ETE INDIEN EN CALIFORNIE

 

            Trouver le moyen de visiter la Californie en évitant San Francisco et Los Angeles, voilà qui devrait me valoir logiquement une citation dans le Livre des Records ! un peu comme si un étranger se baladait en France sans voir Paris-la-Merveilleuse ; inimaginable, n’est-ce-pas, amis provinciaux ? Non, je pousse le bouchon un peu loin, car j’ai en fait bien approché ces deux mégalo-tropoles, incontournables comme on ne dit plus guère. Mais enfin, je ne m’y suis guère attardé : il n’est rien de plus ennuyeux à ma connaissance que de traverser ces immenses banlieues faites de garages, stations service, motels, supermarchés, pavillons individuels...mais il est vrai que nous commençons nous aussi à connaître ces prolongements tentaculaires de nos vieux centres historiques...

            Pour les Américains, San Francisco est un vieux centre historique : 150 ans d’âge, d’ici la fin du siècle ! C’est, paraît-il, la plus belle ville des Etats Unis, et par voie de conséquence du Monde, les Californiens étant réputés pour la modestie de leurs propos. En étant méchant, je dirais alors que c’est la ville la moins moche des USA ! Allez, une fois oubliés les banlieues, les autoroutes urbaines, ce côté ville nouvelle auquel nous ne sommes guère habitué en-dehors des ZUP bétonnées et de La Défense, oui, c’est vrai : “SF” ne manque pas de charme. Son site surtout est magnifique, la ville étant bâtie sur une quarantaine de collines dominant la Baie de San Francisco, que traversent plusieurs ponts gigantesques - dont le célèbre Golden Gate, qui fait toutefois riquiqui à côté des nouveaux viaducs bâtis plus au sud. Et puis, il y a bien sûr les fameux cable cars, mi-funiculaires, mi-tramways, Chinatown, des rues entières de maisons à façade victorienne, etc...Pour plus de détail, consultez un de ces excellents guides sur les USA, qui ne parlent souvent que des villes, la seule chose qui n’offre qu’un faible intérêt de ce côté-ci de l’Atlantique - surtout pour les amoureux de la nature que sont les cyclotouristes.

            Armé de mon bon vieux vélo francophone (reconnaissable à l’accent de la roue-libre), j’étais venu ici avec la ferme intention de voir surtout l’arrière-pays californien : la Sierra Nevada, plus un soupçon de désert, enfin un zeste de côte Pacifique, tout cela en deux mois. La suite me prouvera qu’il m’aurait bien fallu double de temps, même pour un fonceur de mon acabit. Une fois sorti de l’aéroport de San Francisco, après les habituels problèmes (vélo arrivant le lendemain. Ça arrive souvent, si correspondance à New York) et une rapide visite de la ville, je me dirige droit sur la Sierra Nevada. Nous sommes déjà en octobre, et je voudrais bien faire un bon morceau de haute montagne avant l’arrivée de la mauvaise saison.

            Première surprise, les environs de la Baie sont plutôt arides, faits de collines pelées. Certes, San Francisco est la latitude de Cordoue ou d’Alicante, mais on m’a tellement seriné qu’il faisait froid et brumeux que je m’imaginais déjà re-refaire un remake bis de la Norvège. Avis à la population : à SF, il fait chaud et sec, même en octobre. Pour me préparer à la haute montagne, je grimpe au modeste Mount Diablo, 1 150 m au-dessus de l’agglomération, soit tout de même une solide mise en jambes ! Repos et ennui assurés en traversant l’inévitable plaine de Sacramento. Le troisième jour, à Modesto, je suis sur le point de me faire piquer ma monture avec selle et bagages, l’entrée d’un saloon, euh, d’un supermarché, par un cow boy armé d’une énorme pince coupante. A deux minutes près, j’allais continuer mon séjour avec en tout et pour tout les lambeaux d’un antivol escargot...Pas fameux, pour les pointes de vitesse.

            La montagne se charge bientôt de me faire oublier cet incident : me voici à l’entrée nord-ouest du Parc National Yosémite (prononcer yas-sémidi), célèbre pour ses murailles rocheuses et ses fantastiques chutes d’eau. Le parc est vaste, je me contenterai pour l’instant de la montée au Tioga Pass, laissant à mon retour la visite du parc proprement dit. Première nuit sur les hauteurs, à 2 200 m d’altitude. Les ours étant protégés dans le parc, il doit bien en traîner dans les parages, mais je ne serai pas dérangé pendant la nuit.

            Le Tioga Pass, à 3 000 m, sera le plus haut col de mon petit raid, mais aussi le premier d’une longue série dans la Sierra Nevada, cette haute chaîne occidentale des Rocheuses qui porte le sommet des USA (1) hors Alaska : le Mount Whitney, 4 400 m, encore épargné par la neige pour quelques semaines encore. Cette barrière naturelle constitua la dernière difficulté pour les pionniers atteignant leur terre promise, certains s’étant même fourvoyés dans la Vallée de la Mort plus au sud, pensant peut-être échapper aux rigueurs de la haute montagne.

            Les jours suivants, je vais donc m’amuser à enfiler les cols de la chaîne, comme autant de perles le long de ma route zig-zagante, pour finalement me diriger plein nord, vers le Parc National Lassen.  Si les journées sont très belles, et même chaudes, les matins sont parfois un rien frisquets, surtout sur la face est de la Sierra : deux matins de suite, l’eau commence à geler dans les gourdes ! Qu’il est dur alors de quitter le douillet duvet...

            Comme de nombreux sites de l’ouest américain, ce parc est marqué par l’histoire des hardis pionniers, le sieur Lassen ayant mené (et parfois perdu !) des caravanes d’émigrants à travers les montagnes de l’endroit. Mais ce parc a pour principal intérêt le volcan encore actif en 1921 (autant dire la durée du battement d’ailes d’un vélosaure), dont le cône culmine à plus de 3 000 m. La route, passant à près de 2 600 m, traverse tantôt des champs de lave, tantôt d’épaisses forêts de conifères, ou bien une zone rocheuse envahi par la neige, d’où se dégage un panorama sur le moutonnement infini des collines environnantes. Et toujours le ciel bleu, naturellement.

            Allez, je retourne me réchauffer vers le sud, sans quitter la Sierra. J’aborde maintenant la région du Lac Tahoe, frôlée une semaine auparavant. On m’avait prévenu : le coin est archi-touristique, pour ne pas dire pourri. Et c’est vrai que les routes sont encombrées, les rives du lac pas toujours accessibles (c’est rien de le dire), mais ça vaut la peine d’être vu. Il s’agit d’un très beau lac de montagne, à la manière de celui d’Annecy - en plus haut:  perché à 1 900 m, dominé de très belles montagnes enneigées, il faut bien faire 80 km pour en faire le tour. Ce lac a la particularité d’être partagé entre la Californie et le Nevada, l’état du mariage-divorce et du jeu : à peine traversée la stateline (limite d’état), on tombe sur les casinos et autres boites à sous, une ineptie au bord d’un si beau lac. A ces gamins de joueurs, Reno tout proche, et Las Vegas plus au sud ne leur suffisent pas !            

            L’histoire du Nevada (je n’ose dire celles des USA !) est peut-être résumée entre Carson City, capitale de l’état, et Reno, 50 km au nord : on quitte une ville sans âme, concentrant les administrations, pour traverser Virginia City, une ville qui compte 20 000 habitants au temps de la ruée vers l’or ; sa rue principale, “rénovée à l’ancienne”, a même des trottoirs en bois, mais décidément, ces grands enfants d’Américains ne savent pas faire dans la nuance : cette rue ressemble plus à une rue commerçante de Lourdes avec ses boutiques à (laissez les-) sous-venir, qu’à une évocation fidèle du Far West. Enfin...

            Je repasse une dernière fois la ligne de crête au Donner Pass, grande voie de passage ou s’engouffrent l’autoroute et la voie ferrée Salt Lake City-San Francisco. Je tombe sur un couple de mountain bikers avec qui je vais randonner sur les pistes environnantes, prouvant ainsi qu’une vulgaire touring bike vaut bien parfois un vélo de montagne tout-terrain. Puis pour trois jours, je vais quitter la montagne pour rouler dans une région de collines douces - ce qui n’est pas toujours le cas du dénivelé, les routes coupant de nombreuses vallées.

            De Auburn à Mariposa, j’emprunté la Route 49 : numéro administratif donné aussi et surtout en hommage aux pionniers de la Ruée vers l’Or de la Californie (1849). Les sites, plus ou moins intéressants, ne manquent pas dans ce qui fut le Mother Lode (filon mère) : Sutter Creek (du nom du raté qui perdit la mainmise sur la Californie à cause de cette stupide ruée), Molekumne Hill, Jackson, Columbia, Sonora, autant de centres urbains plus ou moins conservés qui représentent chacun une facette de la riche et “longue” histoire californienne.

            En fait, ce qui m’a le plus marqué, le long de cette route, c’est la crainte quasi-permanente de me faire écrabouiller par un de ces énormes poids lourds qui ne prennent pas la peine de ralentir, estimant que c’est bien suffisant de me klaxonner. C’est que, ayant quitté la montagne, je me retrouve sur une route californienne normale, c’est-à-dire encombrée, et que celle-ci, contrairement à de nombreuses autres, est étroite, pentue et sinueuse et ne comporte pas de bande cyclable. Et quand on connait la dimension des voitures américaines, sans parler des véhicules utilitaires...  

Heureusement, au-delà de Sonora, ça se calme, en même temps que le relief devient moins cahotant. De Coulterville à Mariposa, je retrouve une région de petite montagne de caractère espagnol : me revoici à l’entrée du Parc National du Yosémite, plus au sud cette fois. Je m’étonne de me trouver dans des collines si sèches, sachant que non loin une dense forêt couvre les pentes de la montagne. M’y voilà bientôt, d’ailleurs : l’accès au Yosémite se fait cette fois par une étroite vallée en gorge, rappelant d’aucune vallée pyrénéenne. Me voici dans la zone centrale du parc, dans le site connu de nombreux visiteurs : autour d’une vallée en auge boisée, de modestes mais hautes chutes dévalent de falaises en à-pic. Sauf erreur, ce seraient en hauteur les deuxièmes chutes du monde (mais doit-on prendre pour argent comptant les affirmations des Etats-Uniens ?).

            Au fond de cette vallée, où se concentrent les services du parc ainsi que ses ressources hôtelières, existe un petit réseau de pistes cyclables : ce n’est pas plus mal, car même de bonne heure, les étroites routes du parc sont bien circulantes, encore fin octobre. Mais le mieux est de se rendre à Glacier Point - d’où on ne voit du reste aucun glacier, encore un attrape-nigaud bien état-zunien. Après un long parcours, la route atteint le rebord d’une falaise, quelque 1 200 mètres immédiatement au-dessus de Yosemite Village : de ce point, on a un excellent panorama sur les chutes, ainsi que sur les montagnes remontant sur la lointaine ligne de crête de la Sierra Nevada.

            Autre grande curiosité du Yosémite, Mariposa Grove : à la sortie sud du parc, alors que rien dans la forêt environnante ne le laisse deviner, existe une futaie de séquoias géants. Ces arbres, qu’une épaisse écorce protège depuis pour certains trois millénaires des nuisances et des incendies de forêt, élancent leur tronc nu sur des dizaines de mètres. On a vraiment l’impression d’avoir réduit de taille, face à ces monstres de bois ! Dans le Sequioa National Park, que je vais traverser quelques jours plus tard, je pourrai voir la, parait-il plus grosse chose vivante (l’habituelle propension des Américains à manier le superlatif) : le séquioa baptisé Sherman, 31 mètres de circonférence. J’ai oublié le tonnage.

            Depuis mon retour au Yosémite, je suis dans le sud de la Sierra Nevada, où la neige est très rare, et les nuits sont douces. Quant aux journées, c’est le soleil garanti à part un après-midi brumeux, jusqu’à temps que je me retrouve à plus de 2 000 mètres ! Dans ces montagnes faiblement peuplées, les seules routes goudronnées existantes sont généralement les axes de transit. J’ai eu pourtant l’occasion de constater que dans certains coins existaient de petites routes forestières, mais dont le revêtement avait été abandonné depuis bien des années ; eh oui, pas rentable d’entretenir des routes pour le seul plaisir des touristes...ou volonté de limiter ainsi la pression automobile sur ces massifs forestiers, au bord de la plaine et de la côte déjà surpeuplées ? Au moins, sur ces pistes, en cette saison, qu’il est bon de se promener à vélo, sans avoir sur le dos sans cesse des bagnoles !

            Après le parc national Séquoia, je continue autant que possible de me maintenir en haute montagne, montant parfois à plus de 9 000 pieds (2 700 mètres) sans pour autant trouver de neige ! Plus bas, de nombreuses retenues, presque à sec en ce milieu d’automne, permettent de fournir l’eau aux villes, et d’irriguer les plantations d’agrumes. Décidément, la Californie est une ruche aussi bien grâce à ses montagnes (bois, eau) que grâce à ses prairies (fruit, vin)...sans parler bien sûr de la puissance économique de ses centres urbains ; avec en plus cette météo exceptionnelle, on comprend que ce soit devenu l’état le plus peuplé des USA.

            Cette population, concentrée sur la côte et dans la plaine de Sacramento, délaisse la montagne, ainsi que, bien entendu, les déserts. Ce sont ceux-ci que j’aborde bientôt, en atteignant Ridgecrest : une de ces villes de l’est californien ou du Nevada qui ne doivent leur existence que de par la proximité d’une base militaire. Passée cette “Porte du Désert”, signalée moins par les os (j’ai trop lu de B.D !) que par d’innombrables canettes vides le long de la route, un violent vent de face est sur le point de me faire abandonner. Ça va mieux dès le lendemain, et ce vent, que rien n’arrête dans le désert, m’aide à finalement entrer dans la Vallée de la Mort.  

Zabriskie Point, Death Valley, au petit matin frais

            Après avoir connu la végétation abondante, les points de vue étriqués en montagne (à cause de la forêt dense), ça fait drôle de parcourir le désert : des vues à l’infini, et ce d’autant plus que l’air, très pur, raccourcit les distances ; des montagnes arides aux pentes ravinées, à la roche colorée offrant un aspect changeant à chaque mouvement du soleil. Car il ne faut pas s’imaginer qu’un désert c’est forcément plat et ennuyeux. L’ambiance y est spéciale, mais il faut bien sûr prendre un minimum de précautions à vélo - quoique ici, un désert n’est jamais complètement désert.

            Death Valley : non, je ne m’amuserai pas à la faire à pied en été comme un certain Français ! On sait généralement qu’il s’agit d’une dépression, jusqu’à 85 mètres en-dessous du niveau de la mer ; mais il faut savoir qu’elle est immédiatement bordée par des montagnes atteignant plus de 3 000 mètres au-dessus de ce même niveau ! Les voies d’accès sont généralement à plus de 1 000 mètres d’altitude, parfois à 1 500 mètres, ce qui fait de la traversée de cette vallée un parcours de montagne. A part cette curiosité géographique, l’intérêt du site réside dans ses étroits canyons à sec, ses roches de toutes couleurs, aux assemblages parfois bizarres, cette rare végétation du désert, et, évidemment, ce sentiment de solitude dès qu’on s’éloigne des grandes curiosités touristiques, concentrations de véhicules - car novembre est le début de la pleine saison.

            Cinq jours dans le désert, c’est bien suffisant, et le vent a l’excellente idée de me pousser jusqu’au pied du Cajon Summit, col au-delà duquel commence Los Angeles. Cajon Summit, c’est surtout là que commence la route de crête des San Gabriel Mountains qui dominent de plus de 2 000 mètres l’agglomération angeline. En fait, il y a un tel moutonnement de collines qu’il n’est guère possible de voir ne serait-ce qu’un morceau de la ville, pourtant gigantesque. C’est tout de même le cas le long de petites routes non loin de Red Box Gap : aux crépuscules matinaux ou vespéraux, j’ai, sous les yeux et sous mes pieds, un immense damier formé de rues et de pavillons individuels, entouré de collines (Beverley Hills, Hollywood), au centre duquel se concentrent les gratte-ciels ; sur le promontoire de Disapointment Peak, on a en prime un “360°” avec les  montagnes derrière. Qu’il est dommage qu’il n’y ait pas quelques montagnes élevées proches de Paris, imaginez un peu le panorama ! J’ai ainsi passé une nuit juste au-dessus de Los Angeles, et c’est un spectacle que de voir ce flot incessant de lumière sur les innombrables autoroutes urbaines. Ne manque plus que l’accéléré, à la manière de certains clips !

            Dans ces montagnes, je vais pourtant connaître quelques problèmes : ainsi, une malheureuse crevaison sur piste, alors qu’il ne me reste qu’une ridicule et minuscule pompe de rechange - j’ai cassé l’autre la veille. Et, je vous assure, regonfler avec une mini-pompe, c’est crispant, surtout pour à chaque fois obtenir un résultat décourageant ! (il ne s’agissait pas de la mini pompe Zéfal). Encore mieux : alors que j’avais pour une fois laissé dans un camping forestier de montagne mes sacoches et ma tente, je trouve le moyen de perdre ma route sur la piste du retour, et je finis, aidé par la pleine lune, par emprunter des sentiers, puis par carrément escalader la montagne ; enfin, après deux heures de nuit,  aidé par un gros morceau de chance, je retrouve le camping, totalement désert en cette saison ! Il est vrai que leurs cartes routières ont rarement une grande précision dès qu’on quitte le réseau principal.  

Buvant de la bonne eau fraîche à Badwater, le point le plus bas (-86 m) de la Vallée de la Mort

            Bon, ces petits contretemps sont oubliés. Je roule maintenant à cheval (mais non, mais non, aucun changement de moyen de locomotion) sur Los Angeles et les montagnes qui bordent l’agglomération : d’une part, je n’arrive pas à me décider à quitter le relief, d’autre part il n’est pas question que je campe dans la plaine urbanisée. Je continue donc à parcourir des routes de crête au milieu de montagnes tantôt pelées, tantôt couvertes de forêts style Méditerranée. Allez, un dernier col à près de 2 400 mètres, le Baldy Notch, mais c’est le début de la fin : juste en arrivant au sommet, les nuages qui menaçaient depuis le matin me recouvrent, et s’entr’ouvrent. La saison humide vient juste d’arriver, mais il suffit de redescendre pour ne plus être inquiété. Je vais pourtant stupidement insister, et revenir camper le soir dans la montagne. Ce sera la troisième et dernière nuit pluvieuse de mon séjour; il faut plutôt parler de déluge ! Avec le vent violent, des piquets de ma tente se défont dans la nuit, et voilà l’eau inondant l’intérieur, trempant le duvet durant mon habituel sommeil de plomb...

            Au matin, ce ne sont pas la pluie ou le froid qui auront raison de mon manque de raison, mais les nuages : je roule bientôt dans le fog, et je ne connais rien de plus ennuyeux que de rouler dans le blanc toute une journée, surtout en montagne. Cette fois, c’est décidé, je quitte les hauteurs. Sage résolution : j’ai tout juste le temps, en dix jours, de rejoindre San Francisco, sans même séjourner à Los Angeles. Avec l’extrême sud de la Californie (San Diego), ce sera donc pour une autre fois...En deux mois, on ne peut pas tout voir, surtout si comme moi, on s’attarde en montagne !

            Je rejoins bientôt la côte Pacifique, ennuyeuse au sud de Los Angeles, car circulante et peuplée. Ça s’améliore en traversant les plages de l’agglomération, sur environ 150 km (!). On y rencontre ces fameux sportifs (coureurs, cyclistes, surfeurs et autres) et quelques originaux de tout poil, le tout symbolisant la Californie - alors même qu’il ne s’agit finalement que d’une minorité visible, sinon tape-à-l’oeil : quelques milliers de gens sur les neuf que comprend cette mégalopole, ça fait penser à certains “sondages représentatifs”...

            Une chose sûre : en traversant LA (Los Angeles, à l’origine “Nuestra Senora La Reina de Los Angeles de Porciuncula”) par le littoral, je ne vois que des stations balnéaires, lieux de loisirs, et parfois de richesse. Et puis, peu avant Santa Monica, le choc : je tombe nez à nez avec une soupe populaire (une des rares qui ont pu survivre aux restrictions reaganiennes des budgets sociaux), fréquentée par les couches défavorisées de la population : hispano-américains, noirs, mendiants...Puis les plages de riches reprennent juste après, le rêve interrompu par un court cauchemar. C’est cela aussi, la grande Amérique...

            De Los Angeles à San Francisco (bref, de LA à SF), l’océan est souvent bordé par des collines, voire par la montagne. Les environs de Santa Barbara notamment sont très beaux, dont une magnifique route presque entièrement revêtue courant sur les crêtes, à 1 000 mètres, entre la montagne et la mer. Mais c’est seulement plus loin que je vais comprendre pourquoi cette route côtière (highway 1) est considérée comme la plus belle route de Californie, et, “donc”, la plus belle route du monde (puisque les Californiens vous le disent !) : un mélange de côte bretonne, avec une mer violente, s’abattant avec fracas sur les récifs, et de côte méditerranéenne, à cause du climat, et de cette montagne plongeant dans la mer. Mais je n’arrive pas à comprendre comment les gens d’ici, comme chez nous, peuvent faire cette route vitres fermées, quasiment l’oeil sur l’indicateur de vitesse...Ca fait penser à certains “cyclotouristes” qui ont plus le nez dans le guidon que la tête dans les nuages.

            La Péninsule de Monterey est très touristique : ça sent le fric (qui a dit que l’argent n’avait pas d’odeur ?), c’est la plus importante concentration mondiale de golfs...Le long d'une côte plus que jamais furieusement bretonne viennent se reposer, sur des récifs, protégés des nuisances humaines, des oiseaux, des mammifères marins (loups de mer) - et des papillons sur la terre ferme. Peu avant San Francisco, quittant le bord de mer, je vais pouvoir approcher des séquoias. Encore ! Oui, mais ceux-ci sont différents : moins gros que leurs frères des montagnes, ils sont en revanche plus hauts, en ayant la même longévité. Il est surtout surprenant de constater comme, à proximité d’une zone aride, peut exister une région très humide, dotée d’une luxuriante forêt océanique, particulièrement verte en cette fin novembre. Le phénomène est frappant à constater le long du Skyline Boulevard, suivant une crête entre 500 et 800 mètres au-dessus des banlieues de San Francisco - ce qu’on appelle Silicon Valley. Inutile de dire qu’on y a quelques vues sur la Baie de San Francisco, entourée de multiples collines.

            Si, il est vrai, je ne me suis guère attardé dans les villes, je quitte quand même la Californie avec une belle vue de SF depuis les collines de Twin Peaks au soleil couchant ; un spectacle ! Voilà comment se clôture un périple de deux mois dans un pays offrant plusieurs visages. La Californie est certainement l’état de plus diversifié du continent nord-américain, où les gens sont somme toute agréables, même si on dépasse rarement le stade de la discussion passe partout - mais en va-t’il bien différemment chez nous ?

(1) que les dits Alaskans dénomment, avec une pointe de commisération, les “49 d’en-dessous”

Frédérick FERCHAUX, 1986 (je finirai par séjourner à Los Angeles 6 ans plus tard, notamment chez une famille de Anaheim – sans pour autant, snobisme suprême, visiter Dysneyland tout proche).

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