L’ATLAS: C’EST GEANT !
SALAM ALEKOUM
Ça sonne sucré à l’oreille
comme un loukoum. Vous l’entendez cent fois par jour si ce n’est plus, dans les
montagnes de l’Atlas, prononcé par ces Berbères qui ont gardé maintes de leurs
traditions séculaires. Les gosses, eux, c’est plutôt “donne-moi un
stylo”...également cent fois par jour !
C’est ce mélange détonnant d’une hospitalité légendaire et des effets d’un tourisme de masse, qui font du Maroc, et en particulier des montagnes, un pays à la fois attachant et irritant. Le voyageur robuste de caractère sait en composer, en tirer le meilleur, sans se laisser démonter par le moins bon - facile à dire...
Quatre semaines de “repos”
passées sur les pistes de l’Atlas : je m’y suis mitonné, pour cet automne 1993,
un parcours aux petits oignons, avec 1100 km de terre pour autant de route. Rien
que du grimpant, rien que du caillou et du gravier, un zeste de sable pour
parfaire le tout. Du trépidant sur mesure.
LA MECQUE DU TOURISME
A peine débarqué à Marrakech,
je suis invité par Hassane, prélude à d’autres accueils désintéressés -mais
c’est loin d’être toujours le cas, je m’empresse d’ajouter (1). L’appel de la
montagne est toutefois trop fort pour que je m’attarde plus que de raison dans
cette Mecque du tourisme.
Cap vers l’est, pour une
incertaine piste traversant l’Atlas de Demnate à Ouarzazate. Pari gagné : ça
passe à vélo, et dans d’inoubliables paysages de haute montagne méditerranéenne.
L’autre versant, ce sont les marches du Sahara, avec déjà son aridité, ses
grands espaces...
Les Marocains sont nombreux à
parler français. Mais les Berbères, dans les montagnes, c’est une autre paire de
manches. Et comme chaque région a son dialecte...Alors, à chaque fois que je
taille une bavette, j’accroche un ou deux mots sur mon carnet, afin de pouvoir
m’exprimer un peu en local : vad pour loin, tr’si pour mouton, nescafé pour café, et beuchkl’t pour vélo bien
entendu.
VELO BALAI
Sorti des grandes nationales,
les routes marocaines ne sont guère fréquentées. Les pistes, quant à elles,
c’est du 1 à 5 véhicules par jour! Il est vrai que nous sommes en octobre, et
qu’il n’y a plus guère de ces jeeps pour touristes qu’attendent les habitants
des montagnes. Ce passage saisonnier est devenu un appoint non négligeable
(quand ce n’est pas le seul...) pour ces paysans vivant dans la misère, qui me
demandent parfois “quand arrivent les voitures ?”. Hélas, en ce début de la
saison froide, je suis plus un vélo-balai qu’un oiseau de bon augure...
Et ça monte, ça
monte...Finalement, pas si mauvaises, ces pistes. Dans la montée du
Tizi-n-Ouirz, des petits bergers me demandent de l’eau: je leur tends ma gourde,
au goulot duquel ils osent à peine porter leurs lèvres. Il est vrai que, sorti
des oasis où la population se presse, dès les rares vallées quittées, il ne faut
plus guère compter sur l’élément liquide, sauf à connaître les sources planquées
dans les recoins de la montagne.
Arrivée au sommet du col à la
nuit: pas question de redescendre. Par chance, il y a un abri à moutons à
babord, transitoirement occupé par des ânes. Ce sera donc, à 2890 m, mon
auberge, avec dîner à la bougie tremblotante au vent en guise de chandelles. Je
vais d’ailleurs me faire une spécialité de dormir dans les abords de cols :
Tizi-n-Rhioul (2150 m), Tizi-n-Tagountsa (2275 m), Tizi-n-Tamghelt (2300 m au
relais télé), Col de Jaffar (2270 m), Tizi-n-Issi-n-Souk (2514 m)...
ETOILES EN GUISE DE TOILE
Ces nuits à la belle étoile,
quelle beauté: une voûte céleste pure, sur laquelle se détachent nettement des
myriades de luminescences, comme en relief, telle la Voie Lactée au grand
complet. Je suis parfois obligé de placer la bâche nylon par dessus mon vélo et
mon duvet, non pas pour me protéger d’une hypothétique pluie, mais afin de ne
pas être dérangé par la lune, resplendissante de luminosité.
A la recherche d’Aouchgal: un
ancien village berbère, taillé dans le roc, mais mal indiqué par le guide en ma
possession. Je me perds dans les pistes sillonnant la montagne ! Un jeune
Berbère, non seulement me remet dans le droit chemin, mais me guide trois heures
durant pour retrouver ce site introuvable, et m’invite de surcroît à passer la
nuit avec sa famille, à partager le tajine. L’hospitalité berbère, la
vraie.
Aouchgal, donc : taillé dans
la faille longitudinale d’une falaise surplombant en à-pic un canyon, ce village
quasi-troglodyte n’offrait à ses habitants qu’un mince chemin piétonnier
longeant les habitations et bordant l’abîme. Pas le moment de sortir en courant
de la maison, à la manière d’Abraracourcix jeté par Mimine! Inutile de même
d’aller y trimballer le vélo: des chutes de 400 m, ça a tendance à rayer le
cadre...
Par contre, les cartes
indiquent qu’on peut se rendre par la piste de Cherket à Tasreft et Anergui ou
Taguelft ; sauf vrais cyclo-muletiers, abstenez-vous : aujourd’hui abandonnée,
ce qui fut une piste jonglant avec les 2 000-2 500 m n’est plus fréquentée que
par les chevaux et les mûles.
Longues périodes de poussage,
voire de portage, sur une
dé-chaussée empierrée, séances de cyclo-masseur dans la descente aux enfers;
bref, pas du gateau. Aujourd’hui, l’accès à Anergui se fait par une nouvelle
piste taillée dans les abruptes gorges de la vallée, à 200 km de là, mais aucune
carte ne l’indique.
Tout de même, une bonne
surprise à Taguelft, au terminus de la caillouterie: l’ancienne piste rejoignant
la plaine est désormais revêtue. Ouf, on fait un peu reposer le matériel,
accessoirement les os. Il ne s’agit cependant que d’un court épisode routier:
après un jour de pluie glacée (le seul du séjour), je retrouve la piste dans la
dure mais superbe montée sur Zaouia Ahansal.
S’en suit, deux jours durant
une succession de cols à 2500-2700 m, jusqu’à la vallée isolée des Aït Bou
Guemez, et ses villages aux allures fortifiées. Un surprenant ruban vert à 2000
m, tranchant avec le minéral enserrant ce petit paradis d’altitude. Relatif
paradis: les gens y vivent dans des conditions tout aussi miséreuses que dans le
reste des montagnes berbères, et on se croirait plus en Bolivie qu’aux portes
d’une riche Europe.
Un dernier haut col dans le
brouillard, et c’est bientôt le goudron. Abdelkarim et Tatam, sa charmante
femme, m’attendent à la maison forestière de Aït Mehammed. Ultime contact
chaleureux avec les Berbères, avant de repiquer sur Marrakech, sa foule dense,
sa précipitation urbaine. Comme j’étais bien, là-haut, dans “mes” désertiques
montagnes!
(1) J’ai même connu une
splendide arnaque (usage frauduleux de ma carte Visa, fort heureusement
périmée), dans une petite ville...
Frédérick FERCHAUX
Pour s’y rendre
Vols charters Paris-Marrakech
à partir de 1000 FF, 1500 FF AR en moyenne (Charters Look, Nlles
Frontières...)
Période
Eviter l’hiver: il neige, et
la plupart des pistes sont fermées, jusqu’en mars-avril. Les routes sont en
général dégagées assez rapidement. Mai-juin semble la meilleure période.
Juillet-septembre est doux en montagne, mais torride dans les plaines. Octobre
est encore faisable, s’il n’y a pas trop d’orages (rendent dangereuses les
traversées d’oueds), et si les pluies d’automne n’ont pas encore commencé.
Hébergement
Hôtels inexistants en-dehors
des villes de plaine. Mais pas d’inquiétude : les Berbères des montagnes
proposent le gîte et le couvert, généralement moyennant finances. J’ai été
souvent sollicité dans ce sens. Cependant, j’ai été invité cinq fois, au nom de
la légendaire hospitalité berbère, qui a tendance à disparaître.
Nourriture
Se ravitailler dans les villes
de plaine : dans la montagne, les épiceries sont rares. Dans les grands villages
(Imilchil, Tamttatoucht...), on trouve de petits restaus, où se sustenter d’un
délicieux plat local (tajine) pour 15-20 FF. Le thé à la menthe est une
institution...dont il faut aussi se méfier, car une demande intéressée peut être
parfois au bout.
Matériel vélo
Un peu de matériel VTT dans le
centre de Marrakech, de nombreux réparateurs dans les villages de plaine. Rien
en montagne.
Etat des
routes
Bonnes, mais souvent étroites.
Nationales parfois dangereuses. Seules quelques axes traversent l’Atlas (au
départ de Marrakech, le Tizi-n-Tichka et le Tizi-n-Test; entre Midelt et
Errachidia, Tizi-n-Taghelmt). Sinon, de la piste, de assez bonne à moyenne. VTT
recommandé.
Bien que le Sahara soit
proche, les pistes ne sont pas sablonneuses, mais ploutôt caillouteuses ou
poussiérreuses. Seules pistes mauvaises: M’semrir-Tamttatoucht, et
Midelt-Imilchil vers le Cirque de Jaffar.