CAP SUR LE NORD
Cap Nord :
ces deux mots agissent comme un aimant sur de nombreux voyageurs. C’est vrai
qu’à vélo, on a une manie bien compréhensible, avoir un but à atteindre. Pour
ma part, j’ai tendance à préférer réaliser une boucle, me donnant ainsi
l’illusion de parcourir plus à fond une région, plutôt que de faire un raid
d’un point à un autre. En plus, j’aime le train : quoi de plus naturel pour
moi, alors que je dispose de 40 jours, que de faire une approche maximum par
voie ferrée, de prévoir le retour par une autre ligne nordique, et réserver
ainsi 36 jours à tournicoter dans le Nor Norge (Nord de la Norvège) ?
C’est dans
cette optique que je débarque à Narvik, accueilli par la pluie et un ciel noir
! Fort heureusement, ça va s’arranger les jours suivants, le temps pour moi
d’atteindre le Nordkapp. Je suis de plain-pied au nord du cercle polaire, au
pays du Soleil de Minuit. Donc, pas de nuit, et j’ai de la peine à me décider
à me coucher le soir ; heureusement qu’il y a la fatigue !
Le tracé
pour l’aller est tout fait : je n’ai qu’à parcourir la E 6, la route du nord.
Celle-ci évite d’abord la côte, traversant quelques chaînons montagneux. Le
minéral et la neige sont vite atteints, et les premiers cols, à 300-400 m me
donnent l’impression d’être en haute montagne.
L’E 6 longe
ensuite le magnifique Lyngenfjord, dominé par de ”hauts” sommets (1500-1800
m). De jolies maisons rouges, comme j’en verrai désormais souvent, piquètent
les rives verdoyantes du fjord. Par contre, immédiatement au-dessus, c’est le
domaine de la nature : forêt basse, torrents impétueux, cascades
impressionnantes. Pas de villages perchés comme dans les Alpes du Sud ! Plus
je monte vers le nord, et plus la nature semble, ne lésinons pas sur les mots,
indomptable.
Après Alta,
dernière ville importante, c’est le Finnmark : sa toundra, ses
marécages, ses lacs, ses moustiques...Dès que j’ai choisi un lieu pour camper,
je me jette sous la tente, tellement il y en a ! Maintenant, c’est même en
dessous des 200 m qu’on se croirait à plus de 2000 m...Ambiance assez
sinistre, surtout avec cette météo capricieuse.
Le Cap Nord
se situe sur une île, qu’on atteint par un ferry. Vive le vélo : à
l’embarcadère, je double des files de voitures. Et me voici parti pour 32 km
rudes, sans cesse en fortes pentes, et dans le minéral dès que la route
s’élève. Une beauté dramatique, ainsi que se plaisent à le dire les
Norvégiens. Je comprends mieux l’expression, en admirant le paysage désertique
qui se déroule sous mes yeux.
Au Nordkapp,
forte affluence touristique. Toutes les nations ouest-européennes s’y
retrouvent, achetant des souvenirs, des certificats...Ce certificat comme quoi
j’ai atteint le Cap Nord, je suis assez grand pour me le décerner tout seul !
Il fait très beau mais, par la faute d’un trait de nuage à l’horizon, nous ne
verrons que le reflet du soleil dans la mer. Spectacle superbe en soi, au
demeurant. Mais ce que j’ai le plus apprécié, c’est, alors que tout le monde
était parti se coucher, mon lent retour sur Hønningsvåg, entre 2 et 5 h du
matin. Dès 3 h, le soleil déjà très haut dans le ciel, les environs déserts et
tranquilles, comme si le temps avait suspendu son vol...
Pour mon
retour sur le continent, j’emprunte le Hurtigrute, l’express côtier ;
un bateau qui, toute l’année, part de Bergen et dessert tous les ports de la
côte norvégienne, jusqu’à Kirkenes. C’est, l’hiver, parfois le seul mode de
déplacement “terrestre”, et en été, un beau sujet de croisière. Je me
contenterai, pour cette fois, de rallier Hammerfest, un très joli port de
pêche, sur une île comme il se doit. La pluie est revenue, ce qui semble mieux
correspondre à l’ambiance habituelle de ce port, aux couleurs vives, dominées
par de sombres sommets déchiquetés et rocailleux.
Un fjord du sud-ouest, lors d'un voyage suivant
Désormais,
je vais subir le mauvais temps pour un sacré bout de... temps. Sur 36 jours,
je n’ai recensé que 10 journées de beau fixe ! Finis temporairement les fjords
et la montagne, place aux plateaux déserts, à la toundra, aux
moustiques. La route n’est pas toujours goudronnée, et sous la pluie... A Tana
Bru, je me dirige sur Berlevåg. La pluie glacée me fouette le visage. C’est à
ce moment que j’essaie d’imaginer la vie de ces petits ports de pêche du grand
Nord, isolés les uns des autres, dans la nuit permanente l’hiver, face à la
Mer de Barents en furie...
Cette furie
ballote l’express côtier comme une coquille de noix, toute la nuit que je me
rends de Berlevåg à Kirkenes, avec même de la vaisselle cassée. Kirkenes, port
minier étonnant à cette latitude, à 25 km de la Russie, avec son panneau des
distances pour unique curiosité : Oslo 2500 km, Rome 5200. Je vais de là me
rendre dans l’intérieur des terres, débordant de lacs et d’un sol spongieux :
Karasjøk, Kautokeino, en plein pays lapon. Ceux-ci n’habitent pas le long de
la route, où seuls sont disposés l’école et les commerces, pour tout village.
On peut les trouver le long de la E 6, vendant des souvenirs sous leurs
campements de fortune... la Dodge ou la Ford non loin.
Ce mauvais
temps, des jours durant subi dans le triangle des Lapons entre Norvège,
Finlande et Suède me porte sur le système. Aussi, je ne suis pas fâché de
retrouver une courte éclipse, en regagnant le pays des fjords, ces “lacs
salés”. Le long de cette côte norvégienne, parmi les plus découpées du monde,
j’atteins Tromsø, une ville de 80 000 habitants qui connait trois mois de nuit
intégrale...
La descente
vers le sud se précise, avec de petits ports sympathiques s’échelonnant le
long de ma route, souvent de la bonne piste du reste. Je me rends aux îles des
Lofoten par un itinéraire peu emprunté, pour débarquer à Harstad. Dans ces
îles, taillées à la serpe, je ne suis encore une fois pas gâté par le temps,
et il me faudra attendre deux jours pour admirer ce que me cachaient ces
nuages très bas : ces pics élancés vers le ciel. Mais les ports, bâtis à même
sur les rochers, où virevoltent des milliers d’oiseaux nordiques, sont
fascinants : un autre monde, vraiment.
Et allez,
encore un coup d’Hurtigrute, on ne s’en lasse pas ! Pour me rendre à
Bodø. De là, ma route est en pointillés : c’est la “route côtière”, qui passe
autant de temps en ferry que sur la terre ferme. On saute ainsi de bras de
fjord en île, il faudra que je songe à adapter des flotteurs ! Le temps
s’améliore, mais reste imprévisible d’heure en heure. Approchant de Trondheim,
je décide de reprendre vers le nord, en suivant la E 6, épine dorsale de ce
Nor-Norge que je n’aurai pas quitté durant ces 5 semaines de “vélo-pédalo”.
Route de
montagne, même si le plus haut col n’est qu’à 707 m, alors que je refranchis
le cercle polaire. Peu d’agglomérations, contrairement à la côte, sauf en
approchant des fjords, jamais bien loin. Le Svartisen, à 1600 m, est le 2ème
glacier de Norvège, la vallée du Lonsdal à 700 est un désert minéral âpre,
inhabitable, même l’été.
Au nord de
Fauske, je reprends la route côtière, passant de bouts de terre en bouts de
mer, pour a...tterrir à Lødingen, petit port au sud des îles Vesterålen,
copines des Lofoten. De là, une bonne route ramène la brebis égarée que je
suis à Narvik, en longeant le superbe Ofotfjord : panorama sur les hauts
sommets de la frontière suédo-norvégienne...quand les nuages, toujours
nombreux, le permettent !
Dernier
tronçon du labyrinthe dans lequel je vous ai entraîné, la E 6 entre Narvik et
Fauske ; un parcours remarquable : on longe d’abord l’Ofotfjord, puis on
aborde une zone de montagne avec de nombreux cols. Ceux-ci sont peu élevés,
mais à cette latitude, avec le mauvais temps une fois de plus (!) revenu,
c’est en fait de la haute montagne, avec sa faible végétation et ses plaques
de neige.
Trempé et
transi de froid, je décide de laisser le camping sauvage pour l’AJ de Fauske,
histoire de me réchauffer et de sécher un peu mon matériel. Une dernière virée
en montagne, vers Sulitjelma, belle vallée entre deux parois rocheuses, et
puis direction Bodø. Depuis ce port, le train m’attend pour m’en retourner à
Paris, via Oslo. Et je dois avouer que le parcours ferroviaire vaut la peine :
une autre vision, tranquille et confortable, des paysages vus ces derniers
jours à vélo.