KIDOU ET TIKON SONT DANS UN HAUTEAU

 

Kidou - Dis, pypa, c’est vrai queu, quand tétez geune, les gens y conduisaient des notos ? (1)

Pypa - On disait pas noto, mais baniol, mais oui, c’est vrai

Tikon - Oh, les keujavaplou ! (2)

Kidou - Aigus les ragards salazar ! (3)

Pypa – Ben oui, ça bouffait la nature à force de faire partout des autoroutes, ça bouffait la planète à force de creuser pour brûler le pétrole, ça tuait plein de gens,  ça rendait malade avec plein de cancer avec toute la pollution, ça nous a détraqué tous les climats, ça les rendait fous une fois au volant, mais on ne savait pas comment faire autrement

Tikon – Un peu comme les Croisés qui savaient pas que ça servait à rien de zigouiller tous les infidèles ?

Pypa – Un peu. C’est bien plus tard, une fois que pratiquement tout le pétrole a été brûlé ainsi, qu’on s’est rendu compte que celui-ci aurait pu nous aider à combattre les épidémies de ogéhemilose qui sévissent depuis sur Terre, quand la température dépasse 30° en hiver. Depuis, plus aucune ressource sur Terre n’est apte à lutter contre ce fléau.

Kidou – Pourquoi pypa, y’ zavaient pas 30° à noël ? Mais alors, y’ faizaient pas des bonhommes de sable ?

Pypa – Ben non, les bonhommes étaient en… euh, le truc que vous avez vu lors des incendies quotidiens de forêts de cactus sur externet, le type qui agitait une grosse bonbonne…

Tikon – Oui moi jchais : de la meije ! Ça rendait pas malade, ce truc blanc ?

Pypa – Parfois si, un bon rhume, mais à l’époque, les médicaments étaient remboursés, et les industries pharmaceutiques faisaient encore des remèdes pour ceux qui gagnaient moins qu’un cadre sup. En ce temps, les fonds de pension et les actionnaires ne demandaient encore qu’un rendement à 15%, ce qui était considéré comme usurier, qui aurait dû tomber sous les lois de l’enrichissement sans cause. Depuis qu’on est passé à 25%, évidemment, on les comprend, faut que ce soit rentable…

Kidou – C’est pour ça que le voisin est mort d’un panaris ?

Pypa – Ben oui. Surtout que, comme son portable était tombé en panne, il ne pouvait appeler aucun membre de sa famille, aucun de ses amis. Nous, ses voisins, c’était quand même pas à nous de nous en occuper, les portables, c’est fait pour ça : chacun pour sa tribu, son clan !

Tikon – Y parlaient adéfois aux zétranjé, dans la rue (frisson) ?

Pypa – Mais tu sais, à l’époque, on commençait tout juste à être des étrangers les uns pour les autres. Après quand chaque personne a pu se faire greffer son nano-portable dans l’oreille droite, chaque clan a commencé à créer sa propre langue. A partir de là, d’une maison à l’autre, on ne pouvait plus se comprendre, alors qu’on se comprend avec les membres de la tribu à l’autre bout du monde, parce qu’ils sont du même monde. Euh, oui, enfin. De toutes manières, ça ne sert plus qu’on se comprenne, depuis que la Banque Mondiale Indépendante décide de qui est Président.

Kidou – Ah vi, ah vi, la métresse, elle nous a dit qu’avant, eh ben les gens y zallaient une fois tous les deux ans à l’école le dimanche, et pis y prenaient un bulletin de note,…

Pypa – non, de vote

Kidou – euh ouais, et pis y décidaient qui leur mettrait la fessée

Pypa – Ouais, bon, en gros, c’est ça, sauf qu’au départ, c’était pour décider collectivement de la gestion des affaires. Mais les gens, qui se croyaient libres de leur choix, n’ont souvent jamais compris qu’ils étaient encore bien plus manipulés que dans une dictature, par des moyens bien plus insidieux…

Tikon – ainsi dieu ?...

Pypa – Euh oui, quelque chose comme ça, et puis « il faut se serrer la ceinture », et puis « travailler plus pour gagner plus », ou encore « les fonctionnaires, ces nantis », bref, les gens étaient complètement saturés par la pub politique, et puis au fond ça les arrangeaient bien de faire semblant d’y croire : on leur permettait de détruire la planète avec leur voiture individuelle qui leur permettait de ne pas passer pour des ploucs à vélo ou dans le bus, on les faisait rêver avec leur futur pavillon individuel qui les endettait pour une bonne moitié de leur vie active, leur faisant fermer leur gueule…

Kidou – pypa !

Pypa – euh, leur bouche…

Kidou – mais non, pypa eh, gueule, sassdit plus, on dit maintenant : leur trouduku d’vant !

Pypa – Oui, donc, vos aïeux, c’est ceux-là qui vous ont façonné la Terre comme vous la connaissez aujourd’hui. Y’en a même qui disent que Adam et Eve ont fauté à ce moment-là, alors qu’ils avaient le paradis sous la main. Au départ, ils ne savaient pas, mais même quand ils ont réalisé qu’ils créaient une situation cent mille fois pire que les bombes atomiques de l’époque, ils ont continué : ils ont fait semblant de vouloir croire leurs présidents, qui prétendaient que grâce à la science, à la voiture électrique, au piégeage du carbone et tout ça, tout serait mieux qu’avant. En fait, ils se fichaient parfaitement de vous, et se donnaient bonne conscience en achetant équitable à l’hypermarché du coin, et en disant dans les sondages qu’ils étaient pour Nicolas Culot, contre le cancer, contre la mort, contre les 35 h et pour le rasage gratis des bonnes terres pour construire de nouveaux parkings.

Tikon – Ouh les streujavamons !

Kidou – C’est pour ça qu’on vit dans des blockhaus semi enterrés, avec nos masques à gaz sur la tête ?

Pypa – Ben oui. De toutes manières, vu l’épais brouillard jaune dehors, et les radiations de toutes sortes, vous voulez voir quoi, et aller où ?

Tikon – Ouais, ben adéfois, y parait qui zallaient tous en famille au bord de… au bord de la…

Kidou – Oui oui, moi jchais, l’amer ! J’ai vu ça l’ôt’ jour sur externet. Y’en avait même qui allaient dans l’eau, bueuark !

Pypa – En ce temps là, l’eau était encore assez propre, pas du tout amère, on appelait même notre Terre la Planète Bleue. Evidemment, aujourd’hui, il faudrait parler de la Planète Chiotte. On buvait même l’eau à table.

Tikon et Kidou (en chœur) – Noooooooon ??? Les pauvres, vous n’aviez pas de Kaka Kola ? Ni de Hellérade ? He-llé-rade, la bois-son-pas-pour-les-pèdes (ils reprennent machinalement le jingle publicitaire de la marque, diffusé en boucle à l’écho-le) (4).

Tikon - Mais dis-donc, à boire de l’eau sans rien dedans, y devaient pas être bien gros ?

Pypa – Ah ben oui, évidemment, ils faisaient rarement 120 kg à 9 ans comme vous ! Mais ils vivaient plus longtemps. 55 ans, ce n’était pas l’espérance moyenne de vie, c’était parfois l’âge où ils arrêtaient de travailler, et l’Etat leur versait une rente mensuelle.

Kidou – Noooon ??? On les payait à rien faire ?

Pypa – Eh oui. Ils ne restaient pas, le nano-portable branché en permanence, pour suppléer à tout moment du jour ou de la nuit, à un surplus d’activité dans leur méga-entreprise, jusqu’au jour de leur enterrement. On appelait ça « conventions collectives », « droit et santé au travail », des ringardises bien passées de mode aujourd’hui, dans un monde libre et heureux, où chacun peut croire qu’il peut devenir riche en plumant les autres.

Tikon – Ben dis-donc pypa, yzétaient bisards (zarbi, en argot lenvairt de 2080) nos zaieux. Mais pourquoi yzont détruit tout le continent à Ziatik ?

Pypa – Ah oui, la quatrième Guerre Sainte contre les Forces du Mal ! A l’époque, Vador, euh, Bush Jr Jr Jr enfin, le quatrième de la dynastie, s’est rendu compte qu’à force de libéraliser, de faire produire ailleurs pour que les USA (et les Européens dans leurs traces) puissent continuer à piller allègrement les ressources du monde, eh bien de nombreux pays finissaient par leur faire concurrence, aussi bien pour les marchés que pour les ressources. Tant que ça permettait d’appauvrir les Américains et Européens ordinaires, et les rendre encore plus esclaves, c’était bon. Mais à force, il y avait même de gros patrons dans ces pays. Alors, grâce aux progrès de la science, ils ont expédié des bombes nano-quantiques (5) sur toute l’Asie, pour qu’ils arrêtent de nous voler notre pétrole, que l’Arabie c’est à nous, à part qu’y a des sales musulmans qui faisaient rien qu’à nous embêter à pas vouloir continuer à nous le filer pour rien. Ça n’a pas servi à grand’ chose, car dix ans après cette guerre juste, il n’y avait plus de pétrole nulle part dans le monde. Mais bon, au moins on leur a montré qui étaient les plus forts. D’ailleurs, le gros nuage vert que vous voyez au-dessus de vous, c’est celui-là qui a détruit l’Asie, il y a trente ans de ça, c’est vous dire.

Kidou (commençant à tourner la tête) – ah oui, l…

Pypa (affolé, mettant la main devant le visage de l’inconscient) - Attention, ne le regardez même pas, ça détruit les pupilles ! On vous l’a pas dit, à l’échole ?

Tikon – Ben tu sais, on apprend comment avoir toujours de la place dans l’estomac pour un autre Mc Beurre-Guerre, et en combien de temps on peut vider un litre de Pipi-kolarific, mais à part ça… Mais y sont gentils, les maîtres.

Pypa – C’est vrai que depuis que ce sont les entreprises qui les payent et qu’ainsi on a la liberté du choix de l’école (Bouygues School, TF 1 School, Lyonnaise  School), ils ont intérêt à être gentils, s’ils veulent qu’on ne change pas de crémerie – euh… Avant, c’était la quasi-dictature bolchevique de l’Education Nationale, service public…

Kidou et Tikon en chœur (réflexe conditionné par images subliminales, au mot « service public ») : bouououh !!!

Pypa - … ils prétendaient alors qu’il fallait la même éducation pour tous, que le système devait être collectif. Maintenant, c’est bien, si on a de l’argent, on peut se payer de bons maîtres, juste pour soi. A part qu’on n’a pas d’argent. Mais au moins, on a le droit. C’est ça, la vraie liberté.

Kidou – Mais pourquoi, une fois le pétrole fini, ils ont continué en brûlant tout le charbon, puis tous les arbres ?

Pypa – les gens étaient affolés par le nucléaire, qui pouvait offrir dans l’immédiat une énergie pas chère, et presque propre. A part qu’à terme, se posait le problème des déchets, etc., et puis, si certains avaient une vision globale de la chose, les autres, c’est juste que ça leur faisait peur, comme ça, sans bien réfléchir, alors que 5000 mors par an sur les routes, ça ne les a jamais inquiétés. Donc, dans tous les pays, d’abord l’Allemagne, puis le reste de l’Europe, et même, bons derniers, aux USA, l’opinion publique a fini par rejeter ce mode d’énergie. Mais en même temps, ils voulaient continuer à avoir toujours plus de climatisation, toujours plus d’appareils dévoreurs d’énergie (piscine personnelle à bouillons permanents…), il fallait bien produire, pour éviter de les mécontenter. Sinon, ils auraient fini par comprendre que le système économique ne servait que les riches, et qu’ils n’avaient plus aucune miette à en espérer : ça aurait été la révolution ! Alors, sans se soucier de l’avenir des générations futures (vous), ils ont brûlé le reste.

Tikon – Et les énergies renouvelables ? J’ai lu ça dans un e-livre ?

Pypa – Après l’euphorie du début, elles se prêtaient mal à un rendement boursier de 15% l’an, encore moins avec les 25% exigés euh, demandés, aujourd’hui. Ils ont vite laissé tomber, il aurait fallu que les Etats aient assez d’argent pour soutenir les filières, mais comme tout avait été privatisé, et que c’était les entreprises qui avaient déjà tout l’argent et le pouvoir…Il aurait fallu aussi que les gens soient conséquents : on ne peut manger que ce qu’on a dans son assiette. Ils ont mangé dans la leur, puis dans la vôtre, à crédit. Y’a plus rien aujourd’hui pour rembourser la dette contractée auprès de la Nature…

Kidou : n’empêche, ça devait pas être marrant, ils étaient toujours obligés de choisir, ils pouvaient décider de leur avenir. Tandis que nous, c’est chouette, on a des guides spirituels !

Pypa : c’est vrai, nommés par le CFPGA (Club des Fonds de Pension et Grands Actionnaires). Pas besoin de se creuser la tête, elle reste ainsi disponible pour absorber la pub à la télé ! Allez, les enfants, il est l’heure d’aller dormir. N’oubliez pas la prière pour nos guides…

Kidou et Tikon (agenouillés) : que votre volonté soit faite, que vos profits soient juteux, que les pauvres s’imaginent toujours devenir un jour riches…

Pypa : … et n’oubliez pas de ne pas éteindre la lumière, afin de continuer à consommer pour le plus grand bénéfice (kling !) de nos guides. Amen.

 

(1) oui, je sais, en 2080, l’aurthôgraf s’est pas amélioré. La suite du texte, nous avons corrigé ces impardonnables erreurs. Certains termes ont cependant échappé à notre vijilense

(2) plouc, en verjalan de 2080

(3) jeu de maõ chinois 2080 intraduisible en 2008 (Google n’ayant pas encore inventé le traducteur d’une langue future – d’où l’expression « ferme ta google »). Une seule certitude : les problèmes graves sont devenus aigus.

(4) en 2080, les homosexuels ayant réussi à se faire reconnaître des droits par rapport aux discriminations, la publicité toute-puissante a obtenu en contrepartie le droit de diffuser de tels messages modernes, innovants, et non discriminatoires (la pub se moquant ainsi de tout le monde sans exception) afin que les gens se les approprient et qu’ils les fassent vivre, tout comme (nous citons) « contrairement aux femmes (toutes des blondes salopes), au moins, votre chien se rend utile en aboyant lorsqu’il voit un étranger près de votre maison. Forcément un sal nègre ou un enc… de youpin ».

(5) femto-quantique, ça aurait eu plus de gueule®, mais l’expression® est déposée® par Matrique Industries®, donc® (euh, non, quand même pas, « donc » est un mot libre de droits, il fait partie du service universel du langage), je me rabats sur les nanos, dépassés en 2080, tombés dans le vulgaire domaine commun tout juste bon pour les has been®… (on se rabat, parce que jamais on ne sera haut).

 

Bien entendu, il s’agit de pure fiction (en fait, la situation sera alors cent fois pire !). En avant vers un monde toujours meilleur, avec les (vrais) nantis pour nous conduire sur le chemin, tel Panurge conduisant ses moutons… ou bien l’homme à la flûte de Hameln, parti pour noyer les enfants du Village Global ?

 

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