LA FIN DU MONDE (c’est fin !)

 

Alors comme ça, la fin du monde le 21 décembre 2012, le 22 décembre selon d’autres. Bon, j’aurais déjà pu faire valoir mes droits à la retraite (enfin, si les décotes successives de nos amis Chirac et Sarko, qui prônent la valeur travail de l’employé qui enrichit ainsi le patron et l’actionnaire, ne m’en découragent pas), mais il me manquera alors 29 jours pour atteindre l’échelon indiciaire suivant, et ça, je ne saurais le permettre à dieu. Non mais, pour qui il se prend, ce rigolo à barbe blanche, à rayer notre monde d’un trait de plume ?

 

Depuis que le monde est religion, les annonces d’apocalypse n’ont pas cessé. Il est vrai que nous savons bien tous que nous allons mourir. A partir de là, on aimerait bien que le monde en fasse autant, plutôt que la vie qui continue au-delà (si je puis dire) de notre néantisation personnelle. Surtout avec les chrétiens, qui n’attendent que ça pour revenir des morts et tout le tintsouin.

 

Ce qui est surprenant, c’est l’oubli. Les premiers chrétiens n’ont pas arrêté de prophétiser la fin des temps, l’une des dernières fois fut évidemment l’an mil. Plus proche de nous, les témoins de Jéhovah l’ont prophétisée pour 1914 (pas tombé loin) 1925, 1975. Depuis, un peu ridiculisés par leur dieu ingrat qui les prend visiblement pour des cons, ils se taisent. Mais d’autres, dans la mouvance new age, reprennent le flambeau, pas découragés par le désaveu de l’histoire.

 

Ils n’ont pas tort : à voir la constance des peuples démocrates à mettre en permanence au pouvoir des gens qui font de manière persistante la politique d’une minorité au détriment de la majorité, l’oubli semble être effectivement une véritable vertu. Même pour ce qui nous touche au plus profond de nous, notre toujours possible survie (enfin, en théorie). En fait, l’homme ne peut se résoudre, en politique comme en métaphysique, à admettre le plus probable : que nous ne sommes que des moutons, exploités par d’autres pour leur propres intérêts.

 

Tout comme nous passons notre vie à servir une minorité privilégiée de puissants, par résignation, lâcheté ou bêtise (et oubli), au fond, il n’est pas exclu qu’il y ait un ou des dieux, ou quelque chose comme cela. Mais existence de dieu ne signifie nullement vie éternelle pour nous ! Dans le meilleur des cas, ce ou ces affreux petits gnomes (enfin, c’est comme ça que je le/les vois, au lieu de l’apaisant grand père à barbe blanche) ne nous envisagent que comme des moutons dont ils tondent la laine, et qu’ils oublient, eux aussi, lorsqu’ils ne donnent plus de laine.

 

Bien évidemment qu’on voudrait croire en notre vie éternelle. Et au fond, si personne n’a pu prouver qu’elle existait, personne n’a pu prouver le contraire. Ce qui suffit à continuer d’y croire. En fait, nous ne pouvons accepter notre néantisation individuelle (ou celle de nos proches), nous nous réfugions donc dans cet espoir insensé. Depuis que l’humanité a débuté (ça, ça varie selon les religions), avec 8-9 milliards de bipèdes actuellement, série en cours, en y ajoutant quelques millénaires de plus (espoir raisonnable pour l’humanité, si l’on arrête Bush de soutenir le lobby pétrolier et Sarko de soutenir le tout bagnole et tout camion), ça va en faire, du monde, là-haut !

 

J’espère qu’aucune de ces religions n’imagine un retour sur Terre à tout ce monde, il faudrait qu’on se serre un peu. Je voudrais bien savoir comment elles imaginent cette vie au paradis. Disons qu’un individu meurt à 80 ans. Il monte là-haut, joie hosannah et tout ça. Il y retrouve donc ses parents, grands parents, arrières grands-parents et j’en passe, qui souvent sont morts plus jeune. Lorsque ses enfants mourront, disons qu’ils auront 85 ans, et d’ici quelques années, on sera peut-être passé à 90-100 ans. Ils monteront donc souvent plus âgés que leurs ancêtres. Quel choc pour leurs parents, qui les ont toujours connus avec 20-30 ans de moins.

 

Dis donc, y’a que des vieux, là-haut, avec Mathusalem au Guinness ! Les jeunes, crevés d’un accident, à la guerre, de maladie etc. doivent s’emmerder ferme, avec en plus leurs propres gosses nettement plus vieux qu’eux. Mais en fait, tout le monde doit se raser. Car la vie éternelle, à la longue, ça doit devenir un peu lassant. Surtout qu’il n’y a même pas de loft à regarder, ni de loto ou de quarté + à faire, et que les pistes cyclables du paradis sont très mal indiquées. Le Paradis, ça doit être tout plat, tout blanc, bref, l’ennui assuré. Au moins, en Enfer, on a toujours le chauffage, il y a de la couleur et de la lumière, plein de bruit et de fureur, plein de petites grottes cachés à explorer, bref, la vie ! Ça doit être là qu’on y trouve les quarante vierges des kamikazes bousillés de la tête.

 

Ne parlons même pas des religions qui en pincent pour la réincarnation. Pour se réincarner, il faut déjà qu’il y ait de la carne. Pas bien compris ce qu’il y avait pour permettre l’émergence de la première carne, mais passons. Cela suppose un équilibre des espèces. Je veux bien qu’il y ait pas mal de vaches et zébus à travers les riants prés de notre planète (un Inuit se réincarnant en vache indienne, ça doit lui faire drôle côté thermomètre et habitude alimentaire), mais il y aura bientôt 15 milliards d’humains à se réincarner en même temps. Plus, si l’on pense que plusieurs générations se chevauchent, on devrait approcher les 25 milliards de vie à réincarner dans une même époque. Il faudrait que ces 25 milliards d’humains, après leur mort, puissent se réincarner en au moins 25 milliards de mammifères… ou d’insectes ? Faudra bientôt les inclure dans la liste des espèces à protéger. L’expression « mon lapin », voire « ma puce » se comprend mieux, ces deux genres étant réputés pour la qualité (et quantité) de leurs sauts.

 

Je suis partisan de toujours se préparer au moins agréable. Après quoi, s’il y a une bonne surprise, elle n’en sera que meilleure. Et l’on doit se préparer au néant. Mais nous venons du néant, ça ne nous a jamais inquiétés. Nous avons toujours su (à part quelques théories, dont la réincarnation) que nous n’avons pas vécu avant notre naissance. Il nous manque donc au bas mot le vécu de quelques millénaires d’humanité. Eh bien, il nous manquera au bas mot quelques millénaires d’humanité à venir. Pas de quoi en faire un drame.

 

En fait, la foi est quelque chose de non volontaire. Il existe une partie de la population qui, quoi qu’elle pensera, deviendra croyant, parce que ces gens ne pourront jamais admettre un monde dans lequel ils ne sont que d’insignifiants rouages sans importance, pas plus que ces vers marins qui, millénaires après millénaires, ont, en entassant leurs cadavres calcifiés, créé ces montagnes de calcaire. Tandis qu’à l’inverse, une autre partie aura beau faire, elle ne pourra jamais croire en un avenir après la mort, malgré l’absurdité de la vie telle qu’elle apparaît à notre niveau.

 

Les fois et superstitions (que j’ai tendance à ranger dans la même catégorie) ne posent fondamentalement problème, tant que leur action se maintient dans la sphère privée des convictions personnelles. Elles ont été, et restent dans bien des sociétés, un ciment, un liant entre individus d’une même sphère géographique. Là où elles posent problème, c’est quand elles prétendent s’immiscer dans la gouvernance des humains. Et c’est très généralement leur prétention. Sous couvert de régner sur les âmes pour l’au-delà, ses zélés les plus dévots cherchent en permanence à régner sur la vie ici bas. Et selon une cohérence des plus discutables. Il suffit de penser à ces fous de dieu (non non, pas les musulmans cette fois, mais les bons chrétiens propres sur eux), qui d’un côté bannissent l’avortement, parfois de manière brutale, et de l’autre, sont pour la peine de mort, parlant en nom et place de leur dieu. Si Dieu punit l’avortement, et s’il veut punir ceux qui ont mal agi, qu’ils le laissent faire, il est assez grand pour ça. Ou qu’ils laissent faire les hommes non obnubilés par des croyances, qui régissent visiblement le monde avec pas moins de sagesse ( ?) qu’un dieu qui n’a guère l’air de se préoccuper des souffrances à travers la planète, y compris pour les peuples qui se prétendent élus.

 

Petit message personnel à dieu (il est toujours à l’écoute, mais sait-il lire ? qui lui aurait appris, du reste ?) : stp pas de fin du monde avant 2060. Je ne désespère toujours pas devenir centenaire et des poussières (tu retourneras poussière), alors au cas où, démerde-toi pour que je puisse tirer le max de cette chienne de vie. On rigole pas toujours ici bas, mais rien ne nous dit que là haut, ce soit mieux. On sait ce qu’on perd, on ne sait pas ce qu’on gagne…

 

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