A LA RECHERCHE DES VERTICALES DANS LE PAYS DES TROIS RIVIERES PARALLELES

 

(les photos accessibles par les vignettes en cours de récit le sont aussi, par galeries, via les pages de photos)

 

En entendant parler un peu partout (le "partout" se référant à une zone comprise entre Lijiang et Deqen, l'entrée sud du Tibet) de la région des trois rivières parallèles, je me pourléchais les babines, à l'idée de parcourir un de ces secteurs de hautes montagnes entaillées de profonds canyons. C'est en tout cas à ce quoi m'avait habitué le Yangtsé auquel il faudrait donc ajouter le Mékong et la Salween.

 

LA LOI DE MURPHY

 

Approche pourtant moyenne. Certes, depuis Lijiang, à 2400 m d'altitude, je choisissais soigneusement mon parcours, via des routes montant jusque 2700-3100 m. Deux bonnes surprises en chemin, la montagne de Shibao, et ses deux temples perchés sur ou encastrés dans la montagne ; puis, dans la descente d'une piste déserte, rarement indiquée sur les cartes, vue plongeante sur un lac en contrebas, 700 m plus bas. Enfin, près de Eryuan, le lac Cibi, aux allures de fjord entouré de montagnes. Et puis, plus rien de bien fôlichon.

 

Le voyage commençait un peu comme un scénario catastrophe : premier soir de camping, je venais de me ravitailler en essence à la dernière station, pour mon réchaud. Juste avant la nuit, je me décide enfin à me chauffer une soupe et un thé. Me voilà à pomper tel le shadok de base, et de craquer le briquet pour lancer l’opération préchauffage. Réussite complète : voilà qu’en un éclair tout s’embrase : le réchaud, le journal, l’herbe et les aiguilles de pin, et surtout la bouteille d’essence ! Je me vois déjà défiguré par mon cocktail molotov improvisé, et en prime mettre le feu à la forêt proche, avec le vent qui n’est pas encore tombé…

 

Pas de panique, procédons par ordre. Il me faudra d’abord débarrasser la bouteille des flammes, avec juste le souffle comme arme (pas évident), puis le journal, puis les aiguilles, qui menacent de communiquer leur dynamisme igné au reste de la zone, enfin le réchaud – quoique pour lui, le fait d’être en flammes serait plutôt une vocation, mais pas trop au niveau de la pompe. Ouf, les dégâts seront limités, sinon que la porte de la tente dispose désormais d’une artistique fenêtre, qu’il me faudra tous les soirs combler avec un bout de plastique.

 

Pour tout arranger, ce vent permanent d'ouest, ou plutôt d'ouste, qui semble prendre un malin plaisir à rafraîchir mes naseaux bien de face, que j'aille vers le nord ou le sud. Les naseaux, justement : à force de couler, il m'arrive la même chose que lors du précédent voyage : la fosse nasale semble s'encombrer, et faire pression sur une canine, causant douleur dentaire - la dernière fois, ça s'était terminé en rage.

 

Et le vélo qui s'y met ! A l'arrivée à Kunming, tard le soir, il me fallait remonter au plus vite le vélo, accepté uniquement en pièces détachées par Austrian, condition pour bénéficier du forfait. Evidemment, la chaîne s'est emberlificotée, et je m'étais résolu à la couper, pour la remonter sans noeud, pour gagner du temps. J'ai dû m'y prendre comme un manche, car au troisième jour, clac, la chaîne sautait : le maillon que j'avais dérivé était en piètre état, obligé d'en couper deux.

 

Ce n'était que partie remise : deux jours plus tard, même problème ! Et deux maillons en moins. Evidemment, même sanction, et deux jours après, sautage de chaîne systématique à la moindre montée. Je regarde mon ersatz de dérive-chaîne, vous savez, ces multi-clés certes très légères, mais qui n'ont aucune endurance. Bien sûr, le pivot pour dériver est tordu, sûr qu'au premier essai, cette fois il se casse.

 

Chance, au gros village suivant, un, et même deux réparateurs. Ai-je choisi le moins bon ? Evidemment, en Chine, a fortiori dans un village perdu au fin fond du Yunnan, à 3500 km au moins de Beijing, on ne travaille pas au dérive-chaîne, mais avec un clou, une pince sur laquelle on pose la chaîne, et un bon vieux gros maillet. D'habitude, ça marche... Pour commencer, il se trompe, laisse trop de maillons sur la nouvelle chaîne, donc re-dérive la chaîne. Deux maillons posés au maillet.

 

Les premiers km, aucun problème. Les deux premiers km de montée se passent même bien. Et puis la chaîne se remet à sauter, certes sans dérailler. Je constate bientôt que les deux maillons travaillés se sont durcis en chemin, et bien sûr passent mal sur les roulettes du dérailleur, qui... déraille.

 

En approchant le carrefour de Jiangchuan, seule ville de la région, je dis que ça va s'arranger. Du reste, j'ai trouvé la technique, en faisant travailler la chaîne (pas vraiment recommandé) : deuxième plateau avec grand pignon, ou grand plateau avec avant-dernier pignon. Pas de quoi dépasser le 16 km/h de pointe, mais les autres rapports vont suivre l'exemple, me dis-je... Monumentale erreur. Au fur et à mesure des km, non seulement les maillons ne s'adoucissent pas, mais mes deux rapports privilégiés, sinon protégés, can't get no more satisfaction. Eux aussi se mettent souvent à sauter, bizarrement moins aux heures fraîches (et moins sèches ?) du matin. Comme s’il leur fallait un peu d’échauffement, comme à moi.

 

Ne nous arrêtons pas en si bon chemin ! Car question chemin, le Yunnan, encore l'une des régions les plus pauvres de Chine, avait trouvé une idée géniale : manque de pétrole, donc de goudron, pavons les routes ! Depuis, certains de ces axes ont été asphaltés... mais pas tous. Parfois, on arrive à rouler sur un à-côté étroit de terre battue, mais pas toujours. Et régulièrement, on se retrouve à faire du Paris-Roubaix, avec 30 kg ou plus de bagages, ce qui est assez éprouvant. Et pourtant, il y a pire : la piste en passe d'être revêtue. Là, les Chinois n'y vont pas par quatre... chemins : ils défoncent tout sur 30à 50 km, installent une chaussée provisoire de pierre et de terre battue, en attendant la progression du chantier.

 

Au Tibet, j'avais maintes fois traversé de ces chantiers monstres. Mais il y avait une volonté politique d'aller vite (et bien), et je croisais, sur 30 km ou plus, un nombre incalculable de travailleurs (Chinois bien sûr, quoique j'ai depuis vu des Tibétains sur certains d'entre eux), et des tronçons que je pronostiquais comme asphaltés l'an suivant m'ont effectivement été confirmé comme l'étant. Pour une fois que le Tibet est bien loti (c'est pour mieux te coloniser, mon enfant)... Ici, les choses vont autrement, comme j'ai pu le voir dans le Qinghai, autre région pauvre bordant le Tibet.

 

BAOSHAN

 

Pourtant, j'aborderai ce petit voyage par un beau site : Baoshan et Shaxi (ne pas confondre avec la ville de Baoshan, plus au sud-est, sur la route de Dali vers Ruili et le Myanmar). Au sud de Jianchuang, une route se détache vers l'ouest, en direction de Lanping. Peu après, nouvelle route vers le sud. On franchit un premier col, descente courte mais brutal dans un paysage impressionnant, puis nouvelle remontée à un col à 2400 m. Baoshan est sur la branche de droite, en altitude entre 2500 et 2600 m. Temples tranquilles, dans des sites superbes, l'un d'eux bâti dans un cirque rocheux, l'autre accroché sur une falaise. Ce sont moins des touristes que des pélerins qui s'y rendent, donnant une touche très "nature" à ces temples.

 

Retour au col, camping pour la nuit. La route principale, redescendant vers Shaxi, n'est pas goudronnée, c'est l'une de ces satanées pistes pavées, dix fois pire qu'une piste caillouteuse. Mais enfin, le village vaut le détour. Son centre, à l'écart de la rue principale, est resté presque en l'état, débouchant sur une place charmante. Ca repose de Dali ou Lijiang, villes historiques certes superbes, mais un peu trop fréquentée et commerçantes.

 

 

De Shaxi, une piste quitte la vallée naissante, et coupe les crêtes à l'est pour rejoindre la grande vallée entre Dali et Jianchuang / Lijiang. C'est un peu au hasard que je tourne dans Shaxi, et j'ai de la chance : du premier coup, je trouve la bonne piste, parmi les nombreux accès aux champs et fermes du secteur. A un moment dans la montée, j'en doute : je débouche sur une piste en très forte montée, désaffectée, semblant déboucher dans des cours de ferme. En fait, je venais d'emprunter un ancien tracé, rejoignant le "nouveau", pas franchement meilleur du reste. Enfin le col, autour de 2800 m, et là, un choc : tout en contrebas, 700 m en-dessous, non seulement la large vallée, mais un petit lac de barrage, adossé aux collines environnantes.

 

La piste est caillouteuse à souhait, me faisant pour la peine presque regretter la piste pavée au nord de Shaxi. Mais ce lac, toujours visible, est comme un fil rouge que je suis du regard. Et, une fois atteint la route étroite et circulante, j'en viens à regretter... cette tranquille piste caillouteuse ! Eryuan, la grande ville du secteur, n'est pas loin. L'an passé, j'avais snobé le lac Cibi non loin, mais cette fois, mes raccourcis à travers champs me font déboucher directement sur ce lac, jumeau du précédent avec ses allures de fjord.

 

Ce lac doit être poissonneux, si j'en crois les nombreuses barques à fond plat qui sont stationnés sur les rives. Mais le parc touristique (sans doute un énième village reconstitué) en bout de lac doit représenter des rentrées d'argent plus intéressantes (au moins le week-end), si j'en crois le nombre de bateaux à moteur qui font la liaison. Une piste longe le lac jusqu'à cette extrémité, encore faut-il trouver l'accès, bien planqué parmi les hameaux sur les rives !

 

 

A Eryuan, je fais l'emplette d'un pneu (2 €), qui me dépannera 20 jours après. Une piste se dirige vers l'est, rattrapant la vallée quittée à Shaxi. Elle est bien évidemment pavée ! Mais plutôt bien, car le plus souvent je peux rouler sur un vague bas-côté stabilisé, évitant de ce fait les pavés eux-mêmes. Montée parfois rude, menant à un col à 3100 m. La vue sur l'autre versant serait saisissante, s'il n'y avait une forte brume d'été qui gâche un peu le paysage.

 

La remontée sur Shaxi est un peu longuette et pénible. Pavés disjoints, puis piste poussiéreuse, et les premiers ennuis avec ma chaîne, qui ne cesseront plus du voyage. A Shaxi, je reprends la piste de l'aller, jusqu'au col de Baoshan, puis la route de Jianchuang. Le goudron s'apprécie, après avoir longtemps côtoyé les pavés... La route franchit un petit col, puis se contentera de longer paisiblement une vallée assez peuplée, jusqu'au col principal, dans une région déserte, presque sauvage.

 

Autre vallée, autres moeurs. Après un long parcours de descente, je débouche tout à trac sur une vallée peuplée, semi industrielle, et pourtant totalement enclavée. Un peu plus loin, une route part vers le nord et Weixi. J'aborde alors une route en travaux sur 45 km. La piste provisoire doit déjà dater de deux ans, donc deux moussons sont passées par là. La chaussée est horriblement défoncée, digne du fin fond du Guatemala, et même les jeeps semblent ne vouloir s'y engager qu'à reculons. Le soir, il me faudra remonter le réchaud, que les trépidations marteau piqueuses ont totalement dévissé !

 

Ouf, je sors de cet enfer, pour aborder une montée de 16 km, me faisant passer de 2000 à 2800 m, sur chaussée pavée (ben voyons), mais je me rassure en me disant que je vais bien trouver, dès mi-parcours, de la profonde forêt où camper tranquillement. Que nenni. Après un rude parcours en corniche, où il n'est évidemment nulle question de planter (ou alors, entre deux pavés disjoints, des fois il doit y avoir la place), j'aborde, jusqu'au col, une zone totalement déforestée, et une multitude de fermes occupant le moindre espace disponible. Chaque habitation a sa meute de chiens attitrée, des fois que des vagabonds viendraient leur voler ce qu'ils n'ont pas, et bien sûr, certains ne sont pas attachés, se faisant une joie de venir harceler une victime toute désignée.

 

Entre les chiens, les pavés, le vent, la chaîne qui saute, la rage de dents qui pointe, et pour finir, la nuit qui approche, le tout dans un paysage de montagne très quelconque, je commençais à me demander ce que je fichais là, non loin du Myanmar (Birmanie, capitale Naypyidaw ex-Pyinmana, en remplacement de Yangoon/Rangoon, ça peut vous servir pour un jeu télévisé).

 

Ca ne pouvait pas durer. Juste avant le col, je déniche un improbable endroit plat, discret et protégé du vent, en contrebas d'un raidillon. Est-ce le fait d'avoir essayé de dormir la tête à moitié renversée vers l'arrière au risque de me faire le torticolis du siècle (j'avais aussi songé au poirier, mais sous une tente de 80 cm de haut...), mais le lendemain, douleur de la mâchoire disparue, et ma canine me permet enfin de manger autre chose que de la soupe. Les narines videront enfin leur stock…

 

 

Enfin, à Weishi, première ville depuis longtemps, mais toute en relief et où le vélo est quasi-inconnue, je me lance : je détors le dérive-chaîne à grands coups de pinces, et à force de tentatives avec des maillons neufs me restant (le dérive-chaîne étant de plus en plus tordu de partout, il passe plus de temps à me tordre des maillons qu'à bien me les re-virer), il semble que je sois - momentanément ? - arrivé à avoir une chaîne qui ne saute plus.

 

Sinon, Weixi, rien à voir. Je m'étais tellement habitué à ces bourgades du Sichuan, du Gansu et du Qinghai, avec des maisons typiques, un ou deux monastères tibétains, que je suis un peu surpris par cette petite ville sans cachet, et même pas un réparateur vélo !

 

NEIGE DONC TANT VECU... ?

 

Deux itinéraires permettent de relier Weishi / Weixi à Lijiang, par la vallée du Yangtsé : la route goudronnée, qui fait un grand détour pour passer par un col facile à 2900 m et qui constitue un raccourci pour gagner directement la vallée du Mékong sans passer par Weixi), et l'ancienne piste plus directe, qui monte à 3300 m. Ce qui représente, à vélo, une boucle évidente de quelques jours pour fouiner un peu dans la région, avant de me diriger vers la vallée du Mékong. Pour l'aller, je choisis la piste, que j'imagine déjà abandonnée, si l'autre axe est goudronné. Eh non, à ma grande surprise, cette piste est excellente, du moins dans la montée, pourtant théoriquement plus exposée aux vents et pluies dominant d'ouest. En fait, elle passe dans une région semi déserte, pas un seul village, et même rares hameaux, sur 20 km, ce qui explique qu'elle a moins besoin d'entretien. Je me régale.

 

 

J'atteins le col sous un ciel menaçant, la neige tachète les environs ça et là. En face, une vue du diable sur la vallée, très en contrebas, où les villages se pressent en dessous de la ligne des forêts. Sur la gauche, je distingue une lointaine crête, avec un tracé de piste s'en allant franchir un haut col. J'apprécie mal les distances (et la boussole !), j'imagine qu'il doit s'agir de la route du Tibet, après Zhongdian. Mais non : il s'agit d'une piste beaucoup plus proche que ça. Ce tracé n'apparaît sur aucune carte en ma possession, dont pourtant une très détaillée. Il doit s'agir d'une piste tracée très récemment, qui doit représenter un raccourci vers la route de Weishi, me dis-je. Certes, il a plu cette nuit, donc neigé là-haut, et les derniers km avant le col apparaissent tout blanc depuis l’autre versant, mais d'ici là, ça devrait avoir fondu - en espérant que ce ne soit pas trop la gadoue.

 

Une fois atteinte la fin de la descente, je vise une piste à l'entrée d'un hameau / relais "routier", d'où part une piste - en fait, la seule. Au début, je suis un peu surpris par l'état plus que moyen de la chaussée. Mais ça devrait s'arranger après le dernier village de cette populeuse vallée, que j'estime à 4 km de là.

 

A 4 km de là, ce n'est pas franchement mieux ! La piste devient boueuse, puis un torrent coule carrément dessus, mais ouf ! me voici au sommet d'une côte où là, sans nul doute, je devrais aborder... bon, c'est pas encore ça : la chaussée devient affreusement... peut-on encore dire pavée ? Pavée, comme les pavés d'une voie romaine en 2006 ! J'arrive plus ou moins, entre branchages et épineux, à rouler sur un bas-côté érodé par les troupeaux, me raccrochant à l'espoir, de plus en plus mince, que plus haut, je vais immanquablement aboutir sur une piste toute neuve.

 

Ça finit du reste par s'arranger, et les pavés finissent même par disparaître. Mais le très faible trafic, uniquement ces petits véhicules très utilitaires à moteur de solex, me fait de plus en plus douter de la destination généraliste (véhicules de tourisme) de cette piste... sans parler de sa destination, justement ! Mais ils n'ont quand même pas tracé cette piste jusqu'à un col en impasse, c'est plutôt rare en Chine...

 

Les pavés reprennent dans les passages pentus. Cela fait 11 km, j'atteins un petit col intermédiaire, à 3100 m, et je n'ai (enfin !) désormais plus de doute, en voyant quelques camions stationnés ça et là : il ne s'agit que d'une piste à vocation forestière. J'avise trois types assis : bu da ! me dit l'un, signifiant que ma piste ne débouche sur rien. Je ne suis pas du genre têtu : je continue ! Pourtant, il doit bien rester une dizaine de km, et ça continue de monter. Quelques campements de bûcherons, et puis plus rien en approchant le col, alors que le dégel rend la piste molle, difficile à rouler.

 

Le voici, le col, 3600 m ! 1200 m de montée depuis le village, situé presque en contrebas. Une piste, et même deux, poursuivent de l'autre côté. Mais j'étais sur le versant sud, alors qu'il s'agit maintenant du versant nord, bien plus exposé à la neige. Mes deux pistes en sont intégralement revêtues ! Celle de droite, des traces de pas celle de gauche rien. Zut, je n'ai quand même pas monté 25 km pour rien, et surtout, je n'ai nulle envie de me retaper cette horrible piste très souvent pavée de mauvaises intentions.

 

En fait, de la neige, il y en a surtout sur les pistes. Surtout, en face, bien exposées au soleil vespéral, je vois des tracés d'autres pistes, dégagées de neige, semblant plonger en direction de la vallée à redescendre. Suffit de gagner celles-ci. Si ça se trouve, c'est l'histoire de 500 m, au pire 1 km un peu pénible, et puis il fait beau. Allez, je me lance ! Finalement, j'opte pour le tracé de gauche, choix judicieux, car celui de droite se révèlera ne desservir que des bergeries d'été proches du col, probable destination des traces de pas.

 

L'inconvénient d'une belle journée, c'est que ça fait fondre la neige ! Pas assez pour la faire disparaître, mais assez pour s'enfoncer. Ma progression est pénible, et par deux fois, je dois même décrocher les sacoches, et effectuer d'épuisantes navettes, neige à mi-jambes. Je crois enfin atteindre une zone libre de neige... mais la piste se replonge avec délectation dans le manteau neigeux ! Et contrairement à l'autre versant, la vallée descend très doucement.

 

Ça fait deux heures que je pousse à l'arrach' mon lourd équipage de 50 kg dans une neige qui n'arrête pas de céder à mes pas, j'ai dû couvrir tout juste 2 km, et je suis toujours à plus de 3550 m ! Un point positif cependant : je viens de rejoindre une piste qui, celle-ci (les précédentes, c'était ambigu), est bien orientée, me confirmant que je suis pas dans un cul-de-sac. La nuit est proche, le vent est encore plus froid à cette altitude, j'avise une cabane sur les hauteurs : l'endroit idoine sinon idéal pour passer la nuit, un peu coupé du vent froid. Demain, ça ira mieux.

 

Demain... il fait à peine froid, douceur ouatée, comme la neige qui tombe ! Je songe attendre la fin de la chute, puis la panique me gagne : et s'il se mettait à neiger toute la journée ? Si ça se trouve, à 200 m de là, ma piste est quasi-roulable, alors que si j'attends... Je pars donc...  et la neige s'arrête. Principe bien connu des vases communicants.

 

Par contre, ma piste ne redevient pas roulable 200 m plus loin, il s'en faut. L'avantage du matin, est que la neige s'est re-solidifiée, et que je m'enfonce moins. Certes, il me faut pousser, et puis de temps à autres, subitement, sur 30 m, mes pieds ne s'arrêtent pas de faire de trous de 20 à 30 cm, quelquefois plus, m'obligeant alors à "projeter" les 50 kg de mon vélo à chaque pas. Du reste avec les efforts violents consentis déjà la veille, je m'attendais à un mal au dos, voire me trouver bloqué, à 3500 m, loin de toute présence humaine : même les traces d'animaux sont rares dans cette neige (quelques loups ?). Et combien de km encore à couvrir dans la neige, sur une piste qui n'en finit pas de s'attarder sur la face exposée, restant sur les hauteurs ?

 

Carrefour. Aïe. Evidemment, pas de pancartes, et impossible de deviner, d'après les traces de véhicules, la piste la plus utilisée. Celle tout droit semble remonter, et devenir plus étroite, choisissons donc l'autre, plus large (enfin, d'après ce que m'en laisse deviner l'épais manteau neigeux), et qui semble redescendre vers la rivière. Et passe même bientôt un pont élaboré au-dessus d'un torrent, semblant confirmer mon choix.

 

Impasse. Au fond, j'ai de la chance : il n'aura pas fallu plus de 500 m, et pas trop de descente : imaginons que cela se soit produit après 5 km, et une longue descente ? J'essaie toutefois de voir à pied si, en continuant un sentier, je ne pourrais pas suivre la vallée de plus près, moins exposée à la neige. Et j'aperçois effectivement au loin des bergeries d'été, et des sentiers en partant, mais ça semble tellement galère de les rejoindre (torrents, buissons, troncs d'arbres et... neige), que je laisse tomber. Après coup, je me dis que j'ai bien fait, car il y a de fortes probabilités que ces sentiers se développent sur des pentes rudes, en bord de ravin etc. Bref, la neige ne serait alors apparu que comme une douce rigolade en comparaison.

 

Je retourne donc au carrefour, reprenant l'autre piste, qui effectivement remonte, jusqu'à atteindre l'altitude du col la veille, 3600 m ! Ma parole, je ne vais pas en décoller ! Ouf, cette fois, ça descend, et dans les secteurs les moins exposés, où la neige n'est pas trop épaisse, je peux même presque rouler... mais c'est de courte durée.

 

Il est bientôt midi, j'ai dû couvrir 5 km (+ 1 km AR en impasse) en 3 h ! Mais on dirait que j'approche de la fin : à 3400 m, à la faveur d'un petit col, la piste passe sur un versant moins enneigé, voire bientôt plus du tout ! Certes, s'en suit un pénible passage de "terre fondue", où la neige fondue a imprégné le sol, le rendant semi aqueux, semi boueux, semi inroulable, mais bon, je peux tenir SUR le vélo. J'ai bien mérité de finir mon thermos de thé, et d'entamer celui de ma soupe de nouilles.

 

Bon, maintenant, dernière réjouissance : la piste, du haut de ses 3300 m, plonge vers la vallée, 600 m plus bas, et l'eau issue de la neige a la fâcheuse habitude de se maintenir longtemps sur les jantes (sans doute du fait de sa température, qui fait qu'elle tarde à s'évaporer), ce qui rend le freinage totalement inopérant. Le comble, voici que la neige se remet à tomber à gros flocons, qui en quelques minutes tiennent sur tout - mais pas longtemps.

 

J'arrive à ajuster les freins avant, qui fonctionnent tant bien que mal, arc-bouté que je suis sur les poignées au point de rupture... mais voilà que je dois traverser deux secteurs enneigés solitaires. Cette fois, avec une nouvelle "ondée" de gros flocons, c'est fini, tous les patins ont rendu l'âme. Pas question d'en changer avant que les jantes n'aient séché. Je suis donc contraint de finir la descente à pied, situation vexante. Mais mon calcul initial était le bon : cette piste débouche sur la route Yangtsé Weishi, juste au pied du col de cette route. C’est avec un soupir de soulagement que je débouche sur le goudron, et sous une nouvelle averse de flocons. Un col à franchir à 2900 m, c’est de la franche rigolade.

 

MAIS CON, C'EST LE MEKONG

 

La descente s'avèrera le plus beau tracé de tout ce circuit d'un mois, la route coupant des vallées, traversant des villages traditionnels, et plongeant dans des gorges pour gagner la vallée de Weixi. Je n'ai même pas besoin de revenir à la ville : la route rejoint l'axe Weixi-Deqin, une quinzaine de km avant Weixi, et se dirige vers le Mékong. Les villages sont particulièrement typiques, et j'entame sérieusement une SD card avec les photos du coin. Puis on s'engage dans des gorges, qui débouchent sur le Mékong.

 

 

Un peu décevant au début. Première déception, on quitte le goudron, qui semble se poursuivre en amont, en direction de Deqin, tandis qu'en aval, j'aborde une piste de qualité moyenne. Surtout, la vallée est alors ample, rien de gorges sauvages. Enfin, je n'arrive pas à dénicher un endroit pour camper, car progressivement la vallée devient plus étroite, la piste tracée en corniche ne laissant aucune place. C'est à la sortie du village, et à l'entrée de la nuit tombante, que j'avise enfin un chemin redescendant sur le Mékong, dans un court no man's land désert, pour camper.

 

 

La journée suivante sera déjà un peu plus intéressante. La succession de villages laisse place à une série de défilés, avec de rares hameaux. Ce qui compense que la piste devient de plus en plus mauvaise, caillouteuse, poussiéreuse. Carrefour. Belles indications en chinois, qui ne me renseignent guère. Le rare trafic se répartit presque équitablement sur les deux branches. Celle de gauche semble monter durement, et m'a tout l'air d'être la piste qui remonte vers la route de Lanping / Jianchuang. Celle de droite redescend vers les gorges, c'est logiquement la suite de la piste longeant le Mékong.

 

Erreur : au bout de plus d'un km, la piste s'incurve, franchit un pont et passe de l'autre côté du Mékong. Certes, la plupart des cartes font souvent assez peu la différence entre rive gauche et rive droite d'une rivière, faisant passer allègrement le tracé d'une route ou d'une piste d'une rive à l'autre, nonobstant la réalité. Mais je flaire l'arnaque, d'autant plus que je ne pense pas que cette piste évite la petite ville que j'aperçois sur les hauteurs. Retour sur le carrefour, avec une rude montée. Effectivement, plus haut, nouveau carrefour, avec sur la gauche la piste en direction de Jianchuang, tout droit une petite ville, dominant de 200 m les gorges du Mékong. Il y a même un hôtel ! Mais il fait trop beau et trop chaud pour aller s'enterrer dans une chambre d'hôtel. Bien m'en prendra.

 

Je pestais contre la piste caillouteuse : à la sortie de cette petite ville, piste pavée ! Promise pour 40 km, si j'en crois les bornes. Pour une fois, ça ne commence pas trop mal, les pavés sont assez réguliers. La piste poursuit sa montée, je me retrouve à 400 m au-dessus du lit de la rivière, les sommets enneigés lointains apparaissent enfin. Le parcours en corniche est alors magnifique ! La soirée est bien avancée, j'arrive à trouver un minuscule emplacement, au-dessus de la piste, avec un magnifique panorama se déroulant sous mes yeux. Chambre avec balcon.

 

 

Le parcours en haute corniche durera une vingtaine de km, jusqu'au gros bourg suivant. De là, la piste, mélange de pavés et de poussières, replonge de nouveau dans le fond des gorges. Les défilés se succèdent, où la rivière s'engouffre. Au dernier défilé, la piste monte brutalement. La corniche est étroite, pourtant les Chinois ont creusé, dans la falaise, des galeries de mines (extraction de charbon) ! La piste n'est qu'une annexe des mines. Un peu plus loin, des maisons, en fait un coron, puis une ville, bâtie au-dessus des gorges.

 

J'en ai un peu soupé de la piste et des pavés, et c'est avec plaisir que je retrouve le goudron dans cette petite ville industrielle. Mais je m'inquiétais de la remontée sur Lanping, vu que la vallée est à guère plus de 1500 m, et que mon GPS indique un col à plus de 3000 m ! En sortant de la ville, je suis d'abord rassuré, la route montant régulièrement. Mais j'aurais dû m'en douter, après un cap, elle redescend sur la vallée, 150 m plus bas. Et vlan, encore 7 km de perdus ! La montée s'avèrera effectivement costaude. J'atteins un gros bourg, avec à l'entrée le pont des Nouveaux-Nés - je présume que tous les futurs parents de la région s'y rendent.

 

 

La pente s'adoucit légèrement, mais il reste encore pas mal à monter, à travers la forêt. Ouf, le col. C'est un peu en contrebas que je trouverai où camper, loin de toute civilisation. Homme des bois. Quelques kilomètres plus bas, une fois tout redescendu, je débouche d'un coup sur une région très peuplée, industrielle : c'est Lanping et ses innombrables faubourgs, à 2000 m d'altitude, je ne m'attendais pas à trouver une sorte de Ruhr dans une zone aussi enclavée. Décidément, les villes du secteur n'ont rien de passionnantes.

 

De Lanping, rien de plus simple, pour se rendre à Yunlong, que de continuer à descendre la vallée. Mais, au vu de ce que je vois au sud de Lanping, je me dis que ça risque d'être une vallée industrielle, sale, grise, pénible, avec de gros camions. J'opte pour le chemin des écoliers : route vers le nord, passant par un col à 2900 m, puis la route de Jianchuang, empruntée dans l'autre sens quelques jours auparavant, puis une piste rattrapant enfin la route vers Yunlong, mais plus en aval.

 

Je ne regrette pas ce parcours tortueux, surtout pour le tracé en piste. Piste pavée naturellement, mais agréable, déserte. Je m'étonne même d'y croiser quelques véhicules, je me demande bien vers quels villages reculés ils se rendent. Encore un col à 3200 m, et une longue, longue descente. Enfin la route, celle que j'aurais dû prendre depuis Lanping. En fait, ça n'a rien d'une vallée industrielle, juste quelques villages qui parsèment régulièrement la route, avec leurs ponts couverts.

 

 

 

 

Yunlong est une ville coincée en fond de vallée, plus agréable que Lanping. Hérissée d'immeubles, elle fait penser à Kangding, au Sichuan, avec cependant aucun temple à visiter. Il y a bien cette petite pagode dominant la ville, mais la montée se révèle décevante : cette pagode n'est qu'une construction en ciment ! Cependant, le point de vue sur la ville est superbe.

 

En aval de Yunlong, c'est la piste qui s'engouffre dans les gorges. La route, elle, emprunte d'entrée une vallée qui remonte, remonte. De 1500 m, je me retrouve à plus de 2200 m, à franchir un énième col, mais pour une fois sur goudron. Belle vue au sommet, mais redescente décevante : dès le premier village, la petite rivière est jonchée de déchets, des algues encombrent son lit. Les habitants du crû ne s'embarrassent pas pour l'élimination des déchets, tout part à la rivière, tel quel !

 

 

Plus bas, ça s'améliore, sans doute dans les villages suivants ils ont fait des décharges. Et puis, la rivière commence à passer par des gorges, qui changent de la plate vallée en amont. Dernier col, dernière plongée, et je rejoins la grand' route Dali-Ruili. Trop simple pour moi : de là, une piste rejoint Yangbi par les sommets, m'évitant une trentaine de km de nationale. Un coin super pour camper ! Pas de surprise, à la vallée succède une montée robuste. Un unique village, c'est le jour de marché, tous les paysans des vallées proches convergent vers ce petit bourg. Puis c'est l'assaut final au col.

 

La descente est brutale : de 2800 m, on replonge à 1700 m. Yangbi est minuscule en contrebas, écrasée par la haute chaîne de montagne dépassant 4000 m. De l'autre côté, Dali, qu'il n'est pas question de gagner directement, aucune piste ne coupant par là. Yangbi est une ville de plus sans grand intérêt, à part quand même le vieux quartier le long de la rivière : maisons typiques, sans doute comme Dali avant que cette ville ne soit restaurée. Un vieux pont suspendu aussi. Et une pagode sans intérêt, comme à Yunlong, à part le point de vue.

 

 

Dali n'est plus qu'à 40 km, par de la bonne route. Il y a même désormais une autoroute, qui à terme ira jusqu'à la frontière birmane - si ce n'est déjà le cas, les Chinois vont si vite... L'an passé, je pestais contre les travaux sur l'ancienne route Xiaguan-Dali : cette année, elle est refaite, à 2 fois 4 voies ! Paré pour une sérieuse augmentation de trafic, grâce à une augmentation incessante du taux de motorisation des Chinois. Bonjour l'effet de serre... D'année en année, la région se peuple de manière fulgurante. Old Dali et Xiaguan (New Dali) sont très dynamiques.

 

Sur une carte, j'ai même remarqué des projets ferroviaires entre Dali et Lijiang d'une part, Dali et Baoshan d'autre part. Mais le train n'est absolument pas compétitif pour le transport des voyageurs : conditions d'embarquement assez lourdes dans les gares, les trains Kunming-Dali mettent 7 h quand les bus n'en mettent plus que 4 sur autoroute. Tout est fait pour suivre l'exemple américain, totalement suicidaire pour la planète. Mais tant que ça permet à une classe de privilégiés de s'en mettre plein les fouilles (en Chine comme aux USA comme... en France), tout en contentant les pékins moyens, en ne pas touchant pas à leur sacro-sainte bagnole... Vue à court terme de politiciens médiocres, aussi rusés soient-ils (il paraît qu'il y'en a même qui courent à pied et fond des "Grenelle de l'environnement" tape-à-l'oeil).

 

INDEX WEIXI