ITINER'EIRE

 

IL EST BIEN TEMPS !

L'Irlande est probablement, au même titre que sa lointaine voisine mais proche cousine Islande, un aimant. Un aimant de terre qui attirerait l'eau du ciel : d'où que vienne le vent, il ramène la pluie ! Dans une même journée, à l'occasion, il peut souffler dans des directions opposées...et faire crever les nuages avec une égale vigueur sur cette éponge dite terrestre qui a pour nom Eire.

Durant des années, déclarant que je m'adonnais (hélas, je n'en suis pas guéri) au cyclo-camping, on me demandait presque invariablement : "es-tu allé en Irlande, au moins ?". Cela semblait tellement évident d'aller pédaler dans la verte Erin de nos cruciverbistes, à ces non-connaisseurs de la chose. Eh bien, ou l'âge m'a rendu douillet, ou bien je recommanderais à celui ou celle qui voudrait s'embarquer dans cette baignoire (cette île en a la forme...et le contenu, canard plastique en option), de ne pas oublier de se munir de ses palmes et de son tuba. Et de quelques vêtements chauds en prime.

"Elle a une drôle de forme ta baignoire, Frédo ! Faudrait arrêter le whisky..." Dessin de Jean-Luc Maréchal, paru avec l'article, dans la revue CCI n°57 (printemps 95)

Je suis quelque peu caricatural (non, vous êtes sûrs ?) : en 4 semaines, en juin-juillet, j'ai tout de même eu une dizaine de jours de suite de beau temps, en outre au moment bien choisi : en parcourant le chapelet de presqu'îles du sud-ouest, à l'arrière-goût d'Ecosse, voire de Norvège. Mais la pluie ne lave pas si vert qu'on le prétend : les mêmes péninsules, et leurs montagnes "s'élançant" jusqu'à plus de mille mètres (vu les conditions climatiques, ça représente en fait beaucoup plus) offrent le plus souvent un aspect minéral, tempéré dans les basses terres par les moutons piquetant (et tondant par la même occasion) la maigre pâture.

Ce sont sans doute les mêmes moutons qu'il faut suivre, dans leur fuite effréné devant ce cyclo d'une autre galaxie, afin de trouver sa route : les carrefours sont nombreux, toujours plus nombreux que les pancartes pour indiquer la direction, ou le nom du village ou du hameau que vous traversez. C'est fou le nombre de lieux-dits qui ont pour nom "Community Alert Area" ! L'insécurité rôderait-elle dans les campagnes de cette république de 3.5 millions d'habitants, dont près d'un tiers concentré dans la région de Dublin ? Quelques brebis galeuses, probablement...Plus sûrement, il y a tellement de maisons sans occupant, sinon abandonnés, leurs propriétaires étant partis pour une ville un peu moins difficiles en Angleterre ou aux Etats Unis, que la tentation est grande pour certains de venir squatter. Un cycliste, par exemple.

BALADES IRLANDAISES

Votre Vélo Tout Terrain, Tous Chemins ou Tout ce que vous voudrez sera mal rentabilisé : du goudron partout ! Et les rares pistes ont de toutes manières une destination tellement inconnue, à travers forêts et tourbières, que je ne vos recommanderais pas de vous y engager...sauf si vous avez pris des bottes, ou que vous avez pris la décision de teindre vos jolies socquettes blanches d'un délicieux ton brunâtre. Ceux qui auront fait le Windy Gap dans le Kilarney national Park verront à quoi je fais allusion...

Sinon, les routes sont en moins mauvais état que ne le prétendent les automobilistes (dont la suspension, il est vrai, est mis à rude épreuve, et qui ont intérêt à calculer au plus juste leur gabarit, vu l'étroitesse chronique toute britiche des chaussées), à part dans le sud-ouest. Le problème n'est pas qu'elles ne soient pas entretenues...mais au contraire qu'elles le soient trop : certaines petites routes sont tellement ravaudées fréquemment, qu'on n'arrête pas de rouler sur des pansements, le revêtement originel ayant depuis belle lurette disparu sous cet amoncellement de rustines de goudron, formant des bosses pires que les nids-de-poule qu'ils recouvrent.

On a déjà parlé des péninsules du sud-ouest, qu'on peut enfiler telles des perles les unes après le autres depuis Cork. Si vous êtes un peu pressés par le temps (ou par le temps), coupez court en vous "contentant" de l'anneau du Kerry, de Beara et sa jolie route du Healy Pass (la seule route en lacet...et au pourcentage agréable), ainsi que de Dingle (et le Connor Pass, autre très belle montée, déjà plus musclée). Mais, entre Cork et ces péninsules, ne loupez pas certaines routes de l'intérieur, telle celle entre Bantry et Killgarvan, ou celle entre Glengarrif et Kenmare (pli D12 carte Michelin). De même, au Ring Of Kerry (tour de la presqu'île de Iveragh par la côte), circulante et d'où la côte n'est de toutes façons pas toujours visible, je préfère les routes de l'intérieur, telle Ballaghisheen Pass, Ballaghbeama Gap, ou surtout le Gap of Dunloe : les amateurs de montagne seront comblés, malgré l'apparente faiblesse d'altitude.

Les amateurs de montagne facile seront, eux, séduits par le Connemara : on n'arrête pas d'y rouler au pied de sauvages chaînes s'élançant depuis l'altitude zéro jusqu'à d'austères 1000 m...mais en restant sur des routes essentiellement plates, longeant à l'occasion un joli lac. Cela dit, malgré la pub qu'en a fait Sardou (c'est fou le nombre de Français, qu'on rencontre seulement dans le Connemara !), je préfère le Joyce County, non loin, plus impressionnant, même si les côtes y sont parfois rudes (quelques redoutables montées jusqu'à des 300 m d'altitude. Ne rigolez pas, vous verrez !), et abordant la mer au niveau de l'unique fjord de l'île.

Plus au nord, Achill Island. Cette presqu'île est bien mal située, car si l'on vient du Connemara, sauf à revenir sur ses pas, on est ensuite "obligé" de monter jusque dans le Mayo - et, tant qu'à faire, de continuer vers Sligo et le Donegal. La montée au relais de Mimaum Heights est difficile (passage à près de 20 %, négocié à pied), mais le panorama est superbe, et on se trouve auto-récompensé tant du détour que de la montée.

UN PAYS DE RUINES

Mais revenons à nos moutons. Si l'on vient en Irlande, et notamment à vélo, c'est pour partir à la rencontre des paysages du sud-ouest, entre mer et pluie. En cours de route, et surtout si l'on s'enfonce dans l'intérieur (accessoirement dans la tourbe, si l'on a le malheur de quitter le goudron), on découvrira un pays...en ruines. Partout, de superbes oeuvres d'art, châteaux, abbayes, démolies pour redémolir, par les vagues successives d'envahisseurs - au premier rang desquels les Anglais ; d'autres tombées en décrépitude, à une époque où le patrimoine historique n'était pas encore un...créneau porteur, et où le problème se situait plutôt au niveau de l'estomac (the Great Famine).

Aujourd'hui que les ventres sont un peu mieux dorlotés, les Irlandais commencent à songer tirer parti de leur or vert. Ça se ressent surtout au niveau de l'hébergement, à croire que chaque maison est partie intégrante du réseau bed and breakfast (chambre d'hôte), tout au moins dans les régions touristiques. Aussi, si vous restez sur la côte et les grands axes, ne comptez pas être hébergé spontanément par une famille. Tout est tarifé. Ayant dormi dans un hanger que je croyais faire parti d'un complexe agricole (j'avais la crêve, hâte de me coucher, et n'avais pas vu qu'il y avait une maison juste à côté), la fermière est venu gentiment me réveiller le lendemain, me demandant 3 livres et demie, sinon elle appelait la police. J'ai beaucoup apprécié la demie, car je n'avais en monnaie que 3.30 livres. Autant dire que, toujours souriante, elle a insisté pour que je donne tout de même les 30 cents.

Cela dit, ce qui est un inconvénient pour le cyclo-vagabond à la recherche de la nuitée gratuite, est un avantage pour l'Irlande et le peuple Irlandais : moins de complexes touristiques défigurants, un revenu de complément pour les familles, ce qui contribue en outre à réduire un trop fort exode rural vers les villes. Ça aussi, c'est l'aménagement du territoire. Il est vrai qu'il est pour le moins difficile de faire du camping : non par manque de terrains officiels, non par de place pour planter sa tente ailleurs, mais du fait de la météo. Et les abris sont rares ! Pas même d'abribus dans les villages (de toutes façons, les bus ne sont pas fréquents), rares hangars. Il reste les préaux d'école, dans les hameaux.

Autant venir sans tente : on trouve une cinquantaine d'auberges de jeunesse, ainsi qu'une autre cinquantaine d'auberges "privées" (private owner), dont l'avantage sur les premières, selon Thierry Larher, est qu'on n'a pas besoin de carte, et que leur accueil est bien meilleur, notamment pour ranger le vélo. Un toît, c'est bien agréable, après une journée froide et/ou humide - plus souvent "et".

Bien sûr, les gens sont bien agréables, surtout plus on s'éloigne des villes et des spots touristiques. L'Irlandais (et l'Irlandaise) aux cheveux roux et aux tâches de rousseur, ce n'est pas une légende, même s'ils ne sont pas une majorité. Par contre, le gaélique est devenu relativement folklorique, malgré d'évidents efforts de maintenir ce dialecte là où il est encore parlé (dans les zones enclavées de l'Ouest). On ne croise plus de carrioles tirés par des chevaux, si ce n'est pour des besoins touristiques. Bref, l'Irlande est entrée de plain-pied dans la moderne CEE. Si son niveau de vie a plus à voir avec certains collègues du sud (Portugal, Grèce), son mode de vie se rapproche plutôt de l'Angleterre, pôle constant d'attraction-répulsion.

Frédérick FERCHAUX, juin-juillet 1994

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