COLS CROATES : IL JURA, MAIS UN PEU TARD...

 

Au cours de la longue descente de Gornje Jelenje sur Rijeka, j'étais non seulement gelé et trempé des habits jusqu'aux roulements à bille, mais en plus quelque peu amer : deux semaines que je roulais en Yougoslavie sous la flotte. Et ce premier mai, la pluie et le froid, transformés la nuit en neige, m'obligeaient cette fois à abandonner la montagne. Trop, c'était trop. Seule maigre consolation : à force de squatter la nuit des maisons en construction ou à l'abandon, j'avais réussi à maintenir ma tente-abri et mon couchage à peu près au sec. Quant au reste...les vêtements, la bouffe, les sacoches, le bonhomme, tout ça à passer à l'essoreuse ! Tout juste s'il n'y avait pas de l'eau dans le gaz...

Non, on ne m'y reprendrai pas de sitôt à rouler dans la montagne. A la sortie de Rijeka, je tombais du reste sur un cyclo Suisse parti de Thoune, vers les rives ensoleillées de la Grèce, puis d'Israël...et peut-être au-delà. On s'est même filé un bien hypothétique rencard pour l'Australie (1), le continent le plus sec au monde ! Lui venait du col Ucak (prononcer Outchak), franchi sous la neige fondue. Pas par là que je me dirigerai, pensais-je en me goinfrant de cappucini avec lui.

Et puis, ragaillardi par cette rencontre et par une espèce d'accalmie de cette météo "archedenoëienne", voilà-t-y pas que mon vélo, n'en faisant qu'à son guidon (à la guidoline détrempée), pousse insidieusement, et sans même que j'y prenne garde, ma roue avant sur les premières pente de cette montée ; et la roue arrière de suivre bêtement ! Pas une pour rattraper l'autre...

Les cartes routières privilégient aujourd'hui la route expresse du tunnel. Dans le meilleur des cas, l'ancienne route par le col est vaguement indiquée, mais on ne sait même pas si elle est revêtue, ni où elle commence. Je vais donc parcourir en toute innocence les premiers kilomètres sur la voie expresse qui s'élève doucement au-dessus du Golfe de Rijeka : le long de côtes étonnamment boisées, les tâches claires des maisons de la Rijeka, Opatija, Kastav, à l'assaut des pentes des montagnes toutes proches. Voir Rijeka et rouler...

Finalement, au moyen d'un "barreau d'interconnexion du VPV" (Vélo à Petite Vitesse), je vais retrouver la route du col, revêtue d'un bon bitume à faire pâlir les pavés de notre bonne vieille capitale séquanaise. Revêtue certes, mais pentue : il ne suffisait pas que ça grimpe du niveau de la more jusqu'à 953 m, il fallait que ça le fasse avec le moins de kilomètres possibles ! Les pancartes se succèdent : 12, 13, 14 %, la route me regarde de haut. Encore un peu, et l'aiguille de l'altimètre va bouger à chaque coup de pédale...

En arrivant non loin du col, la saucée qui reprend : non, ça ne pouvait pas rester plus de cinq heures sans se rappeler à mon bon souvenir...La sympathique proprio d'une gostiona (buvette), prenant pitié pour mon air de chien mouillé battu par la pluie et mon encombrant équipage encore alourdi par les kilos de flotte ingurgitée, m'offre un thé brûlant. Tudieu que ça fait du bien ! Discussion tantôt en allemand, tantôt en italien. Parce que pour moi, le serbo-croate, c'est de l'hébreu, sorti de bobar dan (bonjour) et de ne razumem (je ne comprends pas) !

Si le soleil n'est toujours pas de la partie, par contre la pluie s'est déjà arrêtée. Un feu de paille, en quelque sorte. Ou bien un coup d'épée dans...bon. D'habitude, ça commence à pleuvioter dès midi pour ne pas arrêter avant le soir...ou la nuit. Depuis Rijeka, j'avais visé l'antenne trônant sur la pointe dominant le col. Il existe sûrement une route d'accès depuis le col, mais probalement zabranje za stance (interdite aux étrangers). Eh bien non, il s'agit d'un relais télécoms, interdit à tout véhicule, sauf PTT. Mais je suis postier ! En toute logique, et presque toute bonne foi, une fois, me voilà en train d'escalader les lacets de cette route déserte.

En fin de parcours, un tronçon spectaculaire : la route taillée dans la falaise, quasiment accrochée au-dessus du vide, dominant la mer de 1300 mètres, située à moins de 5 km à vol d'oiseau, pchi pchi pchi maman je vole. Du sommet, à 1396 m, une vue circulaire sur le Golfe de Rijeka et son cirque de montagnes de toutes parts, dont les 1500 m sont couverts de neige un premier Mai ! Apparaissant toutes plates dans ce relief abrupt, les îles de Cres et de Krk. Non, ce n'est pas une faute de frappe. En Croate, Trieste devient Trst. Succès garanti au scrbl. A l'opposé, la presqu'île de Pula, Istria, partie intégrante de l'ancienne province italienne de Fiume (Rijeka) jusqu'en 43. Voilà qui peut servir pour les jeux télévisés, faut pas perdre une occasion de s'instruire mes petits.

Ah, j'allais oublier (mon oeil, bonhomme) : de l'autre côté du col, la route resdescend avec des passages signalés à 18 % : frayeurs garanties sur route mouillée et dans le brouillard remontant la ligne de crête...

(1) pour ma part, j'y serai bien comme prévu...3 ans plus tard.

Frédérick FERCHAUX, 1989

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