d’abord en continuant la descente dans une assez belle région de colline, puis un long faux-plat dans une plaine monotone, assez peuplée, de nouveau circulante. Paradoxe : pour 6 dollars, je n’ai qu’un lit dans un dortoir (mais je serai le seul client cette nuit), avec une faible lumière, pas de prise électrique, bref pratiquement moins de confort que dans mon refuge de la nuit passée.

 

Baalbek possède des ruines réellement imposantes, à peine moins chargées d’histoire que celles de Byblos, mais nettement plus impressionnantes. J’y tombe en pleine visite d’une véritable armée… de militaires Libanais. Pourquoi Libanais ? Ne serait-ce que parce que, à ma grande surprise, j’y vois même quelques femmes, quelques « péfates », tout à fait féminines, et que j’imagine mal l’armée syrienne avec des femmes. Même si la famille régnante (les El Assad) ne doit pas être beaucoup plus croyante que ça, je doute qu’ils aillent énerver les religieux de leur pays (dont les obtus intégristes de Hama, la quatrième ville du pays) en incorporant des femmes à leurs troupes. C’est grâce à ces troupes que je rentre, un peu sans le faire exprès, gratuitement dans le site (en fait, tout de suite, je pensais entrer dans une annexe au site principal). Par contre, alors que je me suis heurté à Byblos à des militaires qui ne devaient pas apparaître sur mes photos, et comment je fais, là, avec ces centaines de treillis n’arrêtant pas de défiler devant mon objectif ? Avec même certains qui posent visiblement, espérant être figés pour la postérité autrement que par une explosion.

 

La ville de Baalbek, une des plus proches de la frontière syrienne (guère plus de dix kilomètres à vol d’oiseau), fait assez nettement penser justement à une ville syrienne, du moins de ce que je m’en rappelle de mon passage en 1995. Même Tripoli n’est pas aussi nettement marquée, de par son appartenance au littoral libanais. Il ne me reste plus que 4 jours avant de reprendre l’avion, mais Beyrouth n’est plus guère qu’à 80 km. Incroyable, cette diversité, en si peu de km… La ville est à dominante chi’ite, et l’on peut le remarquer, comme dans la banlieue sud de Beyrouth, avec la persistance de portraits de ce bon vieux Khomeyni. Je reviens il y a peu d’Iran, comme ça je ne suis pas dépaysé !

 

Pour autant, si la majorité des femmes ont les cheveux revêtus d’un foulard, sans plus (pas de ces « sacs à patates » vus en Syrie, à Hama), d’autres se promènent en tenue tout à fait occidentale. Et même avec le foulard, rien n’interdit, le plus souvent, d’avoir ses yeux tombant par (pur) hasard) sur les fesses rebondies du jean en dessous du foulard (enfin, juste un peu en dessous). J’ai quand même vu un panneau publicitaire, en bord de route, vantant des dessous féminins relativement affriolants : le triangle incriminable était passé à la peinture blanche par un offusqué. Après le carré blanc de notre jeunesse, le triangle blanc.

 

35 km séparent Baalbek de Zahle, la grande ville de la Bekaa. Mais cette route, partiellement à chaussées séparées, n’est en fait qu’une rue, qui se prolonge même une douzaine de km au sud-ouest de Zahle, en direction de Beyrouth : les maisons, des entrepôts, des commerces partout. Cette plaine de la Bekaa est riche, tout au moins en terme d’agriculture. En fait, on est certainement assez proche du niveau de vie syrien proche, tout y fait penser. Le plus pénible, c’est non seulement le trafic transitant (et si possible rasant le cycliste), mais ces véhicules manoeuvrant sans cesse autour, sans trop se soucier du cycliste. Encore heureux, les gosses ne sont absolument pas agaçants. Du reste, depuis que je suis au Liban, je me demande où ils sont : je suis tellement habitué, dans tous les pays traversés, à ces ribambelles de gosses à toute heure de la journée, qui accourent, qui fondent sur le cyclo-voyageur qui apparaît !

 

Une petite relâche : la montée au village de Niha, avec ses ruines imposantes d’un temple romain. Je passe Zahle assez rapidement : d’une part, assez faible intérêt, d’autre part je ne désespère pas revenir un de ces jours au Liban, en particulier tournicoter dans les montagnes au-dessus de Zahle : les routes et pistes semblent y être légion, et la zone totalement désertique, contrairement à la frénésie en basse altitude de part et d’autre de cette chaîne montagneuse qui coupe le pays en deux.

 

J’arrive au carrefour de Chtaura, banlieue à 7 km de Zahle. Encore heureux que la montée au col vers Beyrouth soit probablement de temps en temps non construite, car on pourrait aussi bien parler de banlieue de Beyrouth, à 45 km de là ! Un seul hôtel ici, mais l’avantage est qu’il est l’un des rares pas trop cher. On me demande 10 $, jaugeant de l’extérieur, je me dis que 5 $ dans de nombreux pays seraient déjà cher payé ! En fait, s’il n’a pas le confort de celui de Tripoli, il est correct (sans eau chaude), et je finis par négocier une chambre tranquille avec toilettes et balcon pour 15 $ les deux nuits. Vu le niveau des prix de l’hôtellerie libanaise, je m’en tire bien. Surtout que, même s’il fait toujours très beau, les températures fraîches de la nuit et surtout la faible durée diurne ne m’incitent guère à déballer mon abri de plage, dans une zone de plus aussi habitée et cultivée.

 

Du coup, je pars donc pour un petit circuit autour de Chtaura. En fait, le but initial était juste de me rendre à Aanjar, et revenir par Dekweh. Mais, comme souvent, en cours de route, je finirai par opter par une boucle un peu plus sérieuse, m’occupant jusqu’à la tombée du soir, en flirtant presque avec la frontière syrienne dans la région de Yanta. Mes infos, puisées sur internet et avec de récentes pancartes sur le terrain, me laissaient accroire une quantité phénoménale de ruines anciennes. En fait, très très ruinées probablement, et si les pancartes indiquent bien le début depuis l’axe principal, après, il faut se débrouiller. Je tomberai bien sur certaines d’entre elles, un peu par hasard, mais la plupart me resteront invisibles.

 

Celles d’Aanjar valent le détour, malgré leur aspect très ruiné. C’est en fait cet aspect ruiné aussi qui les rend si intéressantes, car la plupart du temps il s’agit d’arcades, dont les cintres tiennent encore comme par magie. Ce vaste quadrilatère, encore bien visible sur le terrain, ne date que de 1200 ans, et est en bien mois bon état que certaines solides constructions romaines vues auparavant. En fait, le temps n’est pas le seul responsable, cette belle cité étape ayant été méticuleusement détruite peu après son édification. Au jour d’aujourd’hui, il n’y a plus guère que les talibans pour être suffisamment rustres pour détruire les signes d’autres cultures. Eux et les hindous (qui ont détruit une mosquée il y a quelques années).

 

La météo change : tout le reste de la journée, je vais lutter contre un vent violent, un peu variable quand à la provenance, sauf que la seule donnée fixe, c’est que je l’ai dans le nez, quelque direction que je prends : je me dirige plein est ? Il vient à toute force depuis la Syrie. Revenu vers l’ouest, je me dirige vers le nord ? Derechef, il vient me proposer une lutte inégale. Du coup, je laisse tomber Dakweh, non loin de ma route du retour au bercail, qui pourtant me promettait un temple romain presque neuf clés en main. La nuit me laisse redouter le pire : orage, pluie…

 

Finalement, le lendemain, tout est un peu calmé. Certes, le plafond de nuages est bas, mais au moins il ne pleuvra pas. Une rude montée m’attend entre Chtaura et Dahr el Baïdar, 600 m plus haut à 1510 m. En fait, il y a près de 10 km, mais la montée se fait parfois par à-coups, ce qui fait le plus souvent une pente à 8 %. Le plus étonnant est de voir les traces d’une ancienne voie ferrée (construite par les Français, cocorico), qui arrivait ainsi à grimper, en moins de 30 km à vol d’oiseau, des 0 m de Beyrouth à 1500 m, puis redescendre à 900 m dans la plaine de la Bekaa, avant de franchir un nouveau col avant Damas, sans doute plus aisé vu le grand détour alors effectuée. Quand on voit la quasi-saturation de la route du col, et les coûteux travaux qu’il faudra pour la dédoubler un de ces jours dans ce fort relief, on se dit que là encore, les autorités libanaises auraient été bien inspiré de conserver ce rail, pour desservir la populeuse Bekaa depuis Beyrouth.

 

Me revoici justement à Beyrouth, au terme d’une longue descente. Dire qu’à l’origine de ce voyage, je voulais faire ce trajet en sens inverse ! Il s’agissait certes déjà d’une rude montée, 1500 m en 26 km (avec même des replats et de courtes redescentes !), mais surtout, route circulante, traversant d’interminables banlieues presque jusqu’au col, sans de très jolies vues sur la côte. Gageons du reste que dans une quinzaine d’années, le parcours Beyrouth-Dahr el Baïdar-Chtaura-Zahle-Baalbek (soit plus de 80 km) ne sera qu’une immense rue, peuplée tout du long. C’est déjà bien entamé, il ne reste plus que quelques stupides centaines de mètres ou un ou deux kilomètres de zones non encore construites. D’ici là, on aura aussi un parcours Tripoli-Beyrouth-Saïda-Tyr également bâti, sur 160 km.

 

On décrit souvent le Liban comme la Suisse du Proche-Orient. Pas pour les transports en commun et l’urbanité des relations sur la route en tout cas. En fait, je comparerais plus ce pays à Hong Kong : une sorte d’Etat-confetti, avec des secteurs très urbanisés, une circulation démentielle, la quasi-ignorance du phénomène vélo, l’aspect interface économique (Hong Kong pour la Chine, le Liban pour le monde arabe) avec le monde occidental – et malgré tout certains secteurs naturels encore préservés. Au moins, faute de câliner le cycliste, au Liban il n’est pas interdit de rouler à vélo dans les montagnes !

 

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