ANECDOTES BRESIL

 

MITRAILLAGE

 

Rio réserve des surprises. Tout près de Copacabana, et surtout de Ipanema, la plage chic, s’étend un lac aux allures de lac italien, bordé d’immeubles et de maisons cossues, à tel point qu’un héliport déverse de temps à autres quelques hommes d’affaires pressés depuis l’aéroport, pour rallier rapidement et sans encombres ces banlieues huppées. Une petite route quitte les pourtours très circulants du lac, et gagne en virages serrés les hauteurs, parmi des pavillons qui ne dépareraient ni à Neuilly, ni même à Beverly Hills. Ma carte indique que cette rue se prolonge après le col, permettant de redescendre sur Copacabana, à deux pas de mon hôtel... Va donc pour la descente

 

Effectivement j’arrive au col, du reste sans avoir vu grand’ chose du lac, avec toutes ces propriétés qui accaparent le panorama, la place, et l’air si elles pouvaient. Au col, le choc. De l’autre côté, et sans transition aucune, une favela. La soi-disant rue du plan s’interrompt, laissant place à des venelles aux directions incertaines, et à des escaliers. Dans mon portugais plus qu’approximatif, je demande à un autochtone si l’on peut redescendre. Pas vraiment, sinon par les escaliers ! Paradoxe : de ce côté, les maisons étant basses, et les hauts murs inexistants, le panorama est superbe, bien que de moindre intérêt que de l’autre côté. Aussi, en toute candeur, je me mets à commencer à descendre un escalier, pour quelques photos.

 

Bon, c’est bien joli, mais je me vois mal commencer à descendre un escalier, à l’issue du reste incertaine, à travers un bidonville. Pas la première fois que je traverse un bidonville sud-américain, mais d’habitude, c’est sur des routes bien balisées. Aussi je reviens sur mes pas, remontant mon escalier. En haut, je croise deux jeunes. L’un a un revolver dans chaque main, l’autre les boites de munitions ! Ils me croisent, aussi interloqués que moi, et répondent machinalement à mon « bo djia » (boa dia, bonjour) mal assuré. J’ai une superbe banane orange feu avec environ 100 € en monnaie locale, le casque du discman sur les oreilles, un appareil photo numérique que je viens de remballer la minute précédente, et quelques autres gadgets occidentaux divers.

 

En fait, outre d’être surpris, ce qui fait qu’ils n’ont pas eu vraiment le temps de penser à me détrousser, peut-être, me voyant débarquer d’un escalier, ont-ils supposé que j’avais traversé toute la favela, donc que je devais avoir mes entrées d’une manière ou d’une autre. Et puis, il y a ces relations bizarres locales, dont l’extrême proximité quartier riche / quartier très pauvre est un signe : chaque monde vit à part, sans trop empiéter sur la vie de ses voisins de palier immédiats. Je ne t’emm… pas, tu ne m’emm… pas. Du reste, 500 m en contrebas, côté quartier riche, il y a une guérite de flic, et une bagnole patrouille, sans doute pour s’assurer du respect de cette loi non inscrite. Peut-être sans le savoir faisais-je partie du pacte de non-agression ? Je n’irais pas retourner dans cette favela pour le vérifier !

 

ACCROCHAGE

 

Après quelques journées à Rio, je reprends doucement la route, en longeant le bord de mer vers l’ouest. Après l’arrivée dans cette mégalopole par les quartiers populaires du nord-ouest, son trafic et ses chaussées défoncées par des chauffeurs de bus à la conduite sportive, quel repos ! C’est la suite logique de Botafogo, Copacabana et Ipanema, de longues plages  bordées par une piste cyclable rarement interrompue, pas loin d’une quarantaine de km depuis l’aéroport du centre-ville, centres commerciaux modernes fréquentés surtout par des blancs. Il doit ici s’agir des WALC (White American Latin Catholic), qui représentent l’essentiel de la bourgeoisie visible des Etats de Sao Paulo et de Rio.

 

Au bout de la piste cyclable, j’enchaîne sur une petite route tranquille en corniche au-dessus de l’océan. Qu’elle est loin, la fureur trépidante de Rio et de ses nombreux quartiers affairés ! Et puis, presque sans crier gare, au bout de 60 km d’avoir longé la côte, me voilà replongé dans les dernières banlieues populaires de Rio ! La route du bord de mer rattrape l’ancienne route Rio-Santos passant par Santa Cruz. Et c’est reparti pour la course d’obstacles parmi les bus, les gendarmes (pas très) couchés, les déformations de la chaussée. Un minibus me rase de très très près, il ne devait pas rester 10 cm d’écart. Et ça recommence ! Du reste, il recommence : ce minibus est de ceux qui s’arrêtent à tout instant (de préférence en pilant juste devant un cyclo) pour récupérer de la clientèle, je le re-dépasse donc, et il me re-dépasse un peu plus loin…en me rasant de nouveau de très près.

 

Bon, je ne m’énerve pas. A la troisième fois, même topo. Là, je m’énerve. Au coup suivant où je le redouble, j’engueule copieusement (en français, ça n’a pas le même impact) le chauffeur, et finis même par faire mine de lui retirer son portable des mains (cette manie, d’utiliser le portable en conduisant, tout ça pour causer de la pluie et du beau temps). Là, c’est pas pareil. C’est son collègue, celui qui ramasse les sous, qui s’en prend à moi, commence à faire mine de me frapper, m’invectivant dans un charabia brésilien, dont il ressort que de toutes manières je ne suis qu’un cycliste (donc, on a tous les droits sur moi, y compris de me raser, en prenant le risque malsain de me renverser). Attitude méprisante à l’état pur.

 

Bien sûr, comme j’ai eu la mauvaise idée de repartir avant lui, il se fait une joie de me raser une quatrième fois. Mais l’affaire ne s’arrête pas là. A la sortie définitive de la ville, à 3 km de là, juste au moment où je m’engage sur une route moins fréquentée, mon minibus me rattrape, pile juste devant moi. Mais cette fois, il n’y a que 3 personnes, et sûrement aucun client payant. Ouh mon Fred, je vois mal le coup. Mon braillard de tout à l’heure sort, l’air décidé. Je n’en mène pas large, commence à reculer avec mon vélo, mais je vois bien que je n’irai pas loin ainsi. Devant les chiens, c’est connu, il vaut toujours mieux faire face.  Mais je m’attends pour le moins à un tabassage en règle.

 

En fait, le gars, un jeune, est plus un frimeur qu’autre chose. Il me fait bien comprendre que, s’il voulait, il pourrait me tirer une balle entre les deux yeux (bon, s’il le dit et qu’il le répète, c’est qu’il ne va pas le faire, sinon ce serait déjà fait), que j’ai insulté sa famille et tout le reste. Comme au pays (la Sicile), ma parole, dis ! Je n’arrête pas de répéter « bon, on arrête là, ça suffit comme ça », cherchant comment je pourrais trouver une échappatoire. Heureusement, les deux autres ne descendent pas du véhicule, on n’est donc pas parti pour le tabassage que je craignais. Mais par prudence, je retire mes lunettes de soleil.

 

Le gars est tout de même à moitié clair, et il doit bien essayer, dans un brésilien que je ne comprends pas (déjà le brésilien, ce n’est pas le portugais, mais en plus ce gars-là doit parler à moitié en argot), de me soutirer quelque chose, genre « t’as insulté ma famille, passe à la caisse pour que je passe l’éponge », car il veut à tout prix voir ce qu’il y a dans mon mini-sac à dos. Je fais traîner en longueur, et commence à songer à faire un écart avec le vélo sur la chaussée pour bloquer la circulation. Le gars le sent bien. Du coup, il laisse tomber, frappe un dernier coup rageur sur une de mes sacoches, et rejoint sa charmante famille.

 

Soit l’âge m’a rendu totalement inconscient (mais non, je l’étais déjà), soit il m’a rendu flegmatique. Je ne tremble même pas, je reprends la route comme si de rien n’était – mais fait une halte 2 km plus loin, bien à l’écart de la route et dans un endroit fréquenté : des fois que mes types soient en fait retourné chez eux, une banlieue après la banlieue, chercher une arme pour me faire mon compte…Car en fait, ils pouvaient difficilement me frapper : j’aurais été les dénoncer immédiatement à la police, avec leur n° de plaque d’immatriculation. Tandis qu’avec une balle entre les deux yeux, ma plainte aurait été moins évidente à déposer. Et quand j’ai repris la route, une demi-heure plus tard, je peux vous dire que j’ai scruté la plaque de tous les minibus me croisant ou me doublant, jusqu’à l’entrée de l’ultime banlieue à 8 km de là !

 

INFOS BRESIL

 

INDEX BRESIL

 

RECIT BRESIL

 

PHOTOS SAO-RIO

 

PHOTOS RIO-SAO