O MANES, O CHAUFFARDS ENNEMIS !!

 

Balancer des pains pour sauver le sien

 

J’ai été l’objet d’une odieuse agression. Qui plus est par une meute agressive, prête à tout pour parvenir à ses fins. Cela s’est déroulé dans le désert omanais baignant la Mer d’Oman (et non pas la Mer Doku, contrairement à ce que pensent certains). Les coupables ? De répréhensibles biquettes. L’objet de leur convoitise ? Mon abondante nourriture, au premier chef de laquelle un délicieux pain moisi que je traînais depuis trop longtemps dans mes sacoches.

 

Au commencement fut une pause-repas bien méritée, le long de cette route en construction entre Muscat et Sur. Alors que la soupe de nouille attendait sagement d’être à la bonne température pour être gloutonnée voracement, j’en profitais pour consulter ma carte routière, décidément bien optimiste en m’indiquant la totalité de cet axe comme fraîchement revêtue (travaux en cours).

 

Sur ces entrefaites, quelques biquettes approchent, tout d’abord timidement, puis s'enhardissent à venir renifler ma carte. Eh la, d'ici qu elles me mâchent cette précieuse documentation, la prenant pour un mille-feuilles ! Je commence à vouloir replier ma carte, que je n’étais plus seul à dévorer des yeux, et m’avise prestement que ma soupe de nouilles est aussi là, à portée des crocs redoutables de ces dangereuses créatures. Je n’avais pas pris attention au mouvement tournant du groupe, qui avait tôt fait de remarquer mes tranches de pain, mises à sécher en espérant ralentir la moisissure !

 

Et pour retirer une biquette de sa pitance, c’est comme faire avancer un âne. Du coup, j’éclabousse ma carte d’une bonne rasade de ma soupe, tandis que le troupeau se dispute mon pain. J’arrive toutefois à en sauver l’essentiel, non sans mal. Et comprends la leçon, pour la suite du troupeau, qui arrive par lambeaux. Cette fois, malgré mon pacifisme (bêlant) de nature, elles se font accueillir à volée de cailloux ! J’avoue même y avoir pris un certain plaisir, et je comprends désormais mieux la joie des petits Marocains (entre autres...) à balancer des cailloux sur les cyclistes !

 

Détail : le pain sauvé le sera pour rien : l’opération séchage arrivait trop tard, il continuera tout de même à moisir, à en devenir inconsommable. Finalement, j’aurais aussi bien fait de le laisser aux biquettes !

 

Ouh fais-moi peur

 

Mais le principal problème du cycliste en Oman ne sont pas les biquettes, et bien plutôt ces animaux à quatre roues que sont les conducteurs. Un aperçu peu après la frontière d’avec les Emirats, où un vent violent de face durant deux jours me contraint à faire du stop : un type m’embarque, qui me fera dresser quelques fois les cheveux sur la tête, à s’amuser à dépasser ses amis dans des conditions rocambolesques, pour de rire, ou bien à composer compulsivement et successivement tous les numéros sur son portable, me rappelant ce chauffeur de bus iranien en train de compter la recette tout en conduisant, et d’engu… les chauffeurs d’en face qui n’anticipaient pas ses dépassements aventureux à une main.

 

Une fois changé de camp après la mi-temps, je comprendrai peu à peu ma douleur. L’Omani, un peu puéril, aime à impressionner l’Occidental, et aime bien à jouer à lui faire peur pour de rire. Cris violents poussés sur mon passage, dépassements serrés, même quand ce n’est pas utile, croisements où l’on ne se rabat pas rapidement, histoire de bien rigoler à voir la mine du cycliste en face (en espérant que, de trouille, il aille dans le fossé)… Bon, ce n’est arrivé qu’entre une dizaine et une vingtaine de fois (car, dans le lot, il y avait aussi des dépassements sans recherche de plaisanter, sinon une certaine insouciance, voire une certaine inconscience).

 

On dit les Emiratis conducteurs dangereux et gens arrogants, mais finalement, je les ai toujours trouvés prudents avec moi, et les préfère à ces Omanis « nature », c’est-à-dire limite frustres et cons. Peu m’importe qu’ils soient plus chaleureux, accueillants, etc. le bla-bla habituel des magazines de voyage à pages glacées. Des gens chaleureux, accueillants, il y en a dans tous les pays (peut-être même dans l’armée d’invasion US un peu partout dans le monde), et des imbéciles idem.

 

 

VELO DANS LES EMIRATS ARABES

 

Les Emirats (Arabes Unis), le Sultanat (d’Oman)...autant de noms qui fleurent bon l’Arabie, rendue heureuse par la magie de l’Or Noir,,, aussi bien de l’or tout court du reste, surtout dans le cas de Dubaï. Autant dire que nous nous mélangeons un peu entre ces émirs, ces sultans, ces califes et autres cheikhs, qui ne sont pas sans nous rappeler les principautés bien de chez nous. A première vue, tout ça se ressemble : du désert gorgé de pétrole malodorant, Du reste, est-ce pour cela qu ils se parfument tant, une mention particulière pour les Omanis, dont les effluves embaument l’atmosphère jusque sur le passage d une voiture (à moins de 120 km/h, si si, ça existe), ou tout simplement la main du cycliste pour la journée après un vigoureux shake hand ?

 

En fait, on trouve rapidement des différences entre ces deux voisins, tellement imbriqués géographiquement qu ils ont failli un temps ne faire qu’un. Il est clair que les Emirats (Dubaï, Abu Dhabi, Sharjah pour ne citer que les plus importants) sont nettement plus riches que Oman, qui fait figure de nouvel arrivé, pour ne pas dire de dernier parvenu, dans le club des producteurs de pétrole - et selon des quantités somme toute modestes, comparé aux poids lourds environnants. Il en résulte un esprit considéré comme arrogant de la part des Emiratis, mais plus blasé par la présence d’un Occidental, même a vélo, contrairement à leurs voisins.

 

Du reste; dans les Emirats (enfin, Abu Dhabi et Dubaï surtout), on croise parfois, en dehors des habituels cyclistes Indiens, quelques cyclistes de loisir, et pas nécessairement des expatriés occidentaux, mais aussi des locaux. Le plus fort fut sur l'autoroute Dubai-Hatta, où ils occupaient sans complexe la quasi-totalité d'une des deux voies, alors que je me recroquevillais comme d'habitude sur la bande d'arrêt d'urgence, étant donné la réputation peu flatteuse de chauffards Emiratis. En fait, au vu de mon expérience totalisant 6 semaines sur deux années, cette réputation s'appliquerait plus justement aux Omanis, dont plus d'un roule comme des fous, et pas seulement sur les autoroutes à 3 ou 4 voies des centres urbains, mais même sur les étroites routes dans le désert, se souciant assez peu de la présence d'un cyclo - sans doute un vulgaire Sri-Lankais ou un Philippin, de peu de valeur marchande - combien, le dixième de la valeur d'un chameau ? Le centième ? Voire moins qu’une femelle humaine ?

 

Il est vrai qu'avec des salaires ne dépassant pas les 100 euros pas mois dans des pays où le coût de la vie, hors le plat de riz, rejoint souvent celui de l'opulent Occident, il n'y a pas de quoi pavoiser, et l'on comprend mieux le recours abondant à cette immigration à coût quasi-nul, aisément remplaçable. Le Pen ne ferait pas recette, chez les Arabes du Golfe - déjà qu'il a un peu de mal avec les autres, même non Arabes, mais c'est qu'il doit mal faire passer quelques "détails" de ses discours.

 

Oui donc les Emirtatis, arrogants et froids, les Omanis chaleureux, hospitaliers et j'en passe. Comme toujours, les réputations sont ce qu'on veut bien en faire, et les exceptions finissent, à force, par ne même plus forcément confirmer la règle. Finalement, en tant qu'irréductible Occidental gaulois, je préfère à tout prendre la quasi-relative indifférence émirati, non empreinte parfois d'un discret sourire, d'un léger coup de klaxon, et surtout, dès que possible, d'un large débord pour doubler le cycliste (et rarement à vive allure), à une certaine exubérance omani, qui n'est pas parfois sans rappeler celle qu'on trouve dans certains autres pays arabes.

 

Car au-delà, au début, d'un certain nombre de coups de klaxons admiratifs, il m'est vite apparu que je ne passais pas assez incognito à mon goût, surtout dans la Batinah, cette longue plaine côtière absolument pas désertique. Hurlements violents poussés dans le but de me faire peur, et jusqu'à des manoeuvres de croisement ou dépassements volontairement très risqués sans raison aucune, avec au besoin un brutal coup de klaxon, ah qu'est-ce qu'on rigole avec l'Occidental ! Comme ces faits se sont produits au moins une dizaine de fois en trois semaines, sans compter les fois où j'ai mis des dépassements risqués sur le compte de leur manque d'habitude de la présence de cyclos dans le désert quand, parfois, il y avait peut-être le même comportement irrespectueux, irresponsables, je ne peux croire à une pure coïncidence, un total manque de chance.

 

Le Lonely Planet, bible du budgeto-voyageur, nous apprend qu'Oman, en 1970, entre autres retards, ne comportait qu'une dizaine de km de routes goudronnées, sur une surface grande comme l'Italie ! On mesure, là comme dans d'autres secteurs (l'éducation, la santé) les progrès énormes en l'espace de moins de deux générations. Il est même surprenant qu'ils s'y retrouvent, entre l'ancien, les traditions persistantes (dont la tenue vestimentaire) et le nouveau. J'essaie de m'imaginer, ayant grandi sous Louis XVI, et me retrouvant aujourd'hui dans la France contemporaine d'internet, du portable et de Jean Nohain (cherchez l'erreur). Le décalage est de cet ordre, sinon plus grand.

 

Pour autant, la tenue traditionnelle reste essentiellement de mise, même dans la capitale : blanc pour les hommes, noir pour les femmes. Au moins, on n'est pas comme en Iran, où les hommes sont généralement en tenue occidentale ou considérée comme telle (jean, chemise, polo), les femmes croulant sous les voiles noirs. On remarquera quand même que si tout le monde reste logé à la même enseigne, les hommes ont bien pris soin de se réserver la couleur blanche, qui reflète la chaleur; et convient donc mieux pour le climat local, surtout si l'on est dehors, tandis que les femmes sont fagotées dans du noir, bien connu au contraire pour capter la chaleur. Mais qu'irait faire une femme à l'extérieur, loin des fourneaux et des gosses du mari à torcher ?

 

Pour autant, à ce sujet, on constate des différences d'une région à l'autre, avec bien sûr la capitale souvent en pointe, mais pas seulement. Aussi bien vous trouvez des femmes "juste" couvertes de noir de la tête au pied, mais avec le visage bien visible, et conduisant une voiture (avec même le mari en passager !), et à l'opposé, le "sac de patates", comme autour de la traditionnelle Sur, voire parfois le "grillage" afghan. La palme de la surprise revenant aux bédouines, habillées de couleurs brillantes, avec le visage couvert, les yeux à peine visibles mais...interpellant sans complexe l'Etranger pour lui dire bonjour. On peut aussi se dire, après tout, que se couvrir le visage n'est pas nécessairement une mauvaise tactique, dans le désert de sable autour de Al Mintrib...

 

Allez, je vous fais le coup ? Oman, Perle de l’Arabie. Concurrent sérieux, en terme de tourisme, au Yémen, certainement plus typique, mais connaissant une volatilité politique récurrente. Le fort pouvoir financier des pays proches (Arabie Saoudite, Emirats, Qatar, Bahrein, Koweit) en fait la réserve naturelle, de par la présence d’une chaîne montagneuse culminant à 3000 m, et connaissant même exceptionnellement la neige, comme en janvier 2005. Le sud du pays (le Dhofar, autour de Salalah) connaît même un peu de mousson, et les Arabes, gavés de sable et de sec, se précipitent en plein été pour connaître les délices du brouillard et des routes détrempées !

 

Mais l’architecture urbaine n’est pas en reste, et notamment les nombreux forts, auprès desquels ceux des Emirats font un peu riquiqui. Une intelligente restauration, aidée par le faible coût de la main d’œuvre importée, de Maroc en l’espèce. On y retrouve les châteaux forts en carton-pâte de notre enfance, tout crénelés entre les tours à chaque angle, des passages secrets de partout, de véritables labyrinthes. Certains sont dans des sites superbes, pour ne rien gâcher (Nakhal, Rustaq, Bahla).

 

Les souqs sont également très vantés…mais quand on a vu ceux de Syrie ou du Caire, ils offrent quand même un attrait plus réduit. Quant aux marchés aux bestiaux, je veux bien qu’un chameau vaille son prix, mais les voir à l’arrière d’un 4x4 pick-up, presque le portable à l’oreille, fait perdre un peu de son charme à la scène.

 

Pour autant, l’argent qui semble couler à flot dans la région n’empêche pas certains hiatus. Lorsqu’on s’engage sur une de ces difficiles pistes en fond de wadi, on arrive progressivement à des hameaux pas bien riches, voire plutôt miséreux. On est alors très loin de la vie trépidante des grandes villes, de leurs palaces, de leurs constructions audacieuses.

 

En fait, Oman se démarque de ce côté des Emirats, et de leurs fastes et frasques des mille et une nuits parfois un peu trop clinquants. Même la capitale se veut plus discrète. C’est très notable au niveau des quartiers historiques de Mutrah et Muscate, où la population ordinaire ne semble pas avoir été chassée. Imaginez Saint Denis à côté de l’Elysée et de Matignon. On n’a pas détruit l’ancien pour reconstruire du trop neuf, on a rénové. Ruwi, typique du centre commercial d’une ville arabe, a également été préservée (on se croirait presque dans un quartier industrieux d’Amman, de Damas ou de Shiraz).

 

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