UN VELONAUTE A LA RECHERCHE DE LA TOISON D’OR

 

Les photos du voyage sont accessibles, soit en cliquant sur les vignettes une à une en cours de récit, soit via les galeries partiellement légendées

 

JE DEAMBULE A ISTANBUL

 

Depuis 2005, la Géorgie est ouverte sans visa : l’occasion pour moi de me rendre, pour la première fois, sur l’ex-territoire de l’URSS. Tbilisi n’est pas une destination donnée en avion : il vaut mieux, et de loin, atterrir à Istanbul, et poursuivre en bus. Istanbul est une véritable plaque routière, non seulement pour la Turquie, mais pour de nombreux pays orientaux (Iran, Nahcivan, Syrie, Géorgie). Bus efficients, rapides, confortables. Pas d’hésitation. Et puis, à Istanbul, j’ai mes repères : les camping Londra ou Kadiköy pour une arrivée tardive, l’hypermarché Carrefour près de l’immense terminal des bus, pour faire des emplettes, et notamment des recharges de gaz.

 

Surprise : les deux campings en question n’existent plus. Le premier a carrément été remplacé par une piste de kart, le second est devenu terrain vague. Petit pincement au cœur, car ce camping est très attaché dans mon esprit à mon premier voyage en Turquie. Mais puisqu’il s’agit encore d’un terrain vague, avant que ne se concrétise un nouveau projet immobilier sur cette partie de côte rupine, je peux fort bien envisager d’y camper, gratos. Je ne prendrai pas de douche, c’est tout.

 

Quelques km le long d’une voie expresse toujours aussi saturée, et c’est l’Otogar. Je réserve rapidement une place pour un prochain départ vers Kars, me laissant le temps de faire le plein de provisions au Carrefour sur la colline au-dessus. Où je découvre, pour une prochaine fois, qu’il est possible d’acheter un VTT basique pour pas trop cher. Plus ça va, plus les compagnies aériennes resserrent les boulons sur les limites de poids des bagages, et font payer un forfait assez élevé pour le transport d’un vélo, même démonté. Prenons nos précautions pour l’avenir…

 

QUI A KARS TIQUE ?

 

Pourquoi Kars ? Il y a bien des bus directs Istanbul-Tbilisi via Batumi ou non, mais autant en profiter pour visiter un peu la Turquie de l’Est. Et puis, petite tricherie, Kars est à 1750 m d’altitude, tandis que je compte reprendre le bus, un mois plus tard, au niveau de la mer : et une descente gratuite, une ! Kars m’avait curieusement laissé une mauvaise impression, huit ans auparavant : celle d’une ville triste, miséreuse. Il faut dire que je l’avais visité par un temps de pluie incessant, traversant la ville par l’avenue passant devant la gare, la plus tristounette.

 

Cette fois, je la découvre sous le soleil. Et découvre la citadelle, que mon passage de 1999 ne m’avait pas permis de remarquer. Superbe citadelle, coiffant une colline dominant la ville. Le tourisme endogène se développe de plus en plus en Turquie, et de nombreux Turcs d’Ankara ou d’Istanbul visitent comme moi. C’est en fouinant sur des pistes autour de la citadelle, à la recherche de nouveaux points de vue, que je remarque que la pédale de gauche s’est dévissée, depuis le remontage à l’aéroport. Toutes mes affaires, dont les outils, sont à l’hôtel, il me faut attendre pour la resserrer.

 

KARS

 

Direction le lac de Çildir, comme en 1999, mais par d’autres routes. Et cette fois, au lieu de faire le tour par la route de la rive est, je prendrai la piste de la rive ouest, plus sauvage. Mal m’en prend. Pas pour la vue, effectivement formidable, mais parce qu’il s’agit d’une piste. Et qu’au-delà d’un village, cette piste devient boueuse. Je veille à ce qu’une roue ne s’embourbe pas, mais c’est en fait la chaîne qui morfle, et par delà, le dérailleur arrière. Il se bloque, je descends et pousse le vélo. Mais ça me lasse, aussi, je reprends le pédalage.

 

Mauvaise idée : le dérailleur se bloque de nouveau, je stoppe trop tard, et c’est la cata : le dérailleur casse. Je n’ai plus qu’une solution, retirer ce qui reste du dérailleur, retirer un max de maillons, pour ne pédaler que sur un unique pignon. Je procède par tâtonnements, mais j’y arrive, à force d’ajouts et de soustractions de maillons. Pas de chance quand même : quelques km après, la piste redevient correcte !

 

TANT PIS POUR LE TAMPON

 

A Çildir, une bagnole veut à tout prix m’arrêter : contrôle de police. Il est vrai que nous sommes dans une zone frontière. Même si la Géorgie n’est plus derrière le rideau de fer, les policiers Turcs sont souvent soupçonneux vis-à-vis des Etrangers, généralement pour des histoires de trafic de drogue (la Turquie est le chemin le plus simple entre l’Afghanistan, le Pakistan et l’Europe). Contrôle classique du passeport, la rrroutine, quoi. Sauf que mes pandores (en fait, il s’agit de la jandarma) ne trouvent pas le tampon d’entrée.  Allons, fastoche, je vais vous montrer. Oui, euh, ça doit être, euh… Zut, c’est vrai ça, iléou, ce fichu tampon de l’aéroport d’Istanbul ?

 

Je dois me rendre à l’évidence, le gars a dû oublier de l’apposer ! Là, je suis mal. Les gendarmes m’emmènent à leurs bureaux. Mais restent très aimables, me présentent à la maisonnée. Finalement, à force, je finis par dénicher ce tampon, glissé parmi divers autres, à la page 14 ! Je l’échappe belle. Sans doute le fichier des Etrangers présents sur le territoire est-il disponible, dès que notre entrée est enregistré sur le territoire (en espérant qu’ils enregistrent quoi que ce soit), mais j’étais parti pour une longue soirée, voire plus si affinités.

 

Les affinités, n’était-ce mon âge désormais respectable, auraient pu être ces deux jeunes filles que les gendarmes invitent comme traductrices, qui parlent effectivement un excellent anglais, dans ce coin loin de toute grande ville, perdu non loin de la frontière géorgienne. Ils/elles me dégotent le seul hôtel de la ville, minable mais pas cher, mais de réparateur de vélo, point. Sauf à revenir sur mes pas de 100 km vers Kars, il ne me reste plus que la petite ville d’Ardahan, avant d’obliquer sur la Géorgie.

 

A la sortie de Çildir, je découvre un autre château, que je n’avais pas remarqué huit ans plus tôt, plongé dans la pluie que j’étais. Superbe forteresse, au sommet d’un piton rocheux, dominant un torrent. Une ancienne piste mène jusqu’aux ruines. Je reprends la route d’Ardahan, et me paye un super orage un peu avant la ville ! Chance, il me tombe à l’orée d’un bois, où les Eaux et Forêts locaux ont installé des abris pique-nique, les bienvenus. Des Turcs, qui fort justement piquent niquent, viennent, les uns m’emprunter un couteau, les autres me donner tranches de melons et pastèques. Histoire de faire passer l’orage !

 

 

DERAILLEUR DURAILLE

 

A Ardahan, pas vraiment de réparateur vélo ! Il faut dire qu’il s’agit d’une petite ville. Mais à plusieurs boutiques, des vélos sont en vente. C’est souvent le cas en Turquie, des boutiques vendent des vélos, mais il ne s’agit absolument pas de techniciens du vélo. En désespoir de cause, je m’adresse à l’une d’elles, où je distingue aussi une fourche à la devanture. S’ils vendent des fourches, c’est qu’ils doivent bien savoir l’installer. Et sur la lancée, ils doivent bien avoir un dérailleur.

 

Bonne pioche ! Certes, ils ne disposent que de dérailleurs cinq vitesses, certes, ils ne sont pas des bricoleurs géniaux, mais avec leur bonne volonté et la mienne, on arrive à l’installer. Pour la chaîne, que j’ai quasiment démonté maillon par maillon dans mes tâtonnements, il faudra continuer avec, car ils n’ont que des chaînes à gros maillons, qui ont peu de chances de passer sur les huit pignons arrière. Je quitte Ardahan tout content. Ah, petite crainte quand même : en quittant la ville, je m’aperçois que la pédale gauche, que j’avais pourtant correctement resserrée à Kars, a du jeu. Je règle, mais une pédale, ça ne se desserre normalement pas comme ça. On avisera plus tard.

 

Revenant sur mes pas (le carrefour vers la Géorgie est à l’est de la ville, je suis passé devant un peu avant l’orage), je choisis la zone pique-nique forestier comme camping. Certes pas prévu pour ça, mais c’est le bon choix, car juste à la nuit, la pluie reprend jusqu’au matin. Et je ne reçois pas une goutte, la tente « plantée » dans un kiosque. Merci, les orman trucmuche !

 

La route vers la Géorgie : il s’agit de la route vers Posof, la dernière ville avant la frontière. Autrefois bout du monde enclavé au-delà d’un col à 2540 m, lorsque la Géorgie était derrière le Rideau de Fer, elle est aujourd’hui sur un axe important reliant Istanbul et Ankara à Tbilisi. Les cartes indiquent encore de la piste, mais en fait, cette route est désormais revêtue jusqu’à la frontière.

 

COL EN DIRECTION DE COLCHIS

 

La montée se déroule en plusieurs étapes. D’abord, à la sortie de Hanak, une grimpette brutale sur une crête, jusqu’à 2100 m. Puis redescente sur une autre ville, Damal, où commence la haute montagne. Cette fois, je suis sur la bonne vallée. A un pont, la route se cabre de nouveau. Je vois en haut le col, en fait il est un peu plus loin. Ilgardaği Geçidi, 2540 m, il est midi. Je souhaitais arriver suffisamment tôt au col, espérant redescendre avant le classique orage d’après-midi, comme il semble arriver souvent dans la région dans la première moitié de juin. Espoir vain : à peine franchi le col, je vois de gros nuages noirs, si bas que je pourrais presque les toucher de la main.

 

La vue est tout simplement fantastique. Les montagnes approchent les 3000 m, et sont encore abondamment couvertes de neige. J’aimerais avoir le temps d’explorer voir si des pistes franchissaient les cols du coin, mais la Géorgie m’attend. L’orage, lui, n’attend pas, et dégueule son trop plein de gouttes, mettant à l’épreuve mes freins, que je suis obligé de resserrer une fois arrivé à Posof. Mais la montée reprend de plus belle vers la frontière, bien qu’on longe une rivière descendante. Les formalités sont rapides, bien plus que je n’aurai cru.

 

Bien souvent, dans les petits postes frontières (les seuls véhicules sont quelques semi-remorques et bus turcs, l’essentiel du trafic passant quand même via Batumi), les flics sont mi-soupçonneux, mi-curieux vis-à-vis des cyclistes, et ont tendance à prendre leur temps pour tout vérifier. Côté géorgien, je tombe sur un flic qui m’a tout l’air du frère à Aznavour. Pas étonnant, une partie de la population géorgienne étant de nationalité arménienne. Comme dans tous les pays montagneux (Balkans, Caucase…), les ethnies sont entremêlées, ne simplifiant pas les rapports entre voisins.

 

A peine la frontière franchie, et c’est la piste ! En fait pas tout à fait, car je tombe immédiatement sur un carrefour : tout droit, une route goudronnée, qui monte vers une côte, à droite, une piste. Je m’apprête à prendre tout droit, une des cartes en ma possession indiquant que cette route doit rattraper le réseau revêtu existant, même si cela représente un détour pour atteindre la première ville, Alkhatsikhe. A ce moment, une jeep, puis une autre, descendent de cette côte… et prennent la piste de droite, également direction Alkhatsikhe ! Ce qui est parfaitement illogique, sauf si ces jeeps ne vont que jusqu’à Vale, une petite ville à mi-distance sur le trajet de cette piste, ou bien si… la route ne mène en fait nulle part. Les traces de pneus au niveau du carrefour ne laissent pas de doute : aucun véhicule venant de l’asphalte ne se dirige ensuite vers la frontière, toutes virent vers la piste. Tel un indien, je suis les traces.

 

La piste commence par plonger durant 3 km vers la vallée suivie depuis le col avant Posof. Tout du long, un grillage imposant, hérité de la guerre froide à l’époque de l’URSS. C’est pourtant non loin de ce grillage que je vais camper, espérant juste qu’une escouade de soldats Géorgiens ne vienne circuler à ce moment, et ne me prenne pour un espion ! En effet, il se fait tard, après le pont, la piste remonte visiblement assez durement sur Vale, et j’ai pu voir que de ce côté-là, le coin est très peuplé. Pas envie de me mettre à la recherche ni d’un hypothétique hôtel (et sans le sou, aucun changeur à la frontière), ni d’un coin pour camper entre deux maisons. C’est donc au pont que je tourne dans un chemin labouré par les tracteurs – et peut-être les blindés. J’escomptais m’éloigner de la piste principale, mais très vite, je vois les barbelés qui me coupent la route – enfin, le chemin.

 

Et allez donc ! L’orage de ce début d’après-midi ne suffisait pas ! Au moment de me coucher, voilà que le ciel chargé remet ça, et pour une grande partie de la nuit. Les couvertures de survie tringlées sur ma tente perméable m’éviteront l’inondation, mais cette tendance météo à l’humidité commence à m’agacer prodigieusement. Bon, aucun troufion n’est venu me réveiller, la baïonnette en avant prêt à transpercer le capitaliste décadent.

 

MONASTERE INTROUVABLE

 

Le tronçon de piste avait plus l’aspect d’une route en construction, à qui ne manquerait que le goudron. Mais la suite me fait déchanter : en approchant Vale, la piste devient ancienne route goudronnée, totalement défoncée, sur laquelle les rares voitures avancent à une allure de tortue. La traversée de Vale, tout à fait dans le style des pays de l’Est (Bulgarie, Albanie…) est un peu tristounette, avec des gens qui me semblent un peu désoeuvrés. Confirmation que la route de la frontière ne devait pas mener grand part : je croise des bus turcs en direction d’Istanbul, des semi-remorques turcs. Je doute qu’ils s’amuseraient à passer par cette route/piste pourave, s’il existait une bonne route goudronnée, quant bien même celle-ci représenterait un léger détour de 5 km.

 

Ouf, après un plongeon, le goudron reprend, et visiblement avec de lents travaux d’amélioration. J’atteins le pont, carrefour avec la route menant à gauche à Batumi, que j’espère emprunter vers la fin de mon séjour. Dans l’immédiat, c’est vers la droite que je me dirige, Alkhatsikhe n’étant plus bien loin. Nom à la prononciation acrobatique, comme bien des toponymes géorgiens (en gros, alratsire, en raclant teuf teuf de la gorge, pas dur avec la poussière des pistes), par contre sa signification est des plus simples : nouveau château. Nouveau château quand la ville fut (re)nommée, car à ce jour, il s’agit plutôt de ruines !

 

Elles dominent la ville du haut de leur colline. Elles justifient que je stoppe ici pour la nuit, ma première nuit d’hôtel. Le guide Lonely Planet en ma possession date un peu, les tarifs aussi. L’hôtel le moins cher semble ne plus exister, l’Intourist propose sans sourciller des prix quasi-occidentaux pour des chambres probablement rudimentaires, ne voulant pas descendre sous les 25 laris, soit 15 dollars. Je me rabats sur un des motels à l’entrée de la ville, l’un d’eux me proposant d’office 7 dollars, douche chaude, endroit pour sécher mon matériel détrempé et mon linge lavé. Que demander de plus ?

 

Au sein des ruines, il y a une ancienne mosquée et un musée. On me dirige sur la conservatrice (enfin, je suppose), très jolie ce qui ne gâte rien, mais surtout parlant un anglais parfait. Ce sera le seul cas de tout mon voyage en Géorgie, car, comme on le devine, c’est plutôt le russe qui est parlé ici par tous les adultes, au point que bien des mots russes sont parfois utilisés à la place du géorgien, un peu comme les Maghrébins séjournant en France qui parsèment leurs phrases arabes d’expression française, tellement elles sortent naturellement.

 

 

Dans les environs de la ville, il y a un monastère, Sapara. J’ai beau avoir les indications à la fois du Lonely et du Bradt, jamais je ne trouverai ce monastère ! C’est l’un des premiers inconvénients que je découvre en Géorgie. Je savais que la langue et l’alphabet représenteraient une difficulté. Mais je ne pensais pas que le pancartage le long des routes serait tout simplement inexistant ! Et comme la région n’est pas très peuplée, il n’y a pas grand monde à qui demander son chemin.  A un moment, j’emprunte une ancienne route, au goudron commençant à se gondoler, mais finalement meilleur que celui de la vallée. Mais bizarrement, cette route qui s’élève bien au-dessus termine au milieu de nulle part. Un ancien projet de créer une route longeant la frontière montagneuse avec la Turquie ?

 

DE CHÂTEAUX EN CHÂTEAUX

 

C’est le lendemain que commence enfin vraiment mon voyage en Géorgie. J’espérais trouver à Akhaltsikhe un réparateur vélo, afin de régler deux problèmes : celui de mon dérailleur, qui en définitive ne marche guère, et celui de la pédale gauche, qui m’a quand même posé quelques soucis à la sortie de Ardahan (Turquie). Borjomi, à 50 km de là, est une ville touristique, en bordure d’un parc national à propos duquel j’ai lu qu’il existait des itinéraires pour VTT : on devrait bien trouver un réparateur là, voire un vélociste vrai de vrai, vendant du bon matériel pour quelques richards Géorgiens goûtant aux joies du mountain bike, comme j’ai pu constater dans bien des pays.

 

Il me faudra déchanter. Borjomi est certes une ville touristique. Mais en fait, une « simple » ville d’eaux, au tourisme bien dans le genre du pays de l’ex-bloc de l’Est, dont les stations thermales sont l’archétype. De plus, cette station, dont les nombreux hôtels et sanatoriums se sont trouvés nettement moins fréquentés depuis que la Russie et la Géorgie se sont tournés le dos, a été investie par les réfugiés Géorgiens en provenance d’Abkhazie, et dont la situation n’a guère évolué depuis 1990. La zone commerciale est vite parcourue, à part une ou deux épiceries, un coiffeur et autres, il n’y a pas grand-chose, et surtout pas un vélociste et autres élucubrations de ce genre !

 

 

Quelque peu dépité, j’entreprends de régler le dérailleur du mieux que je peux. En fait, le dérailleur de fortune posé à Ardahan semble être adapté au mieux à cinq vitesses, il est sans doute impossible d’avoir toutes les vitesses que je veux. Avant la montée impressionnante au Zkhratskaro, 2454 m (Borjomi est à 800 m), il vaut mieux que je puisse disposer du 24x32, prioritairement aux développements utiles pour le plat. A force de resserrage de câbles, j’y arrive… mais un autre problème, plus sérieux, apparaît : jeu dans la pédale de gauche. Et cette fois, je le sais, le filetage de la manivelle de gauche est fichu. Tout ce que je peux espérer, c’est d’atteindre Khašuri (prononcer rhachouri, pas vraiment rhââ lovely), la ville voisine, à 30 km de là. Mais une montée de col, pas question.

 

La mort dans l’âme, je me résous donc à laisser tomber cette montée, pour continuer la descente de vallée. Consolation : pour la nuit, je déniche un super coin pour camper, tranquille et pas loin de la rivière. A 750 m, en ce mi-juin, il fait chaud. Depuis le début du séjour, c’est la première fois que je passe sous la barre des 1000 m. A Akhaltsikhe, à 1000 m, la canicule était moins sensible, la ville étant enfoncée profondément dans les hautes montagnes. Mais ici, on approche de la plaine, et le thermomètre s’en ressent.

 

A Khašuri, je déchante une nouvelle fois. On m’indique bien un réparateur, mais il est en fait introuvable. J’ai beau tordre le cou à chaque porte pour deviner la présence de vélos démontés, je ne vois rien. Peut-être au fond d’une quelconque impasse ? En tout cas, peu de chances qu’un tel réparateur ait une manivelle qui ne soit pas à clavette, donc adaptée au système de vissage sur un axe VTT. Je consulte la carte : bien sûr, je pourrai opter pour un bus jusqu’à Tbilisi, mais je n’aime pas bien arriver dans une capitale en bus, avec le vélo et les sacoches à rassembler souvent parmi la foule (les terminaux de bus sont des lieux de prédilection pour les pickpockets et autres petits malins), Et puis zut, pour l’instant, la manivelle tient, la route pour Gori, voire Tbilisi, est essentiellement plate, j’ai tout le temps de voir au fur et à mesure.

 

KHAŠURI-GORI, UN PARCOURS GORE

 

Kaşuri est sur le tronçon routier principal du pays Tbilisi-Kutaisi-Batumi, autant dire que cette route est circulante. En plus, a priori pas grand-chose à voir le long de ce parcours plat dans tous les sens du terme. Par contre, la rive droite de la Mtkvari doit être nettement plus tranquille, et passe par quelques sites historiques et religieux susceptibles de couper la monotonie de l’itinéraire.

 

Nouvelle déconvenue : la route secondaire qui se détache de l’axe principal devient piste après le pont franchissant la rivière. Visiblement, il s’agissait autrefois d’une route goudronnée, mais bon, ça va, ça se roule bien. Première église ancienne, celle de Tsromi, qui a servi de référence pour les autres du secteur. Je me demande quelle est la ferveur des Géorgiens, car la porte est close. Bon, l’important, c’est la forme extérieure de l’église, aux allures de legos emboîtés, typiquement géorgienne.

 

A l’entrée de Kekhidjari, coup double : d’un côté de la piste, les ruines bien conservées d’un château, de l’autre, une chapelle très photogénique. J’atteins enfin une route, enfin quoique… Encore une de ces routes qui n’ont reçu aucun entretien depuis dix ans, et je commence à regretter la piste presque bonne que je viens de quitter : il faut faire du gymkhana autour des îlots restant de goudron, qui sont plus une gêne qu’autre chose ! La route ne reprendra qu’à la montée finale au monastère de Kintsvisi, à flanc de montagne, investi par des bus entiers de scolaires et de familles des environs, venant passer ici une journée de vacances.

 

Kintsvisi

 

A Kareli, je rejoins la route nationale, seule option pour rejoindre Gori. Et cette fois, j’en viendrais presque à regretter ma route défoncée, mais tranquille, avec ici un goudron excellent, mais une nationale étroite et circulante. Et apparemment, dans le code de la route géorgien, il ne doit pas être prévu de distance minimum pour doubler un cycliste (un quoi ?) ! Encore deux églises historiques à approcher, à tâtons, parmi les pistes sillonnant des villages étirés, Ruisi et Urbnisi. Fait rare, celles-ci sont indiqués depuis la nationale, avec dessins à l’appui, ne permettant aucune équivoque. Ce qui ne m’a pas empêché de tourner ensuite trente six fois dans les villages, à la recherche des clochers pour me repérer.

 

La nonnerie d'Urbnisi

 

PEDALE DANS LA CHOUCROUTE

 

Arrivée à Gori, les yeux écarquillés à la recherche d’un réparateur vélo. Des trolleys poussifs fonctionnent encore, mais c’est tout juste si je ne les double pas à vélo, bien que je roule doucement, tellement ils sont lents. Mais bon, ils ont le mérite d’exister, et de permettre encore à une population urbaine non motorisée de se déplacer, pour un prix défiant toute concurrence – notamment celle des marshrutkas, ces véhicules utilitaires rapides qui entassent une dizaine de personnes, et qui peu à peu supplantent les bus dans tout le pays.

 

Gori est surtout connu pour son musée de Staline, pour la simple et bonne raison qu’il est né ici, c’est le garçon du pays dont on est fier. En dehors de Gori (et des villages environnants), il n’y a plus aucun endroit où l’on peut trouver de statue de ce sympathique personnage, responsable d’à peine quelques dizaines de millions de morts. Lénine avait bien raison de se méfier de lui, et pourtant, on ne saura jamais si ce n’est pas lui qui aura permis plus que tout autre la défaite d’Hitler – ce qui n’excuse nullement toutes ses purges démentielles, ses déportations massives par la suite.

 

A vrai dire, visiter un musée consacré à Staline n’est pas vraiment la chose qui m’inspire. Mais la vieille ville est bâtie autour d’une colline, au sommet de laquelle trône une ancienne citadelle, assez joliment rénovée. Et puis les environs regorgent de plusieurs sites ou monuments dignes d’intérêt. Donc, hôtel. Un seul semble avoir des prix abordables, c’est l’Intourist. Celui-ci, situé sur la Prospekt Stalina, fait encore impression, vu de l’extérieur, avec son aspect de palais. A l’intérieur, c’est autre chose. Une réception modeste, qui a dû être autrefois la loge du concierge, un étage « sauvegardé » pour les touristes souhaitant dormir confortablement, mais j’estime que les prix demandés ne sont pas dans la fourchette de mon budget. Il reste alors l’étage au-dessus, pour lequel on me demande près de 10 €. Un étage pratiquement abandonné, la chambre est dans un état pitoyable – mais à peu près propre. Pour l’eau, il faut se servir dans des jerrycans de réserve ! En fait, l’eau se mettra subitement à couler dans la nuit. J’ai même bien cru un instant que je n’aurai même pas la lumière, mais non, c’était juste une question d’interrupteur.

 

C’est dès l’arrivée à Gori que j’ai eu une grosse inquiétude : d’un coup d’un seul, la pédale gauche s’est désolidarisé du reste ! Petit bricolage pour qu’elle tienne encore un peu, mais l’inévitable devait arriver. Dans l’après-midi, une fois fait le tour de la citadelle, je me rends à vélo à deux sites à l’ouest de la ville : Uplistsikhe et Atenis Sioni. Uplistsikhe, à ma grande surprise, est accessible désormais par une excellente route goudronnée, certainement récente, dont le seul but est de desservir ce site touristique. Cellules de moines creusées dans la roche, sûrement pas du granit, un peu comme en Cappadoce, et surtout comme à Vardzia, le principal site de ce type en Géorgie, que je devrai visiter plus tard.

 

Ce qui me surprend, c’est, dans un pays revenu à un tel état de pauvreté, de voir tant de touristes. Il est vrai que nous sommes fin juin, que donc certains ont déjà leurs congés annuels, mais c’est au moins l’un des bienfaits du « socialisme réel », que d’avoir donné aux gens l’habitude de faire du tourisme dans leur propre pays. Si je prends bien des pays du tiers-monde, au niveau de richesse comparable à la Géorgie qui a chuté vertigineusement, y’a pas photo. Dans les premiers, les occupations des gens sont souvent purement utilitaires : assurer sa subsistance, et, faute d’incitation au niveau des autorités, les gens se contentent de vivoter, d’inviter les amis, la famille, mais sans ce goût pour la culture en général. Certains auront beau critiquer jusqu’à plus soif ces régimes autoritaires qui ont dominé une bonne partie de la planète durant 40 ans, ils auront contribué à faire progresser un peu l’être humain, le sortir de sa condition purement animale (esprit rapace de compétition, loisirs centrés sur le clan, etc.). Mais les puissants de l’époque, USA et Europe notamment, n’ont jamais laissé une chance à ce système de faire réellement ses preuves – ceux qui détiennent l’argent y auraient eu tout à perdre.

 

GORI

Gori : la citadelle

Atenis Sioni

Uplistsikhe

 

C’est lors du retour de ce site, et en route vers Atenis Sioni, que le drame se produit : de nouveau, malgré mon bricolage, la pédale se détache. Et cette fois, rien n’y fait. Le filetage de la manivelle est totalement bouffé, la pédale ne peut tout simplement plus tenir. Des idées d’abandon me traversent l’esprit, mais je me rappelle d’une situation identique, 15 ans en arrière en Autriche, quand j’avais dû pédaler 150 km tout un week-end, avec une manivelle cassée – et évidemment par de pédale sur cette manivelle. Ce fut pénible, mais j’y étais arrivé. Je me rends donc à l’église d’Atenis Sioni, accessible par monts et par vaux, me contraignant à descendre souvent de vélo (surtout que mon choix de vitesses est toujours aussi limité). Ce n’est plus un voyage à vélo, c’est de l’acharnement touristique !

 

Même réflexion qu’à Borjomi puis Khaşuri, digne du Belge sautant sans parachute qui se dit que, à 5 m d’altitude, il n’a plus besoin de cela : Gori n’est plus très loin de Tbilisi, 80 km, je ne vais quand même pas abandonner ! Surtout que 30 km avant, il y a Mtskheta, une ancienne capitale historique bourrée de monuments, et si jamais je me rends directement à Tbilisi en bus, je me connais, je n’irai pas ensuite à Mtskheta. Dans l’immédiat, retour à l’hôtel. En début de nuit, malgré la fatigue, j’opte pour une virée nocturne, histoire de voir la ville dans le noir. Deux surprises : la première, c’est que malgré les restrictions de toutes sortes, les autorités ont développé l’éclairage nocturne des principaux sites de la ville, même relativement bénins (dont une chapelle sans intérêt en face de ma fenêtre, ce qui m’a incité à cette virée). On imagine la citadelle, toute éclairée, alors même que l’éclairage urbain est des plus modestes…

 

L’autre surprise est de croiser, sur la Prospekt Stalina, autant de monde ! Cet après-midi, il n’y avait pas un chat, à croire que j’étais dans une ville morte. Ce soir, toute la population de cette ville de 70 000 habitants semble s’être donné rendez-vous ici, conférant une grande animation digne des grandes années soviétiques.

 

TOUR VERS UNE TOUR

 

Entre Gori et Mtskheta, la route suit la vallée : a priori, elle devrait donc être plate. J’aurai deux mauvaises surprises d’un coup : non seulement la route, commune avec celle d’Uplistsikhe sur 6 km, devient mauvaise piste peu après, mais en plus, j’ai une rude côte à monter. En approchant Akhalkalaki, petite ville à mi-distance, je me dis que ça va mieux aller. Ce qui aurait été vrai si, du carrefour à l’entrée de ce gros bourg rural étiré, j’avais tourné à gauche vers la lointaine nationale, où une route goudronnée semble être maintenue tant bien que mal. Mais en m’enfonçant à droite, ce n’est pas la même chose !

 

Metheki

Akhalkalaki

Ertatsminda

 

 

 

 

Dans les environs, qui a justifié que je me rende ici au lieu de prendre la route principale, deux églises : Metheki et Ertatsminda. Vu les pentes du coin, et vu que je peine à ne pédaler que d’un côté, j’opte pour planquer mes bagages dans les fourrés, espérant que personne ne les repère. Au retour, je m’aperçois que les branchages que j’avais rajouté ont été déplacé ! Je crains le pire…. et surprends un chien qui a réussi à ouvrir mes sacoches, et est occupé à vider consciencieusement le garde-manger, délaissant tel que ce qu’il n’a pas aimé ! Je suis arrivé en fait juste à temps, avant qu’il ne fasse un sort définitif à tout ce qui n’est pas sous boite alimentaire ! Mais exeunt le fromage, une partie des cacahuètes (pourtant, il n’a pas aimé, mais en a répandu partout), une partie des biscuits, etc.

 

De Akhalkalaki, si j’en crois en outre une carte sur le Lonely Planet, la route devrait reprendre jusqu’à Mtskheta. Aussi, dans le bourg, je cherche une route… que je ne trouve qu’à la sortie sud, certes en état moyen. Celle-ci monte bien évidemment, mais ça ne devrait pas durer. Ben si, ça dure. Pourtant, y’a pas, sur les cartes en ma possession, il n’y a pas d’autre route possible. Akhalkalaki était à 600 m d’altitude, voici que j’atteins les 900 m ! Là, quand même, je flaire l’arnaque, me dis bien que je dois me trouver sur une route non décrite. Mais, au-dessus du village en face, je vois une belle tour. Et puis, avec un soupçon de chance, une piste poursuit au-delà. Bien vu ! Dans le village, on me confirme bien que Mtskheta, c’est tout droit. Quand même étonnant que cette grande tour restaurée, dans le style de celles qu’on trouve dans le nord du pays (Svanétie notamment) ne soit signalée sur aucun guide, aucune carte, ni aucune pancarte ! Je me fais l’effet d’un petit (petit…) Indiana Jones, découvrant quelque trésor perdu.

 

En attendant, je suis perdu dans l’entrelacs des pistes de ce village : Mtskheta, c’est tout droit, à condition, à chaque fois, de tourner au bon endroit ! Ouf, je sors enfin du village, et tombe sur un bois, endroit idéal pour camper. Effectivement, la piste continue (j’ai même le choix de poursuivre vers la montagne), pas trop mauvaise, et je peux voir en contrebas la piste principale (et non pas une route) depuis Akhalkalaki. Pas de regret pour avoir raté l’embranchement dans le bourg : si j’avais connu l’existence de cette tour (ainsi que de ruines d’un château un peu avant), je pense que j’aurais fait le détour, même s’il était un peu dur.

 

LA CAPITALE D'AVANT LA CAPITALE

 

Au village suivant, Kavtiskhevi, le goudron « promis » par le Lonely dès Akhalkalaki, reprend enfin. Au-delà d’un petit col, elle redescend enfin sur la vallée. Mtskheta est tout proche, point d’arrêt obligé. Cette ville n’est pas bien grande, mais a gardé sa superbe, avec les ruines d’un château, une cathédrale cernée de remparts, une nonnerie, une chapelle particulièrement bien située sur une colline en face, sans compter quelques monastères disséminés dans les collines alentour. Bref, une véritable petite ville-musée.

 

Voyagez toujours avec un guide de l’année ! Mon Lonely de 2004 est parfois dépassé. C’est le cas pour le camping de Mtskheta, qui est dans l’état du camping d’Ataköy à Istanbul : terrain abandonné aux ronces et aux orties, anciens bungalows en détérioration rapide. Mais parfait endroit pour camper quand même. Il y a plein d’endroits pique-nique dans les environs, très fréquentés, mais paradoxalement, cela me garantit la tranquillité : pourquoi ces gens viendraient dans l’ex-camping, s’ils ont des tables pique-nique en dehors ?

 

Un emmerderment de première en Géorgie : les chiens. Non qu’ils soient réellement dangereux, mais rares sont ceux qui sont en laisse… et rares sont ceux qui ne viennent pas japper dans les roues du cycliste. A la longue, au dixième croisé dans un village, on se lasse. Même phénomène en ville ! Vive les chats d’Istanbul, animal nullement méprisable, contrairement aux rantanplans. C’est avec une stupide meute de roquets que je fais le tour de la cathédrale, bien protégée ce matin avec les portes closes de sa muraille. Je pourrais attendre l’ouverture, mais je ne tiens pas trop à retarder mon arrivée dans la journée à Tbilisi.

 

Autre loi : outre éviter d’arriver avec son barda et son vélo dans par bus dans une grande ville, je préfère toujours chercher un hôtel suffisamment tôt, lorsqu’il y a encore de la place, et pour éviter d’accepter n’importe quoi à n’importe quel tarif, à l’arrivée de la nuit. Tbilisi n’est qu’à 27 km, mais il me faut encore pédaler à la mode unijambiste, et depuis 150 km que ça dure avec les détours et circuits annexes, ça commence à me fatiguer. Pas vraiment le pied.

 

MTSKHETA

La cathédrale de Sveti Tskhoveli

Samtavro

Bebris Tsikhe

Jvari

Schiomgvime

 

TBILISI, LE TIERS PAYANT

 

La Géorgie m’apparaît comme coupé en deux : d’un côté Tbilisi, de l’autre le reste du pays. D’une proportion de 17 % de la population totale du pays, cette ville est passée à 33 % ! D’une part, elle a perdu l’Abkhazie et, quasiment, l’Ossétie du Sud, mais surtout, entre la déroute économique, les réfugiés internes et divers déplacements de population, l’activité du pays s’est plus que jamais concentrée dans la capitale. Bien des villages, voire des villes, ont plein de maisons inoccupés, les gens s’étant rendu dans la capitale, dans l’espoir d’une vie meilleure.

 

Les autorités ont emboîté le pas : il est difficile de continuer à aménager tout un vaste territoire, composé pour beaucoup de montagnes au rude climat, donc elles semblent avoir concentré leurs efforts sur la capitale, où le maintien ou la création de structures sont plus optimisables. Et puis, un mécontentement dans quelques villages, ça n’a pas un gros impact. Un mécontentement dans une grande ville, ça fait vite tâche d’huile, et peut se transformer en émeute populaire. Si jamais c’est dans la capitale, les entités physiques des attributs du pouvoir (palais de la présidence, assemblée nationale etc.) sont alors à portée de main des émeutiers. Voilà pourquoi (entre autres) les autorités de tous les pays chouchoutent leur capitale et leurs grandes villes.

 

Mais ce qui me frappe le plus dans l’immédiat, c’est la totale absence d’indications routières. Bon, de toutes manières, ça aurait été en alphabet géorgien, à indiquer uniquement des noms de quartiers comme souvent dans les villes, c’est pas ça qui m’aurait aidé. Mais de temps à autre, l’indication du nom d’une avenue ou d’un pont, j’aurais bien aimé quand même. Là, rien, nib de nib. Encore heureux que cette ville de 1,7 millions d’habitants est toute en longueur, le long de la rivière Mktvari : à un moment ou un autre, je suis bien obligé de savoir où j’en suis, surtout que tout ce concentre bien évidemment non loin de la rivière.

 

Le dernier endroit pas cher semble être l’hôtel du terminus international des bus, à la sortie sud de la ville. Les gens m’aident spontanément à m’y diriger. Arrivé sur place, j’ai comme une appréhension : vitres cassées ou bien même pas remplacées, premier étage dans un désordre incroyable, visible de l’extérieur… sans doute cet hôtel pas cher n’existe-t-il même plus ! Mais si, même si le nombre de chambres proposé est faible, et le confort plus que rudimentaire. Très vite, je demande même à changer de chambre, la première n’ayant même plus de serrure ! Mais bien, je suis lité, pour un prix qui n’a rien à voir avec ceux désormais pratiqué dans cette capitale au coût de la vie deux fois plus élevé (et bien plus pour l’hébergement) que dans le reste du pays.

 

Pour ne pas perdre trop de temps dans cette ville, je décide de coupler la visite des principaux sites, avec la recherche d’un vélociste. Car il y en a bien forcément, dans cette métropole du village global. Pour la visite, pas de problème. Pour le vélociste, ça attendra le lendemain ! Les villes chinoises ont l’inconvénient d’avoir leurs centres d’intérêt touristiques assez éloignés les uns des autres – et un vélo est bien pratique pour les joindre les uns aux autres. Ici, rien de plus classique : tout tourne autour de la vieille ville. Les remparts, les églises, le défilé de la rivière, les bains ottomans et la mosquée, tout se fait à pied. Seule la cathédrale, récente, a été bâtie sur une colline de la rive gauche. La vieille ville fait oublier le « quartier soviétique », la ville « nouvelle » et son avenue locale des champs élysées, avec des bâtisses monumentales, très dans l’esprit de l’époque.

 

TBILISI

 

UN REPARATEUR EN UN TOUR DE MANIVELLE

 

La journée suivante est dédiée pour de bon à la recherche d’un réparateur. Apparemment, dans le centre, il n’y a rien. Tous mes efforts vont donc porter sur Vake, le quartier des nouveaux riches et des expat’, l’endroit selon moi le plus propice. Il doit bien y avoir ici, comme dans toute capitale, un noyau de petits bourgeois adeptes de la petite reine, et surtout du VTT, l’un des loisirs à la mode ? C’est en m’y dirigeant, que je croise soudain un type sur un mountain bike, qui plus est un excellent vélo alu ! En fait, acheté d’occaz, peut-être à un voyageur qui l’a laissé là (version optimisite). Koba, car tel est son prénom, trouve plus simple de m’amener à ce qui est l’un des rares réparateurs de la ville. Et j’avais tout faux : nous allons remonter la rive gauche sur au moins 8 km, jusqu’à la gare Didube, également gare principale des bus.

 

En fait de réparateur, dans la cour à l’écart de la gare, je distingue tout un tas de vélos d’enfants ! Car il n’y a que ça qui se vende. Le vélo ici, c’est un jouet, pas un moyen de transport, encore moins un loisir pour adulte. Mais leur atelier comprend aussi des pièces détachées récupérées d’où l’on ne sait où, ainsi qu’un modeste stock de mountain bikes neufs, sans doute pas de très grande qualité. Mes malabars, style tatouages sur tous les muscles, me dénichent dans leur bazar une manivelle. Qui ne s’adapte pas. Puis une autre, qui s’adapte. Ils me changent aussi la manette de dérailleur, mais cela ne changera pas grand-chose par la suite, et me bricolent un peu le frein arrière. 30 laris, soit 13 €, c’est bien cher payé, mais je n’ai guère le choix, et je ne peux imposer à mon traducteur de négocier pour moi. Consolation : un garage proche me fera gratuitement la soudure de mon porte-bagage, qui avait de nouveau cédé depuis la Turquie.

 

C’est donc de nouveau sur deux jambes que je peux pédaler, et envisager de manière plus optimiste la suite de mon voyage. A l’origine, j’avais prévu, depuis Tbilisi, faire des excursions vers les monastères de Davit Gareja, voire me rendre à Kazbegi, l’une des rares routes sûres traversant le Caucase pour de bon, à savoir la chaîne montagneuse du nord du pays, au contact de la Russie et de ses mini-républiques troublées (Daghestan, Tchétchénie, Ingouchie, Ossétie, Balkharie, Tcherkesses). Mais de rapides calculs me font dire que je n’ai guère le temps : c’est dès le lendemain qu’il me faut quitter Tbilisi, si je veux espérer ratisser tout le sud de la Géorgie, base du projet initial.

 

BOL D'AIR VERS BOLNISI

 

Un autre élément viendra me convaincre : un vent fort de nord-ouest s’est levé, qui aurait représenté une gêne importante, soit sur la Route Militaire de Géorgie, au bout de laquelle se situe Kazbegi, soit sur le retour de Davit Gareja. Tandis que là, en direction de Bolnisi, pour l’instant, il me porte. Ce sera moins le cas les jours suivants… La route est circulante, mais bonne, et large, tout au moins au début. Il ne faudra guère attendre 20 km pour retomber sur une route étoite, où je me fais même enguirlander de manière peu amène par les occupants d’un véhicule. Géorgiens chaleureux, ou un peu chaud ? Fort heureusement, c’est plutôt l’exception. Mais je ne suis pas fâché d’atteindre Marneuli, petite ville et grand carrefour.

 

Les cartes sont décidément trompeuses : on jurerait que, de Marneuli, l’essentiel du trafic irait droit vers le sud et la frontière arménienne. En fait, cette route serait, paraît-il, en mauvais état, et le trafic continue sur la route en direction de Bolnisi !  Je croise souvent des gosses, qui malgré la rareté des Etrangers, encore plus à vélo, ne sont jamais pénibles ni exubérants : yeux écarquillés, ils me lancent souvent un « gamardjobat ! » (bonjour), mais jamais ne me coursent, encore moins viennent me mendier quelques friandises ou de l’argent. Preuve que ce pays n’a pas encore perdu sa dignité, si elle a jusqu’à présent raté le train de la mondialisation heureuse.

 

Le trafic s’effiloche au fur et à mesure que je passe les villages de cette région peuplée. En fait, c’est avant même Bolnisi que la route redevient un peu tranquille. Je quitte la plaine, et rejoins les vallées de montagne. Comme de nombreuses agglomérations géorgiennes, Bolnisi est une petite ville très étirée, sur près de 5 km. J’ai donc failli louper le carrefour, non signalé, vers deux églises intéressantes à visiter, Bolnisi Sioni et Zugrugasheni. Pour un pays qui connaît tant de problèmes ethniques, pas de nettoyage, ici : ces églises sont en pleine zone de peuplement azéri, avec des mosquées non loin. Mais la coexistence des religions ne semble pas trop poser de problème. Le problème, ça n’a jamais été les religions (enfin si, mais pour d’autres raisons), mais les extrémistes de tout poil, y compris les cathos. Après tout, au Pakistan, ça fait depuis longtemps que des musulmans tuent des musulmans !

 

Bolnisi Sioni

Zugrugasheni

 

 

TSALKA Y ALLER

 

Le lendemain, la route passe encore près de belles ruines d’un château sur un pic rocheux, puis quitte la vallée et la route vers la frontière arménienne, pour se diriger vers Dmanisi. Montée brutale, puis plus régulière, mais cette fois, c’est parti pour rejoindre les altitudes. Vu la canicule subie depuis plusieurs jours autour de 500 m au-dessus de la mer, j’appréhende la chose avec joie, histoire d’avoir enfin des soirées plus fraîches. La route goudronnée est encore entretenue jusqu’à Dmanisi, petite ville perdue loin de tout, et pourtant à moins d’une centaine de km de la capitale.

 

Le guide Lonely Planet fait apparaître une route qui, de Dmanisi, gagne directement Ninotsminda et Akhalkalaki, en frôlant la frontière arménienne. Il semble que ce soit une pure invention, peut-être un projet qui n’a jamais abouti. J’ai beau scruter l’horizon, je ne distingue aucun tracé de piste sur les flancs de montagne pelés. Tous les gens, police compris, dénient l’existence d’une piste. Comme ils m’indiquent d’autres pistes (c’est souvent ça le problème : certains n’imaginent même pas qu’on puisse aller rouler sur des pistes), c’est que donc ce parcours direct n’existe pas.

 

Je n’ai plus qu’à me rabattre sur la route principale via Tsalka, qui passe bien plus au nord. Les mauvaises surprises continuent : autrefois, une bonne route goudronnée reliait Dmanisi à, en gros, Tsalka. Une fois de plus, il ne s’agit plus que d’une piste défoncée. Mais c’est dans cette région très rurale, et surtout à moitié abandonnée (et même presque totalement, dans le cas de certains villages), que je déniche l’un des plus chouettes endroits pour camper, dans un petit bois tranquille.

 

A un village, les gens m’indiquent un raccourci inattendu, pour éviter un long détour par une piste probablement pourrie. Après un col, la piste plonge au fond d’une vallée. Bien que indiquée sur aucune carte, et visiblement assez peu utilisée (ou justement grâce à cela), cette piste est bien cyclable. Elle rejoint bientôt la vallée, 400 m plus bas, et une route déserte depuis Tbilisi qui termine à une centrale hydro-électrique. Là reprend la piste, et surtout la remontée symétrique sur le plateau, toute en lacet, un régal pour le cyclo !

 

Voilà Tsalka, petite ville pas tout à fait au bord du lac du même nom, une petite colline l’en sépare. La ville semble tout à fait déserte : là encore, je suppose que de nombreux habitants ont décidé d’émigrer vers la capitale, à la recherche d’une vie meilleure. Au-delà de Tsalka, la route n’est absolument plus entretenue, depuis bien des années, et ce jusqu’à Ninotsminda. La Javakhétie, région peuplée essentiellement d’Arméniens, n’est apparemment pas en odeur de sainteté chez les autorités géorgiennes (attitude stupide, ils ont eu de la chance que cet abandon n’ait pas conduit les Arméniens à faire comme les Abkhazes, les Ossètes, voire les Adjariens), et la proximité de cette région par rapport à Tbilisi n’empêche pas qu’il faut faire un immense détour pour la rallier par route. Et le fait que la route directe, passant par la montagne, soit fermée quelques mois dans l’année par la neige n’est qu’un prétexte. La route vers la Russie (désormais close), également fermée l’hiver et le printemps, a toujours connu jusqu’à présent un entretien correct. Décidément, entre les Turcs et le premier Génocide contemporain (et qui continuent à maintenir le blocus avec l’Arménie), la guerre larvée entre Azerbaïdjan et la province arménienne sécessionniste du Nagorno Karabagh, enfin cette région arménienne de Géorgie snobée par Tbilisi, les Arméniens n’ont pas que des amis chaleureux autour d’eux…

 

PREMIER GRAND COL DE GEORGIE

 

J’en ai un peu marre de cette route/piste, qui est encore en pire état dès la traversée d’un village, ceux-ci étant nombreux. J’ai hâte d’aborder enfin la montée au col ! Heu, pas si hâte, finalement : la route se cabre brutalement, montant soudain à 10 % durant 2 km. Une route tracée à la serpe, tandis que la voie ferrée (déjà abandonnée), construite par les Russes en 1986, fait un grand détour pour faire une montée graduelle. Pourquoi les bâtisseurs de routes ne construisent-ils les routes avec le même soin (et les mêmes moyens financiers, pour les terrassements que cela suppose) que les voies ferrées ?

 

Ouf, justement, la piste rejoint la voie ferrée. A partir de là, la pente se radoucit considérablement. Peu avant le col, une gare. En fait désaffectée, elle sert de bergerie aux troupeaux de moutons vaquant ça et là avec leurs bergers. J’atteins désormais aisément le col, Ughelteleki Tukmataš, 2168 m. Immédiatement, le lac Paravani est à portée de vue, impressionnant par le silence – de rares petits villages en parsèment les rives. Le vent souffle fort dans mon dos, mais il commence à se faire tard, et surtout les nuages de soirée gâchent la vue sur le lac. Mon espoir est qu’au petit matin, le ciel soit dégagé. Je déniche un petit pont sous la voie ferrée qui surplombe la piste.

 

Le matin, c’est carrément le brouillard qui m’attend ! Heureusement, il sera de courte durée, et mon pronostic s’avèrera le bon : le lac m’apparaît enfin, et surtout les sommets à près ou plus de 3000 m qui le dominent, avec par endroits de larges tâches neigeuses. La descente est très peu pentue : le col était à 2168 m, le premier lac est encore à 2120 m, et il faudra 25 km depuis le col pour descendre sous les 2000 m ! Région de plus très tranquille, comme du reste une bonne partie du pays, hors l’axe Tbilisi-Batumi, qui doit concentrer au bas mot les trois-quarts de la population du pays.

 

Lac Paravani

 

LA JAVAKHETIE QUAND LE JAZZ EST LA

 

Le goudron reprend quelques km avant Ninotsminda, bout du monde géorgien un peu avant la frontière arménienne. Bout du monde, car l’ancienne route qui se dirigeait vers l’Arménie n’est plus qu’une piste, dès la sortie de la ville. Celle du nord conduit à Akhalkalaki, l’ancienne capitale de cette région à très forte majorité arménienne. Cette région pose parfois problème aux autorités de Tbilisi, avec quelques manifs violentes, ce qui peut se comprendre : alors que du temps de l’URSS, elle était reliée directement à la capitale par une voie ferrée et une route directe de 180 km, la voie ferrée est désaffectée, et la seule route goudronnée, faisant un large détour par les vallées, est de près de 300 km ! A se demander si les Géorgiens « purs » ne mépriseraient pas légèrement les Géorgiens de nationalité arménienne… Il est vrai qu’économiquement, cette région n’a guère d’intérêt, hors quelques mines, sans doute à moitié abandonnées.

 

Sur le plan touristique, également aucun intérêt. Ah, si, à l’ouest d’Akhalkalaki : Vardzia. Dans le style de la Cappadoce, ou bien d’Uplistsikhe près de Gori, les moines ont creusé à une époque des milliers de niches sur la paroi d’une falaise dominant la rivière. Mes cartes indiquent une piste directe via le village de Kumurdo, me permettant de réaliser une boucle. Jusqu’à Kumurdo, les nids de poule sont si nombreux et si larges, que même à vélo je peine à les éviter. Arrivé à Kumurdo, tout le monde me désigne la piste devant conduire à Vardzia : il ne s’agit que de simples traces de jeep, à légère distance de la falaise, 400 m au-dessus de la vallée. Cette « piste », j’en perds le tracé au niveau d’un champ fraîchement labouré, et continue un peu au hasard à travers les pentes herbeuses, gardant comme fil rouge un bois dominant le canyon. Et c’est là que je camperai pour la nuit, une fois revenu sur les traces de jeep.

 

Kumurdo

 

En fait, il existe aujourd’hui une piste plus directe pour rallier Gogasheni et Apnia, les villages à partir desquels une piste plonge vers le fond de la vallée, mais aucune carte ne l’indique (si, celle de Freytag und Berndt). Pauvres villages, tout comme Kumurdo, perdus loin de tout, mais si proches d’un des sites les plus fantastiques de Géorgie. Déjà, rien que la descente. Un tracé magnifique, avec le site en permanence en face de soi, tout en bas d’une vallée-canyon. Et puis le site lui-même, qui fut habité par des milliers de moines – il ne reste plus que ceux chargés de vendre du coca-cola aux touristes. A mon sens, s’il n’y a qu’un site à découvrir en Géorgie, c’est bien celui-ci. Surtout que la même vallée renferme d’autres sites, dont les grottes proches de Kvabibi, sorte de petit Vardzia, les gorges de Tamar, les ruines de Tmogvi, et surtout le château de Khertvisi.

 

Vardzia

 

Mais pour le cyclo-grimpeur que je suis, il y a un autre attrait : une piste en boucle, passant par un col à 2074 m – alors que Vardzia est à 1220 m. Au début, ça commence bien, c’est de la route. Surprenant, dans un pays où le goudron est si rare, car celui-ci ne mène qu’à un modeste village de fond de vallée. Peu avant celui-ci, une piste se détache sur la droite, grimpant brutalement dans une mer de caillasse. J’ai bien fait de planquer mes sacoches dans les fourrés ! Montée rude, mais bientôt magnifique comme je le supposais, car on s’élève au-dessus de la vallée-canyon. Puis j’atteins un plateau. A une intersection, la piste vers le col est là, sur la droite, apparemment désaffectée après avoir dépassé quelques fermes.

 

 

Désaffectée mais encore roulable. Enfin pour la première fois, un vrai paysage caucasien ! Le premier col franchit deux jours avant, celui à 2168 m, était assez plat sur la fin, et n’offrait pas autant ce caractère de haute montagne. Je poursuis la piste, mais celle-ci ne suit pas exactement le tracé sur la carte. Elle plonge enfin sur un gué large, où tout un tas de pistes se croisent. Il y a une ferme isolée, je demande ma route. Le gars me répond, mais j’ai la sensation, vu les indications données, qu’il cherche plus à me perdre qu’à m’y retrouver ! Je vois bien une piste en face, qui remonte à un col : outre que ce n’était pas ce qui était prévu sur la carte, je commence à me demander combien il me reste de km à couvrir comme ça. Il est bientôt 17h, et si jamais je me plante, ou si la descente est aussi mauvaise que la montée, je suis parti pour finir à la nuit – et pas sûr, alors, que je retrouve le bon fourré où j’ai planqué mes sacoches !

 

A regret, je laisse donc tomber la fin de la boucle, qui aurait dû me faire descendre au début de la vallée de Vardzia, avec encore plus de 20 km de route pour rejoindre mes sacoches, et fais demi-tour. Au fond, j’en suis récompensé : alors qu’à l’aller, un ciel menaçant ne mettait guère en valeur la vallée-canyon, ce soir, il fait de nouveau beau, et le soleil rasant éclaire de très belle façon la vallée. Dans cette descente très mauvaise, je sème les quelques jeeps qui y circulent ! C’est dire si la chaussée est caillouteuse. Ouf, je retrouve enfin mes sacoches, peu avant la nuit, et campe sur place.

 

Kvabebi

 

Ruines de Tmogvi et Hamar's Gate

 

Khertvisi

 

 

 

AKHALKALAKI N'EST PAS UNE VILLE D'EAU

 

La matinée suivante sera consacrée à la visite des autres sites de la vallée, jusqu’au château de Khertvisi. C’est ici que la route de Vardzia rejoint la route principale Tbilisi-Borjomi-Akhaltsikhe-Akhalkalaki-Ninotsminda. Las, à cet endroit, elle est en travaux, sans doute depuis quelque temps déjà, et pour encore pas mal de temps. Parcours pénible, qui n’a parfois guère à envier à la montée de la veille, sauf que cette fois, j’ai les sacoches ! Mais ouf, après 10 km, un goudron fait récemment reprend, jusqu’à Akhalkalaki. La boucle est bouclée.

 

En Géorgie, il y a partout de « l’eau publiques » : fontaines, robinets. Bien pratique pour le cycliste, qui n’a pas forcément envie de déranger les gens pour leur quémander de l’eau. Mais Akhalkalaki, pourtant dominé par un véritable château d’eau montagneux, a son « eau publique » coupée. A l’aller, j’en avais trouvé à une station-service à l’entrée de la ville, mais cette fois, aucune fontaine ne coule, pas même celle de cette station-service ! En fait, j’en trouverai, à la première station-service de la route de Bakuriani, un robinet sans doute relié au réseau général.

 

Quand je parle de route, il faut bien entendre comprendre « piste ». Maintenant, j’ai bien saisi que les trois-quarts du goudron géorgien se sont évaporés dans la libération de l’oppression russe, et qu’on n’a plus, ici, qu’un réseau digne du tiers-monde – voire du quart-monde, parfois. D’après ce que j’ai lu, ça ne va pas plus fort pour le système de santé, et je suppose que le système scolaire a dû prendre du plomb dans l’aile. Bref, les rares avantages du système soviétique ont été balayés d’un revers de main, sans pour autant que l’ensemble des Géorgiens ne profitent des avantages du système capitaliste. Une belle réussite qu’on doit à cette bonne vieille crapule de Reagan et à ses successeurs.

 

LAC TABATSKURI

 

Après une quinzaine de km, que je suis pas à pas sur ma carte, car les indications sur le terrain sont inexistantes, je repère une piste sur la droite : celle-ci se dirige vers un col puis un lac, et rattrape la piste principale au col principal. Allons-y donc. Cette piste dessert de gros villages à population grecque chaleureuse, elle est trouée de nids de poule, jusqu’au dernier hameau de la vallée. Là, elle monte brutalement sur le col, à plus de 2000 m, mais par contre devient en bon état. Et ce bon état dure ! Le lac est presque à niveau du col, et c’est le plus majestueux des lacs de la région, on dirait presque un lac suisse – chalets en moins.

 

Le village de Tabatskuri, sur le lac éponyme, est le seul lieu peuplé sur les km à la ronde. Et pourtant, toutes les pistes su secteur sont en bon état, et visiblement bien entretenues. La raison ? Nous ne sommes pas très loin de Borjomi et Bakuriani, hauts-lieux touristiques, surtout fréquentés par des gens cossus voyageant en gros 4x4 : l’excursion vers le lac Tabatskuri est un classique pour eux, et les autorités ont mis ici le paquet. Les villages de Javakhetie tout proches, la région arménienne, continueront dans l’immédiat de se contenter de pistes pourries, pas entretenues depuis 15 ans…

 

Une piste annexe remonte jusqu’à un col à 2100 m, longeant au début le lac, puis se perdant dans la montagne. Une fois mes sacoches laissées dans un bois dominant le lac, je m’y rends. C’est juste avant le col que je vois d’un coup d’énormes chiens de bergers me cavaler après ! Ils viennent d’un campement installé pourtant très loin de la piste, mais ils m’ont repéré. Et en tout, ils sont huit ! Heureusement, ils ne semblent pas très d’accord entre eux, et, après quelques lâchers de pierre et quelques disputes entre eux, restent indécis quant à la conduite à suivre à mon égard. Doit-on le dépecer sur place, ou le traîner jusqu’au campement, pour se le finir tranquillement ? Assez peu désireux de connaître leur choix, je décide, une fois atteint le col et pour le retour, d’éviter la piste en roulant à flanc de montagne, pour rejoindre la piste au-delà du campement ! Heureusement, pas de danger, le secteur se roule bien.

 

Baraleti-Lac Tabatskuri

 

COL SECRET DEFENSE

 

Mais bien évidemment, le lendemain, prenant la piste partant du lac, et se raccrochant à la piste principale de la veille, je suis sur mes gardes, dès qu’un campement de nomades se profile à l’horizon ! Heureusement, soit les chiens sont attachés, soit ils ne m’aperçoivent pas, soit… il sont bien dressés. La montée au col est parfois rude, mais la piste toujours aussi bonne. Au col, 2454 m, j’aperçois une série de 4x4 stoppés : contrôle militaire. Les autorités n’ont qu’une crainte : c’est que ces bons gros bourgeois soient embêtés par ces c… de pauvres de Javakhétie, aussi ils préviennent les uns et rassurent les autres avec ce dérisoire contrôle militaire (on se doute bien que si des gens veulent agresser les touristes, ils ont le choix du lieu, hors ce col).

 

Mais non, la chose est d’importance : je songe prendre des photos depuis le col, magnifique belvédère sur la région, avec les hauts sommets du Caucase dépassant 5000 m très loin, mais non : photos interdites ! Je ne parle pas de photos d’installations, de photos de militaires, mais de photos du paysage, qu’on peut prendre un peu en contrebas de la piste, dans un virage caché depuis le col ! Les militaires de tous les pays sont de sombres crétins, ça, on le savait, j’en ai une confirmation supplémentaire. Ils devraient aussi interdire aux gens de respirer l’air du col, classé confidentiel défense, tiens.

 

Très belle descente sur Bakuriani, très… alpine. Bakuriani, 1700 m est une des deux stations de sports d’hiver du pays, avec Gutauda, sur la Route Militaire Géorgienne. On dirait surtout un village d’altitude, avec deux ou trois tire-fesses, mais bon. La route reprend là, et la descente continue, sur Borjomi. Petit crochet vers le monastère de Timotesubani non loin, avec deux moines qui essaient de dialoguer avec moi, dans un mélange russe (que je ne comprends pas), allemand, français et anglais. Ils sont très fiers que leur église ait eu une distinction internationale genre UNESCO, pour ses fresques restaurés.

 

Timotesubani

 

A Borjomi, je rattrape la route empruntée au tout début de mon séjour en Géorgie : au moment où, par suite de problèmes avec la pédale gauche (plutôt la manivelle), j’avais justement dû abandonner la montée de cette route que je viens de faire en descente. Revanche prise avec éclat sur le sort, qui peut une fois de plus aller se rhabiller. Je suis plutôt du genre tenace acharné, je n’aime guère que le sort vienne me mettre des bâtons dans les roues et de la cassure de filetage dans la manivelle. Finalement, cette fois avec un vélo en pleine possession de ses moyens, je trouve la route Borjomi-Khašuri encore plus pénible que la première fois ! Et campe à l’exact endroit déniché deux semaines plus tôt.

 

PLONGEON DANS LA MOITEUR DES PLAINES

 

A Khašuri, j’oblique cette fois vers l’ouest, par la nationale. Encore un château, occupant le sommet d’un piton rocheux. On dit que la France serait le pays où il y aurait le plus de châteaux, mais je me demande si la Géorgie ne serait pas celui où il y aurait le plus de châteaux au km2 ! Et qui plus est, photogéniques en diable... De Surami, deux routes. En fait, comme je le devine, une route et une piste. La piste est une ancienne route, montant doucement au col de Surami, 949 m, et rejoignant la route principale 30 km plus loin. La route principale monte plus haut (mais les véhicules prennent un tunnel), jusqu’à un col à 997 m, puis descente brutale.

 

Khashuri-Surami

 

Monastère d'Ubisi

 

Après tant de jours passés à plus de 1000 m, et même une nuit à plus de 2000, c’est la première fois de mon séjour que je me retrouve si bas : le soir, je suis à 200 m. Sur la route, je cuis et prends des moitiés de coups de soleil. L’humidité de la côte se fait sentir, rendant de plus la chaleur moite. J’aborde la première ville de la région ouest : Zestaponi. Première du chapelet de villes industrielles à la soviétique, aux complexes sidérurgiques ou métallurgiques rouillées. En ce petit matin couvert, des gens au regard vide attendent un bus les amenant à l’usine. Nous sommes loin de la Géorgie rurale et pittoresque que j’ai parcouru jusqu’à présent.

 

Raison de plus pour ne pas s’attarder. Plus à l’ouest, Kutaïsi, la deuxième ville du pays, avec pourtant de superbes églises dans les proches environs, mais ce sera pour une autre fois. A la sortie de Zestaponi, une petite route permet de rejoindre la route Kutaïsi-Badgati, ce sera mon choix. C’est à ce moment que le ciel, bien menaçant depuis le petit matin, commence à déverser son trop plein d’humidité. Je pensais que le parcours serait plat, erreur ! Après un pont sur la rivière, elle monte brutalement desservir des villages perchés sur les premières collines de la haute montagne. Et, pire que tout, elle n’arrête pas de monter-descendre entre villages perchés et torrents. Pour ne rien arranger, après 10 km, la route devient mauvaise, et mes freins, sous la pluie, répondent de moins en moins. Consolation : dans cette région peuplée, les chiens ne sont pas très agressifs. Toujours ça.

 

CHAUSSEE ROCHEUSE

 

Ouf, Bagdati, à l’entrée de la montagne. C’est de là que part la route vers Akhalkalaki, via un col à près de 2200 m. Classique : sur les cartes, cette route apparaît en trait rouge, comme s’il s’agissait d’une nationale importante, d’une route revêtue. Je ne me fais guère d’illusions : elle ne dessert aucune ville, elle ne correspond à aucun tracé stratégique. Effectivement, à peine quitté Bagdati, la piste commence. Un point positif : la plue s’est arrêtée. Saine répartition des emmerdements, contrairement à la loi de Murphy : la pluie le matin, la piste l’après-midi. Et puis surtout, je me retrouve de nouveau en montagne, ayant évité la région d’archéologie industrielle de Zestaponi à Poti.

 

Psychologiquement, il est pénible de parcourir une piste qui a été une route. On ne peut pas s’empêcher de penser que si la route avait été entretenue, on roulerait dans de biens meilleures conditions. En fait, la route commence bientôt à monter, et le goudron à réapparaître par instants. Sans doute la montée, plus exposée aux intempéries, a connu un entretien minimum, au moins les premières années de l’Indépendance, puis par la suite, ils ont aussi abandonné cet entretien là. Le but de la route était Sairme, une petite station thermale coincée entre deux parois verticales montagneuses, fréquentée par des Géorgiens en week-end.

 

Au-delà commence la vraie montée. Et là,  j’ai de sérieux doutes sur le fait que cette route ait pu un jour être goudronnée : parcours très pentue, chaussée lessivée, au point que souvent, je me trouve à rouler directement sur la roche, mise à nu par l’érosion. Par-dessus le marché, la pluie a repris. Je ne peux bientôt guère affirmer que je roule, j’en suis réduit le plus souvent à pusser le vélo. Pour les quelques véhicles croisés, c’est pire : ils doivent franchir les passages rocheux avec la plus grande précaution, et je tremble pour eux de les voir basculer. Un petit camion a même des passagers à l’arrière, comment peuvent-ils s’en remettre à ce point à leur conducteur ?

 

A 1800 m, après 18 km de montée à 8 % de moyenne (mais avec de nombreux passages à plus de 10 %), je décide que ça suffira pour la journée. Je grimpe dans la forêt, essayant de dénicher, entre fougères et orties, un coin à peu près plat, et me préparant pour une nuit pluvieuse. Le lendemain, la pente continue. J’atteins une bergerie, où le sol est totalement piétinée par les vaches, chevaux et moutons, me faisant douter d’être sur la bonne piste. Mais le type, réveillé par les chiens venus « m’accueillir », me rassure : encre 2 km de forte montée, et j’y suis.

 

En fait, il y aura encore 3 km jusqu’à un premier col, et 2 km de plus jusqu’à un autre col, à 2300 m. Je peux de nouveau rouler depuis le premier col, mais je n’y vois goutte. Il ne pleut plus depuis cette nuit, mais les nuages stagnent sur cette chaîne séparant le versant Mer Noire du versant Caspienne. La piste, boueuse, redescend jusqu’au col 2182 m indiqué sur les cartes. Il faudra attendre encore quelques km pour d’une part atteindre une chaussée un peu plus roulable, d’autre part passer sous le couvert nuageux et voir enfin le paysage. Ce versant est visiblement moins humide, ce qui est tout à fait logique, puisque l’essentiel des pluies vient du versant Mer Noire.

 

APRES ABASTUMANI, BASTA !

 

La vallée est néanmoins abondamment boisée. J’arrive enfin à Abastumani, autre station thermale symétriquement opposée à Sairme, mais sans doute plus fréquentée, car une route refaite à neuf y débute, la reliant à Akhaltsikhe. En fait, je comptais ne pas me rendre de nouveau à Akhaltsikhe, première ville lors de mon arrivée en Géorgie, pensant prendre directement la route vers Batumi. Mais à la bifurcation de cette route, 13 km à l’ouest de Akhaltsikhe, je vois que cette route est en bien mauvais état. Trop, c’est trop. J’ai beau être un vieux routier des pistes (si je puis dire), là, pour aujourd’hui, j’en ai assez soupé des pistes pentues faites sous la pluie. Et puis le ciel est toujours menaçant, j’ai moyennement envie de camper une fois de plus sous la flotte. Tandis qu’à Akhaltsikhe, je connais un hôtel pas cher, où je vais pouvoir sécher mon matériel, laver mon linge et accessoirement me décrasser.

 

L’accueil du motel est aussi chaleureux que la première fois, mais j’ai plus que jamais l’impression que ce motel doit tirer plus de profits du charme des filles du lieu. Peu importe, l’endroit est propre et tranquille. Le lendemain, je reviens sur mes pas, jusqu’à la bifurcation. Jusqu’à Adigeni, le dernier gros bourg, il s’agit une fois de plus d’une de ces anciennes routes à la chaussée non entretenue, sur laquelle les voitures font des zig-zags pour éviter les nids de poule. Je préfère la suite : il s’agit tout simplement de piste, mais en pas trop mauvais état. Le dernier village de la vallée a une belle église, puis c’est la montée en lacet. Je suis à 1220 m, le col est 800 m plus haut. Une belle et bonne montée.

 

Eglise de Sarsma

 

Par endroits, le goudron a pu se maintenir. Assez curieusement, le parcours est désert, sauf en s’approchant du col, où des hameaux font leur apparition. Il y a encore, en ce début juillet, des plaques de neige. La vie dans ces hameaux doit être rude une bonne moitié de l’année. Je pensais même qu’il s’agissait de hameaux de bûcherons, vu les denses forêts proches, mais non, pour l’essentiel, je ne vois que de petites parcelles cultivées, et pas vraiment d’activité forestière. En fait, ces hameaux sont les dernières avancées, au-delà du col, d’une haute vallée densément peuplée.

 

ADJARIE

 

Car après le col, changement de décor : les villages piquètent les flancs de la vallée jusqu’à perte de vue. La terre doit y être plus riche, ce versant étant plus humide. Ça se ressent sur la chaussée : plus de goudron, uniquement de la caillasse. La piste dévale la pente, km après km. Le moindre coin plat est bâti, il est difficile de trouver un coin où camper. J’arrive quand même à entrer dans un champ surplombant la piste. La route reprend à Khulo, le premier gros bourg, 80 km à l’est de Batumi. Ma carte indique quelques châteaux, mais ceux-ci sont invisibles de la route, et rien n’indique leur position. Par contre, certains ponts ottomans ont été restaurés, traversant la rivière à plusieurs endroits.

 

Cette région, l’Adjarie, fut occupé par l’Empire Ottoman. Lorsque la Géorgie pu enfin s’établir comme état moderne, la Turquie obtint l’assurance que cette portion du pays, où les gens se convertirent à l’islam, conserve un statut privilégié : il s’agit donc d’une région autonome, comme l’Abkhazie, qui un temps se déclara indépendante. Et ne redevint autonome, j’imagine, qu’après avoir obtenu des concessions de la part de Tbilisi, au-delà de l’expulsion du satrape local qui avait poussé à cette indépendance : passage obligé vers la Turquie, poumon économique des relations avec l’Europe depuis que les liens avec la Russie ont été totalement coupés, on peut imaginer que cette région s’enrichit, et qu’elle partage peu cette richesse récente avec le reste de la Géorgie…

 

Adjarie

 

Batumi, troisième ville du pays, a une autre gueule que les autres villes (hors Tbilisi), on y sent une relative opulence, un peu comme une ville turque de la Mer Noire, dont elle est si proche géographiquement, et sans doute culturellement. Enfin une ville géorgienne où je croise quelques cyclistes, avec certes des VTT modestes. A cet endroit, la côte est superbe, digne d’une riviera. Depuis que l’Abkhazie a fait sécession, Batumi et Kobuleti sont les principales plages du pays, attirant les habitants de la capitale soucieux de parfaire leur bronzage.

 

Batumi

 

FOUILLE AU CORPS

 

La frontière n’est plus bien loin. Un dernier vestige historique, les remparts de Gonio, nettement moins spectaculaires que ceux d’autres châteaux du pays, et j’arrive à Sarpi. Je suis tellement habitué aux postes frontière confidentiels, où je suis souvent l’un des rares clients de la journée, que je ne me méfie pas : bien que les formalités sont assez rapides, il y a de l’attente, donc du monde. C’est dans l’attente au poste turc que je sens quelque chose de pas clair se passer deriière moi. Un jeune Géorgien me baratine, semblant mal à l’aise. Je comprends, mais trop tard : mon sac à dos est largement ouvert. Rien ne manque, pourtant.

 

Rien ? Si, juste un petit portefeuille, avec uniquement les 91 $ de laris en trop que je venais de changer à Batumi ! Comme un fait exprès, au lieu de mettre cet argent avec le reste, sous un plastique anodin, cet argent était bien à part, dans un portefeuille aisé à voler. Dès que je m’aperçois du vol, j’alerte les autorités turques, obtenant de pouvoir faire venir le gars et un de ses complices pour les fouiller. Mais comme je le craignais, la bande est bien organisée : ils ont déjà passé l’argent à d’autres membres du groupe, et se sont volontairement mis à part, pour pouvoir être fouillés !

 

A la fin de la fouille, voici venir les deux responsables du groupe, deux adultes complètement en dehors du coup, qui n’imaginent même pas les frasques de leurs protégés : il s’agit d’un groupe de danseurs folkloriques (auprès desquels la découverte de pays plus riches doit faire tourner la tête), qui se rendent à Antalya, sur la côte sud de la Turquie, pour un festival. Dans le doute (au fond, je n’ai pas la certitude totale qu’ils sont bien coupables – bien que je continue à en être persuadé aujourd’hui, il n’y avait pas d’autre possibilité), je laisse tomber. Je ne vais quand même pas gâcher un festival et le travail d’un groupe de danseurs tout entier, parce qu’il y a quelques brebis galeuses qui m’ont volé… presque le prix d’un VTT Décathlon premier prix quand même !

 

Bah, la vie est trop courte pour se soucier de tels épiphénomènes. Je m’en sors bien : le pda, le gps, l’appareil photo, la caméra, le plastique anodin contenant travellers, euros et les autres dollars, le billet d’avion, tout est là. Evidemment, ils n’allaient pas commettre l’erreur de piquer des objets identifiables qui les auraient immédiatement démasqués ! Mais je peux continuer mon voyage, plaie d’argent n’étant pas mortelle. Et la côte est superbe, aussi bien de ce côté-ci de la Géorgie, que de ce côté-là de la Turquie.

 

TOUT EST ROSE SUR LA MER NOIRE

 

Le comble est que la Géorgie est en Europe, la Turquie est en Asie, mais en passant de la Géorgie à la Turquie, j’ai presque l’impression de passer d’un pays du tiers-monde à un pays développé ! Surtout que cette côte touristique est relativement aisée, par rapport à certains villages du fin fond de l’Anatolie, encore plus depuis que la route Samsun-Trabzon-frontière est passée à 2x2 voies. La Turquie est en plein rattrapage économique, c’est visible ici. Et sensible du côté du portefeuille, à moins que je ne tombe systématiquement sur des épiciers filous, ce qui est plutôt rare en Turquie.

 

La côte de la Mer Noire

Mosquées

 

Les quelques jours qui me restent vont être partagés entre un parc national, et le Bosphore. La Mer Noire est bordé sur des centaines de km par la Chaîne Pontique, qui culmine à plus de 3000 m : par instants, on peut distinguer les sommets encore enneigés. A la sortie de Ardešen, route à droite vers Ayder, le parc national Kaçkar Dağlari et Zilkale. Vallée peuplée, bourrée d’anciens ponts ottomans très bien restaurés. A 20 km, le village de Çamlıhemšin, camp de base du parc national. De là, deux routes, l’une vers le cœur du parc national et le centre thermal d’Ayder, l’autre vers le château de Zil. J’ai laissé ma tente et mes sacoches pour la journée dans un bois à l’entrée de la vallée, je n’ai pas le temps de faire les deux routes.

 

J’opte pour Zilkale. Montée un peu rude, mais le goudron, ou plutôt le pavage progresse. Nous en sommes plus en Géorgie et ses routes non entretenus, le réseau turc s’améliore sensiblement d’année en année. Le château de Zil est isolé sur un promontoire rocheux, il servait de casernement, lorsque les itinéraires traversant la chaîne montagneuse passait par là. La piste continue au-delà. Sur un plan vu à l’entrée d’un petit restau local, j’ai même repéré qu’elle passait par un col, et revenait par une autre piste sur la côte, à hauteur de la ville de Pazar. C’est peut-être jouable.

 

Ponts ottomans

Fermes

Zilkale

Parc National Kaçkar Dağlari

 

Pas vraiment. La durée de jour restant fera obstacle à mon projet. Les pentes sont souvent fortes, et le col bien plus élevé que je ne pensais. Après avoir longé une vallée torrentielle déserte (un seul hameau, Çat, avec un hôtel), j’arrive à des hameaux de haute altitude, à 2200 m. Ici, c’est enfin la montagne pure, au dessus du niveau des forêts. Je distingue la piste qui continue en zigzags dans une vallée encaissée. Mais à partir de là, la piste n’est guère roulable : 12-15 %, et surtout désaffectée, très peu utilisée. Et cette fois, je réalise que le col, là haut, doit être à 2800 m. Il est près de 17h, la nuit tombe vers 20h20, et il me faudrait encore plus d’une heure jusqu’au col ! Ne parlons même pas de redescendre de l’autre côté, rouler de Pazar à Ardešen, et rejoindre mon campement : dans le meilleur des cas, j’en aurai fini à 22 h !

 

Chose rare, je suis contraint à l’abandon. Un peu rageant, mais bon, à 2300 m, j’ai quand même une belle vue sur la vallée que je domine, je ne serai pas monté pour rien. J’ai arrêté juste à temps : c’est à la nuit tombante que je retrouve mes affaires et remonte ma tente ! Des idées un peu saugrenues m’étaient venu en tête dans le chemin du retour : bivouaquer en route et terminer le lendemain matin. Mais je n’avais avec moi nul duvet, nulle couverture de survie, tout juste un petit poncho, et était limité en stock de nourriture. J’aurais pu aussi redescendre à Çat, dormir à l’hôtel, reprendre la montée le lendemain. Mais le fait de reprendre une rude montée abandonnée la veille ne m’enchantait pas.

 

RETOUR A ISTANBUL

 

La météo du lendemain balayera toutes ces idées : la pluie commence, à peine je reprends la route vers Ardešen. Les nuages viennent d’ouest, vent de face, violent, cinglant. J’envisage quand même de rejoindre Rize, mais ce vent violent me décourage de le faire par la côte. Qu’à cela ne tienne : la carte m’indique des possibilités par l’intérieur. Plus longues, mais j’ai le temps. En fait, une fois quitté la vallée de Hemšin au niveau d’un autre pont ottoman, la route se révèle être une ancienne piste cimentée, très pentue, montant probablement à un col vers 500 m, dans les nuages. Le pédalier se met à craquer. Je suis en train de pousser le vélo sur des pentes à 15 %, et à freiner à mort dans des redescentes qui suivent.

 

Trop c’est trop, nouvel abandon. Je m’en retourne à Pazar, sur la côte, et me dirige droit sur le terminal des bus. Un bus pour Istanbul est en partance dans une bonne heure, juste le temps de préparer le vélo au chargement. 50 livres, soit 28 €, on ne me fait rien payer pour le vélo… et ce bus, avec à peine 10 passagers, est direct Istanbul, sans arrêt autre que pipi et bouffe ! Incroyable qu’une petite ville de 15 000 habitants ait un bus direct et sans arrêt jusqu’à Istanbul, à 1200 km de là ! Istanbul est bien le centre nerveux de la Turquie…

 

Au matin, le bus me projette dans un faubourg d’Istanbul, non loin de la Corne d’Or. Heureusement que je connais un peu cette ville, car les plans decaux sont plutôt rares ! La Corne d’Or est à deux pas de l’hypercentre, autour des ponts entre Aksaray et ses célèbres mosquées, et Galatasaray et son club de f… euh, sa tour. Les choses ont changé : les bacs sillonnant le Bosphore sont désormais tous accessibles aux vélos. Au premier quai, je prends un bac pour la rive asiatique, Űsküdar. J’avais prévu de rejoindre Rize en deux jours, mon abandon me laisse deux jours de libre avant l’avion. Le plan est déjà prêt : le Bosphore. Je l’avais déjà parcouru en 1996, mais incomplètement et sans appareil photo.

 

ISTANBUL

Beşiktaş

Űsküdar

 

CA VA  FORT LE LONG DU BOSPHORE

 

Les souvenirs me reviennent vite : cette rive asiatique est pénible à parcourir à vélo, et en plus on voit rarement le Bosphore, entre les propriétés privées et les installations militaire. Pénible, car pour éviter ces bâtiments, l’avenue monte et descend. Le tout sur une chaussée étroite et circulante, et les Stambouliotes ne sont pas spécialement respectueux des cyclistes, à peu près aussi rares qu’en Géorgie. J’en ai ainsi jusqu’au pied du second viaduc. Car le Bosphore est enjambé par deux viaducs autoroutiers, gâchant un peu le paysage, mais mettant les deux rives d’Istanbul, et les deux parties de la Turquie (européenne et asiatique) en contact.

 

C’est aussi le niveau de deux anciens châteaux forts, l’Anadolu Hisar sur la rive anatolienne… et le Rumeli Hisar bien évidemment sur la rive roumélienne. C’est cette forteresse qui est la plus impressionnante, mais dans l’après-midi, elle commence à être à contre-jour. La dernière ville du Bosphore anatolien est Beygoz, peu après, très fréquentée en ce dimanche. Juste après, commence une forte montée, jusqu’à 200 m d’altitude, une tombe historique offrant une belle vue sur le Bosphore juste en contrebas. La zone, boisée, est idéale pour camper.

 

Redescente ou plutôt plongeon au petit matin sur Anadolu Kavanği, ancien petit port de pêche qui s’est reconverti dans le tourisme de fin de semaine. Un ancien fort ottoman domine le village. Les horaires des bacs m’apprennent que je peux me rendre à un village suivant, Peyroz, d’où une liaison matinale peut me ramener sur l’autre rive du Bosphore : toujours mieux que de me retaper la pénible route de l’aller ! Ce qui me permet déjà de monter jusqu’aux ruines de Poros, avec un panorama sur le bras de mer.

 

BOSPHORE RIVE ASIATIQUE

 

De Peyroz, il y a bien un bac, à l’heure prévu, l’un des trois de la journée. Il prend bien les vélos, et me fait bien traverser le Bosphore, jusqu’au village de Rumeli Kavanği, qu’on devine aisément comme situé en face de Anadolu Kavanği. A ce jour, il s’agit carrément d’une station balnéaire, avec quelques plages payantes. En m’éloignant un peu vers l’intérieur, je déniche un chemin de biquettes où planquer mes affaires dans l’intention de camper ce soir. Bien m’en prend, car comme sur l’autre rive, les routes s’écartent souvent du rivage, et grimpent souvent brutalement à plus de 200 m. C’est le cas de la route de Rumeli Feneri (Feneri = phare), aux curieuses ruines d’un château ottoman en bord de mer. Au-delà, en revenant sur le Bosphore, les routes ne mènent plus qu’à des stations balnéaires sans intérêt, sur la Mer Noire.

 

J’ai le temps de regagner le centre d’Istanbul via Bahçeköy et son aqueduc, et un grand boulevard. A plusieurs reprises, des voitures manquent de m’emboutir, ou des chauffeurs ouvrir grand la portière sur mon passage. Rageant, ce manque d’attention des conducteurs. J’arrive largement à temps au ponton de Bešiktaš, d’où un bac traverse carrément tout le Bosphore pour desservir les quais de la partie nord, jusqu’à Rumeli Kavanği. Une vraie petite croisière pour 0,8 €, certes sans commentaires d’un guide, et avec le vélo ! Ce bac n’a rien d’un bateau touristique : ce sont tous simplement des employés qui l’utilisent pour rentrer chez eux, comme une sorte de « tram sur l’eau ».

 

BOSPHORE RIVE EUROPEENNE

 

RUMELI HISAR

 

 

Le programme du lendemain sera chargé : de mon camping improvisé, pédaler jusqu’à Istanbul via la rive européenne, par une avenue bien plus agréable, visite de la superbe Rumeli Hisar, me faire couper les cheveux, atteindre l’aéroport à la sortie ouest de l’agglomération, et plier mon vélo pour le faire tenir dans un sac. Pas de chance, Austrian Airlines, que j’avais justement choisi parce qu’elle transportait gratos les vélos, a changé entre temps son règlement, et l’a aligné sur les compagnies voisines (Air France, KLM, Lufthansa, Alitalia…) : on paye systématiquement pour un vélo, quant bien même celui-ci serait démonté dans un sac. Et comme j’ai commis l’erreur, je ne sais pourquoi, de dire que ce sac contenait un vélo, ce qui ne sautait pas nécessairement aux yeux… Je réchappe au supplément en g…lant un peu (clair que si j’avais su ça en achetant mon billet, j’aurais choisi Alitalia, pour un prix nettement plus attractif !), mais ça fait la deuxième fois qu’une compagnie aérienne change son règlement, applicable immédiatement, alors que j’ai déjà acheté un billet. Ca commence à être lassant.

 

Retour en France, pour préparation du prochain voyage !

INDEX GEORGIE