SUR LA TRACE DES CHERCHEURS D'OR

"...Dans ces vastes espaces, l'homme, lui, a taille d'homme et il est toujours grandeur nature.
L'homme ayant taille d'homme, pour habiter ce pays, doit sans cesse être "pris de voyage"..."

Gilles Vigneault

"Tu viens d'où comme ça ?", "de l'Alaska". Le gamin me regarde, incrédule. "Et pourquoi t'as pas pris ta voiture ?" Pour la peine, c'est moi qui suis soufflé ! Je suis à Kitimat, ville industrielle au bord d'un fjord du Pacifique, et depuis plus de deux mois que je roule dans ce coin, je ne m'étais pas posé une question comme ça. Quoi de plus stupide en effet que de circuler à vélo sur le continent nord-américain ? J'ose cependant affirmer que ça en vaut la peine.

A TRAVERS LES ROCHEUSES

Début laborieux, pourtant : à l'arrivée à l'aéroport de Vancouver, j'ai l'honneur de constater que la roue arrière est rendu inutilisable à la suite d'un choc dans l'avion. Et impossible de trouver du 650 B ici. Finalement, on me "collera" une roue à la dimension légèrement supérieure (du 650 A = 590 au lieu de 584), qui me donnera d'ailleurs entière satisfaction. Après tout, deux jours d'acclimatation à l'ambiance nord américaine, ça ne se refuse pas. Les trois premières semaines avant de me plonger dans le grand Nord, seront consacrées à la mise en train, et à l'accoutumance à ce continent : notamment, les grandes distances entre lieux habités, et la présence éventuelle d'ours. C'est aussi et surtout le moment de parcourir le sud de la Colombie Britannique.

Cette province ouest du Canada est quasi entièrement couverte de montagnes : à l'ouest, chaîne côtière plongeant dans l'Océan Pacifique, à l'est Rocheuses dominant les Prairies, et entre les deux, les Columbia Mountains, constituées en fait elles-mêmes de plusieurs chaînons (Monashee, Selkirk, Purcell). Au mois de mai, l'hiver laisse encore de bonnes traces en montagne. C'est ainsi que je franchis le premier col : l'Allison Pass, dans un paysage fortement enneigé, et sous un durable grésil. Mais aussitôt après, c'est une région sèche qui m'attend. Le Canada, ce n'est pas seulement de vastes et sombres forêts de hauts sapins ! Seuls quelques petits lacs de montagne tempèrent l'aspect aride de la région comprise entre Princeton et Kamloops. J'aborde alors la Transcanadienne, qui longe bientôt le Shuswap Lake aux multiples bras.

Retour à la neige et aux montagnes élevées, à l'approche des Parcs Nationaux de Revelstoke, Glacier, Yoho, Banff et Jasper. Insouciant, je plante ma tente le long de la route, y rentrant toutes mes sacoches bourrées de victuailles. Je saurai plus tard que ce n'est pas chose à faire, à cause des ours. Ni nourriture, ni cuisine sous la toile. Cette région demeure encore bien enneigée : le Rogers Pass, à 1327 m, est un lieu réputé en hiver pour ses avalanches ; je veux bien le croire, en franchissant cette étroite dépression entre deux immenses murailles de neige.

Le long de cette section de la Transcanadienne traversant les Rocheuses, les centres habités se font rares : Sicamous, Revelstoke, Golden ; entre chacune de ces petites villes très fonctionnelles, 100 à 150 km à monter puis redescendre un col, en longeant de très belles vallées de montagne : torrents, cascades, forêts de sapins, neige, mais pas encore d'animaux. Peu avant le Kicking Horse Pass (Col du Cheval qui Rue), j'aborde une zone de hautes et fort belles montagnes, aux coloris mêlant le vert sombre de la forêt, le blanc de la neige et l'ocre de la roche. De petits lacs, magnifiques dans leur site, sont toujours gelés. A hauteur du col, je fais la course avec un train ; il est vrai qu'ici, les convois, tractés par trois à six locos, ont souvent plus de cent wagons...

J'atteins enfin le Lake Louise, fort justement célèbre : un décor de carte postale ! Pour se faire une idée, imaginons un beau lac gelé au pied du Cirque de Gavarnie, avec pas mal de neige dans les parages. Une splendeur ! Un type me déconseille d'aller rouler sur le lac, craignant que celle-ci ne soit plus assez épaisse ; de toute manière, ce n'était pas mon intention. Non loin, la magnifique route qui, passant à 2000 m d'altitude, mène au Lac Moraine, offrant de splendides vues sur les sommets de la région. Comme il est encore un peu tôt pour m'engager sur les routes du nord, je décide de réaliser une boucle en Colombie Britannique, durant une bonne dizaine de jours.

Je ne vais pas regretter, sautant encore de zones arides en lieux couverts par les neiges : Kimberley, la "capitale" bavaroise, Kootenay Lake, véritable petite mer intérieure, Monashee Pass, plutôt frisquet, enfin l'aride mais riche Okanagan Valley. C'est désormais la canicule qui règne pour une semaine. Nouvelle traversée d'ouest en est des massifs montagneux, via le Crowsnest Highway (Route du Nid de Corbeau), qui longe la frontière avec les USA. Grâce à une piste, je vais m'épargner (si l'on peut dire) la descente dans la Prairie, et pouvoir admirer le Kananaskis Country, très beau pays de montagne aux alentours du Highwood Pass (2253 m).

C'est ainsi que j'arrive à Banff, la "capitale" des Rocheuses Canadiennes, à une centaine de kilomètres à l'ouest de Calgary (prononcer "calgri"). Dans cette région, les sommets, au caractère alpin, sont élevés (3000 à 3500 m). Mais n'oublions pas que les prairies sont à plus de 1000 m d'altitude. Ce qui frappe surtout, c'est l'aspect découpé, sculpté des massifs. Une réussite de Dame Nature. Me voilà de retour à Lake Louise, et en direction de Jasper, via la prometteuse Route des Champs de Glace (Icefield Highway). Hélas, le temps qui jusqu'ici m'a été particulièrement favorable tourne maintenant à la pluie. Un peu dommage, mais la plupart des glaciers restent quand même visibles.

Au Bow Pass, je croise un cyclo randonnant dans les Rocheuses. Décidément, je dois être le seul à me diriger sur l'Alaska, car les cyclistes rencontrés jusqu'alors restent dans le sud du Canada, quand ils ne se rendent pas en Californie ! En tout cas, je ne suis pas prêt d'en revoir un avant une vingtaine de jours...Le beau temps reviendra au-delà de Jasper, le long de la Yellowhead Hy (Route de Tête Jaune) menant à Prince George. L'habitat est plus que jamais dispersé (un seul village sur 400 km), mais je commence à m'y habituer. Je vois pour la première fois un ours traversant la route. Je suis surpris, tout comme lui qui, apeuré, prend la fuite aussitôt. Pas le temps de prendre nounours dans mes bras pour le rassurer !

Dessin accompagnant l'article, paru dans "Cyclotourisme" de juin 1986

EN ROUTE POUR L'ALASKA

Au-delà du Yellowhead Pass, on qiutte les Rocheuses, et l'on aborde une région de collines, de forêts plus basses qu'auparavant et parfois de petits lacs, ceci jusqu'à Dawson Creek. Cela fait penser un peu à la Finlande. Dawson Creek, Mile 0 de la Route de l'Alaska, 2500 km. Jeudi 30 mai, 11h50, c'est parti ! Mon vélo est bien chargé : craignant, un peu à tort, d'être à court, j'ai fait d'amples provisions, et la nourriture déborde de partout ! En fait, certaines sections de l'Alaska Hy ex-Alcan n'ont plus rien à voir aujourd'hui avec la piste boueuse construite à la hâte par l'armée américaine durant la secone guerre mondiale, alors que le Japon commençait précisément à envahir l'Alaska. Evitant à la fois les Rocheuses à l'ouest et les plates vallées des Prairies à l'est pour l'essentiel de son tracé, la route, désormais presque intégralement goudronnée, traverse une série de collines. Ici, point de village, mais à intervalles réguliers de petits campements comprenant station-service, café, motel et éventuellement restaurant, épicerie.

Peu avant Fort Nelson, au moment de camper, j'apprends qu'un homme vient de se faire tuer par un ours. Diable ! En fait, ce genre d'accident est plutôt rare, et survient souvent à la suite d'imprudences ou de malveillances. L'ours est dangereux car imprévisible, mais il n'est pas tueur d'homme par nature. Entre Fort Nelson et Watson Lake, on traverse de nouveau les Rocheuses, épine dorsale de l'Amérique du Nord. Décor de montagne assez impressionnant à cette latitude, autour de Summit Lake et de Muncho Lake. La végétation, plus rare, ne fait pas toujours la loi. Ambiance minérale donc, et je suis un peu moins entouré par les moustiques qui sévissent depuis Fort Nelson ! Muncho Lake est un magnifique lac de montagne aux rives quasi-désertes. Quel contraste avec nos lacs subalpins (Come, Annecy, Saint Wolfgang, Thoune...) où les maisons s'agglutinent !

Et voici Watson Lake, point d'entrée du Yukon, territoire situé au nord-ouest du Canada (à ne pas confondre avec les Territoires du Nord-Ouest, situés en fait au nord !), et gouverné directement depuis Ottawa. La route de l'Alaska continue sur Whitehorse, la capitale du Yukon, mais je choisis un autre itinéraire pour gagner l'Alaska : via Dawson City, par le Campbell Hy et le Klondyke Hy. La Route Campbell, nommée ainsi en l'honneur d'un des premiers pionniers trappeurs de la région, est en fait une route de terre de 600 km, traversant une zone de forêts et de montagnes (surprenant, non ?) peu densément peuplée. Il faut dire que le Yukon, presque aussi vaste que la France, n'abrite que...40 000 personnes, dont un grand nombre d'Indiens.

Pour la deuxième fois, on me demande si j'ai une arme pour me défendre des animaux ! Guère rassurant tout cela, mais je crois que la psychose, ça existe partout ; en France, c'est l'autodéfense, ici ce sont les ours...Je ne m'attarde cependant pas dans le secteur, surtout que la pluie est revenue, après le soleil ardent de ces derniers jours. Rencontre (de loin) avec des ours, dans un paysage rappelant le Finnmark, d'autant plus que les nuages bas masquent les montagnes. C'est d'ailleurs la région où je croiserai le plus d'ours, plus encore qu'en Alaska. La piste est normalement de bonne qualité, mais ces pluies transforment certains passages en affreux bourbiers. J'ai heureusement droit à toute la sympathie des occupants des rares véhicules (leur nombre journalier tient sur les doigts des deux mains) qui se sont risqués comme moi sur cette piste. Certains m'offrent le thé à bord de leur spacieux motor home, d'autres un jus de fruits le long de cette piste. C'est en tout ca à cahque fois l'occasion de faire une halte et de papoter...tout en tenant ma moyenne de 155 km par jour !

Sur le Campbell Hy, seulement deux villages, et à l'écart de la route : Ross River et Faro. Le premier, village indien, est devenu le camp de base pour les prospecteurs des sociétés minières.  Le second est une création de toutes pièces pour les besoins des mines de cuivre. J'ai dû me rendre à Faro pour faire des provisions à la veille d'un week end : cette agglomératoin a compté 2000 âmes, il doit en rester moins du quart aujourd'hui, en majorité Indiens. A cause des cours mondiaux du cuivre, l'activité de la mine s'est ralentie, et en arrivant en ce lieu un samedi après-midi, j'ai la pénible sensation d'être dans...une future ville-fantôme.

A Carmacks, je débouche sur le Klondike Hy, qui a son origine à Skagway sur le Pacifique. C'est, avec l'impétueux fleuve Yukon, la grand voie d'accès à Dawson City. A la fin du siècle dernier (turn of the century), George Carmarks découvrait dans un affluent du Klondyke un fabuleux filon (bonanza), donnant lieu à la dernière grande Ruée vers l'Or. Sous un ciel changeant, j'arrive à Dawson City. A franchement parler, il ne reste plus grand chose de cette ville qui compta jusqu'à 30 000 habitants. Mais Parks Canada a restauré avec une certaine réussite l'ancien centre ville. On peut ainsi goûter de nos jours un peu de l'ambiance qui devait régner il y a de cela un siècle dans "la plus grande ville à l'ouest de Winnipeg", une ville connaissant les toutes dernières nouveautés (électricité ou bien mode de Paris !). J'y ai même rencontré un de ces derniers chercheurs d'or croyant toujours à leur mirage. Je ne saurais que trop recommander l'ascension, certes un peu rude, au "Dôme de Minuit", d'où l'on jouie d'un magnifique panorama : on peut notamment voir l'entrée du Bonanza Creek, et s'imaginer le lieu, un siècle en arrière.

ALASKA, ME VOILA

Pour gagner l'Alaska depuis Dawson, une seule solution : le Top of the World Highway, Route du Toît du Monde ! Titre un peu prétentieux pour une piste courant de crête en crête à une altitude oscillant tout au plus entre 800 et 1200 m, mais il est vrai que la vue est magnifique tout du long, notamment sur les Monts Ogilvie, vers le nord, et  dans cette ambiance d'une météo vite changeante. Et c'est enfin l'Alaska ! Il est temps, après neuf jours sur les pistes, dont les deux derniers particulièrement durs car accidentés. Je suis crevé ! En prime, il pleut froid et dru, et j'ai levent de face. Pour la première et seule fois, je vais "décrocher", et ralentir sérieusement ma cadence. Heureusement, la route de Tetlin Junction à Fairbanks, qui n'et autre que l'Alcan (l'Alaska Hy), est plate. Les sommets fortement enneigés de la longue chaîne de l'Alaska, visibles entre les nuages, sont bien à une cinquantaine de km de distance, mais ils semblent si proches...

La forme et le beau temps reviennent alors que j'atteins Fairbanks, ville aussi inintéressante que les villes canadiennes vues jusqu'ici : trop neuf, pas de vrai centre, la sensation de traverser une succession de garages, de motels et de supermarchés. Dans cette ville, siège d'une importante garnison militaire, allez retrouver l'ambiance d'une ruée vers l'or - celle de l'Alaska, qui a précédé celle du Klondyke. Vite, dirigeons-nous sur Anchorage. Evidemment, le vent a changé, venant plein sud...Arrivée à l'entrée du Denali Park, réputé pour sommet de l'Amérique du Nord (Mount Mc Kinley, 6194 m), et surtout pour sa faune. Sur la piste de parc, je n'en verrai guère, moins que sur les pistes du Yukon ou de l'Alaska. Car la circulation est restreinte, mais il y a des bus, gratuits, parfois toutes les demi-heures. Les animaux sont pas fous, ils connaissent trop bien l'humain...Par contre, j'ai la chance d'avoir un temps magnifique, et le parcours au pied de l'Alaska Range couronné par le fantastique Mt Mc Kinley dansant au-dessus du paysage est de toute beauté ! Vaut le détour.

J'ai bien l'esprit retors, un peu comme tous les cyclos : au lieu de gagner directement Anchorage par une route facile, je décide de m'y rendre via la montagne, par la piste du Denali "Highway". Parcours magnifique, surtout autour du col de Mc Claren. Ici, 1250 m, c'est haut ! Et puis, au moins, on en voit, de la faune...Autre site formidable : le Glenn Hy, entre Glennallen et Palmer / Anchorage ; on peut y admirer trois glaciers en route. 

Je vais atteindre Anchorage sous une pluie battante. Ça tombe bien, si j'ose dire, car la ville ne présente guère d'intérêt à mes yeux. Mais comment diable une ville de 200 000 habitants a-t-elle pu se développer à partir d'un chantier de chemin de fer, à une telle latitude (qui n'est jamais que celle d'Oslo) ? Pour la suite de ma visite de l'Alaska, je vais avoir droit à un temps idéal, frisant la canicule ; et c'est heureux, car les merveilles ne manquent pas : la Presqu'île du Kenai, au caractère norvégien, le ferry entre Seward et Valdez qui fait découvrir le Cloumbia Glacier, les pieds dans le Pacifique, enfin Valdez, la "Petite Suisse" au fond d'un splendide fjord très poissonneux, et en contrebas du Thompson Pass et de ses glaciers. Vaut le voyage. 

CHATEAUROUX, 8000 KM

Voilà. Il ne me reste plus qu'à revenir lentement sur Vancouver, toujours avec une démarche de crabe, un crochet par ci, un détour par là. Et pour commencer, après avoir retrouvé le Yukon par l'Alcan, je flâne un peu autour du Kluane Lake, au pied du Parc National du même nom. La fantastique barrière est cependant la plupart du temps masquée par les Monts Kluane, dénudés. Après quelques rencontres en Alaska, je commence à voir des cyclistes en plus grand nombre : deux Québecquois d'abord, puis deux filles de l'Arizona, celles-ci entamant un grand tour  du monde. 

Petit crochet par Haines et Skagway, petites villes alaskanes sur le Pacifique, accessibles en traversant la Chaîne Côtière, et entre elles uniquement par un ferry. Accès difficiles par des pistes de montagne, mais sites de toute beauté, et deux petits centres agréables où l'on se replonge dans le passé, principalement à Skagway :eh oui, l'or, encore et toujours ! C'est ici et dans les environs que les futures gold seekers allaient affronter mille difficultés pour se rendre sur leur terre promise, le Klondyke. Retour sur l'Alaska Hy à Whitehorse, qui avec ses 15/20 000 habitants rassemble près de la moitié de la population du vaste Yukon. Cette ville commandait l'accès, par voie navigable ou par piste, à Dawson. Au-delà, jsuqu'à Watson Lake, la route de l'Alaska a été grossièrement goudronnée, et le tracé guère rectifié. Je vais donc avoir droit à une série de up and downs, montagnes russes avec pafois de fortes déclivités. 

Le mauvais temps s'abat sur moi, et pour corser le tout, la route libre craque de manière de plus en plus inquiétante. A part cela, tout va très bien Madame la Marquise. Peu avant Watson Lake, je ne prends même pas la peine d'aller vérifier si mon panneau a bien tenu. Cette localité est en effet réputée pour sa collection de pancartes, depuis qu'un soldat Américain a eu l'idée saugrenue d'y indiquer la distance de son village. "Châteauroux, 8000 km" constituera donc le 4001° panneau indicateur de cet endroit, pancarte bricolée à partir d'une planche de bois, et apposée lors du voyage aller. 

Mais dans l'immédiat, je vais au plus court, espérant que le vélo tienne le coup, et je m'engage directement sur la Route Cassiar. Celle-ci, longeant la Chaîne Côtière, mène à la Vallée de la Skeena, entre Prince George et Prince Rupert (une noble région, vous en conviendrez). C'est l'autre route du nord, mais elle demeure peu empruntée, et peu peuplée. La roue libre devra tenir 1000 km de mieux, jusqu'à Terrace, seule ville avant longtemps. Parcours peu aisé : d'abord contre le vent, violent, avec la fatigue accumulée depuis l'Alaska, augmentée des récents up and downs ; puis dans la boue de la piste, enfin dans l'intense poussière soulevée par les camions transportant d'imposantes grumes de bois. Mais toujours le spectacle de ces montagnes, grandioses ; et puis des discussions avec les Indiens, et de fréquentes rencontres avec des cyclos se rendant vers le nord. 

C'est cependant avec soulagement que je retrouve le goudron, peu avant Stewart. Celle ville occupe un site charmant au bord d'un long fjord du Pacifique, et se targue l'ête le port le plus septentrional de la côte ouest du Canada, ce qui doit bien faire rigoler Anchorage. Je ne suis pas non plus fâché d'atteindre la Vallée de la Skeena : je vaus pouvoir me procurer une roue libre neuve, et cesser de me contenter des 3 ou 4 mêmes développements extrêmes.  Par contre, c'en est un peu fini des conversatoins avec les gens au bord de la route, de ce sentiment d'aventure (certes modeste). C'est maintenant d'une randonnée "classique" qu'il s'agit. Je pousse jusqu'à Kitimat, puis Prince Rupert, le grand port du nord-ouest canadien, l'accès sud à la "Queue de Casserole" (Panhandle) de l'Alaska- la région de Juneau, qu'aucune route ne dessert.

Ensuite, je m'en retourne vers l'intérieur, droit sur Prince George, avec l'aide d'un fort vent. Le paysage s'adoucit progressivement, les montagnes laissent place aux collines et aux lacs, parfois grands, avec une forêt omniprésente. Ultime rencontre avec un ours, croisant juste devant moi la route à un rare moment où aucun véhicule ne passe, sur cet axe circulant. Depuis quelques jours, les nuits redeviennent noires. Ça fait drôle, quand on n'est plus habitué ! Et je me fais surprendre plus d'une fois par la nuit au moment de planter ma tente. Après Prince George, j'oblique plein sud, en suivant plus ou moins le cours du Haut Fraser. 20 km avant Williams Lake, l'axe de la roue arrière casse, me contraignant à faire piteusement du stop dans une longue descente pour atteindre la ville. 

Le plus évident, cet incident technique une fois réglé, serait de continuer à suivre le Fraser jusqu'à Vancouver. Allons, allons, trop direct ! A Clinton, je m'engage à travers montagnes vers Lillooet et Whistler, petites routes tranquilles (j'en avais perdu l'habitude, depuis la Vallée de la Skeena), mais aussi rudes pistes de montagne au parcours souvent impressionnant. L'occasion d'une dernière "aventure" avant d'atteindre la région densément peuplée de Vancouver. Dernière traversée d'un massif (Parc Provincial de Garibaldi) entre Pemberton et Squamish, pius on longe le magnifique Howe Sound (baie). Pour les deux jours qui me restent, je vais visiter Vancouver et les environs, montagneux comme il se doit, et même me faire un rapide extra en me rendant à Victoria, sur l'île de Vancouver, capitale de la Colombie Britannique. Visite faite un peu à marche forcée, car je n'ai plus guère de temps. Victoria, une ville qui a gardé son charme anglais de la belle époque (bus à impériale, réverbères stylés, "vieilles" bâtisses monumentales...), une agréable ville-parc sur l'océan, face aux sommets étincelants de blancheur dans l'Etat US de Washington. On y respire l'opulence.

J'ai vécu 87 jours de randonnée, parcouru 13 800 km dont 2 600 km de piste. Ce kilométrage s'explique notamment par les grandes distances à parcourir entre les localités (ici, 500 km, ce n'est rien). Des paysages plus variés que je ne m'étais imaginé, des contacts généralement brefs mais toujours sympathiques, cette fierté qu'ont les gens d'ici qu'o vienne visiter leur pays, surtout en Alaska (et en plus, un petit Frenchy, waououou !). Ce plongeon dans un monde tout neuf en train de se bâtir, et qui se construit déjà un passé, une façon de vivre dictée souvent par les distances, l'isolement, presuqe toujours par des conditions climatiques rude. C'est cela, le nord canadien et l'Alaska, qui peuvent se découvrir même à vélo. 

Frédérick FERCHAUX, printemps 1985

QUELQUES INFOS PRATIQUES (datent de 1985...)

   ALIMENTATION-LOGEMENT

Dans toutes les villes, profusion de supermarchés. S'habituer aux céréales pour le matin, et à leur pain à sandwich sous cellophane. Ravitaillement moins évident pour le Nord (à partir de la route de l'Alaska, après Dawson Creek, et de la route Cassiar), mais toujours possible pour le courant. Plus cher, évidemment.

Hôtels très chers (bien compter au moins 400 FF). Motels fréquents le long de toutes les routes, mais chers quand même ("aisément" 200 FF). Campings gouvernementaux, payants au Canada (35 à 50 FF), avec un confort réduit (tables, de quoi allumer un feu, toilettes sèches, parfois de l'eau à la pompe), gratuits en Alaska. Campings privés : disposent du confort de nos bons vieux campings, mais il faut compter au moins 70 FF ! Le mieux reste le camping sauvage, théoriquement interdit dans tous les parcs nationaux.

    ROUTES

Excellentes dans le sud, trop même (routes bien droites, même en montagne, et "bien dégagées sur les côtés" !). Dans le nord, le goudron peut être moins bon. Dans le Yukon, seule l'Alaska Hy est goudronnée, mais les routes de terre sont souvent excellentes (sauf juste après la pluie). En Alaska, on roule sur du miroir, mais chaque été, de longues sections sont en construction. Le long de la route, toute la vie se concentre dans les gas stations, où l'on pourra aussi se ravitailler en eau.

Pour celui qui voudrait, au départ de Vancouver, s'affranchir des montagnes (ce qui serait bien dommage), il lui suffit de remonter le Fraser jusqu'à Kamloops (quelques rudes passages quand même), puis la North Thompson jusqu'à Tête Jaune Cache, où l'on rattrape la route Tête Jaune pour Prince George. Un seul petit col (Valemount, 800 m) en près de mille kilomètres...Au-delà, la route est bientôt finie d'être goudronnée jusqu'en Alaska (Fairbanks, environ 3000 km de mieux).

En gagnant Prince Rupert, on peut prendre le ferry du Passage Intérieur qui, en un jour et deux nuits, et en desservant les villes alaskanes de la "Queue de Casserole" (Juneau la capitale, Ketchikan...) amène à Haines ou Skagway, à 500 km de l'Alaska "continental". Il paraît que c'est fantastique (environ 1000 FF).

    ANIMAUX

A moins de fermer les yeux en roulant, on en verra, de la wildlife (interdit de nourrir). Caribous, rennes, élans, Dall Sheep, mountain goats (mais alors prévoir les jumelles), et les fameux ours. Pas de panique, ils tuent moins de gens que l'alcool, le cancer ou la route ! Les accidents restent rares, et il suffit de rester prudent. Quand on campe, il faut manger et cuisiner à l'extérieur. Il faut accrocher la nourriture, placée dans un sac hermétique, dans les arbres. Moins évident à faire qu'à dire...Dans la forêt, si l'on va faire un tour hors de la piste, signaler bruyamment sa présence. De façon générale, tout faire pour ne pas les surprendre, les brusquer ou les provoquer, surtout dans le cas des oursons et de leur mère.

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