PLAIDOYER POUR CASTRO

 

A chaque fois qu'on parle de Cuba, c'est pour y entendre les lieux convenus, tout juste dignes des dîners mondains, sans lesquels on passe pour un plouc ringard.

1- Castro est un tyran, qui bâillonne l'opposition

2- Le système économique n'est pas viable, d'ailleurs regardez ce que ça a donné avec les pays de l'Est

 

Les libertés individuelles, dont celle de critiquer le régime en place, donc. Il est vrai que Castro n'est pas spécialement un démocrate, qu'il ne l'a jamais été, et qu'il ne s'en est jamais caché. Tout cela en fait-il automatiquement un tyran ? On a bien un Président US, certes de la pire espèce, semi-illuminé d'une église semi-sectaire, qui s'appuie sur un système démocrate où tous peuvent s'exprimer (mais c'est quand même mieux quand on possède des chaînes de radios, journaux ou télés), pour aller faire la guerre où ça lui chante, en mentant de façon éhontée si besoin est (armes de destruction massive, la mauvaise blague du siècle) et en autorisant de très démocratiques tortures, continuer de laisser filer le gaspillage, la pollution et l'effet de serre en étant pratiquement le seul à refuser le pourtant modeste Protocole de Kyoto (on ne parlera même pas des OGM, en cours d'être imposés à la planète entière - mais chic, on a le droit de dire qu'on n'est pas d'accord. Nous voilà bien avancés), se faire le chantre des inégalités, tant dans son pays que les conséquences dans les autres, et j'en oublie. J'en viens juste à me demander si la liberté d'expression est le seul référent auquel se fier pour juger de la sincérité d'un gouvernant.

 

Certes, on préfèrerait un Fidel avec une main un peu moins leste, surtout que certains de ses détracteurs n'ont rien à voir avec les hystériques revanchards de Miami (dont les outrances font bien le jeu de Castro, car quelles que soient les difficultés, la majorité des Cubains craint avant tout le retour de ces crapules). Certes. Maintenant, il faut bien avoir en vue l'étonnante situation géopolitique de Cuba, sorte de pot de terre ayant résisté contre toute attente à l'immense pot de fer voisin. A guère plus de 150 km de Kay West, terminus routier de Floride, à moins d'une heure d'avion de Miami, le Cuba révolutionnaire, qui n'est devenu socialiste que par l'acharnement des USA à refuser d'admettre un système différent dans sa zone d'influence directe, leur est une véritable épine dans le pied.

 

Malgré le fait que Cuba risque désormais assez peu d'exporter sa révolution (le Venezuela ou la Bolivie n'ont pas nécessairement pris Cuba comme modèle), les USA s'acharnent à maintenir l'embargo et acculer 11 millions de gens à la misère, comme le gosse qui attrape une mouche et, non content de l'avoir immobilisée, entreprend de lui arracher les ailes, comme ça, par sadisme - et pour que plus personne n'ose, nulle part dans le monde, remettre en cause le système politique et économique dominant.

 

En gros, Castro (et les Cubains) n'ont que deux options : jeter l'éponge, et Cuba (et les Cubains) redeviendrait le grand bordel d'Amérique où la mafia avait ses habitudes, ou résister, pour maintenir quoi qu'on en pense bien des acquis sociaux, dont bien des pays pauvres devraient s'inspirer.

 

A la fin de l'URSS, Gorbatchev s'était bien essayé à une transition en douceur. Entre les sirènes des pays Occidentaux, qui ont fait croire à un peuple soviétique, encore un peu naïf, qu'on "allait les aider", des crapules populistes style Eltsine et des requins (tant à l'intérieur qu'à l'extérieur) ayant compris comment s'enrichir aisément, on a vu comment ça a vite dégénéré. Car notre système démocratique, certes le pire à l'exception de tous les autres, est surtout un système capitaliste qui ne fait pas de cadeaux à ceux qui ne sont pas en position de force. Repensez à vos parties de Monopoly...

 

Sans doute Castro devrait commencer à songer à laisser s'exprimer certaines divergences. Facile à dire, quand vous avez un adversaire acharné sur votre paillasson (tiens, la base US de Guantanamo, pour un peu j'allais l'oublier celle-là), vous avez un peu tendance à vous méfier. Surtout quand c'est le même qui vous avait installé autrefois un président fantoche, Batista (en toute liberté des opinions...des responsables US), et finalement avait fait de l'île le rendez-vous de la pègre et de la prostitution. Et l'Europe ne pipait mot. Après cela, qui ose donner des leçons de droits de l'homme (et de la femme...prostituée) à Castro ? Trop facile de jouer les Père-la-Vertu quand on a été si longtemps corrupteur.

 

D'un autre côté, Castro a sous les yeux l'exemple de la Chine, moins démocratique que jamais (mais là, on s'en soucie moins, alléchés que sont nos décideurs par les juteuses affaires à réaliser), qui n'a pas pris le même chemin que l'URSS : on change le système économique sans changer le système de décision ! Certes, ça en fait un système de moins en moins socialiste, social et égalitaire, mais pour l'instant ça marche. S'ils avaient écouté les "démocrates" Occidentaux, conseilleurs plutôt que payeurs, ils seraient devenus uniquement un pur ensemble de maquiladoras sans perspective de s'en sortir, un peu comme l'Indonésie ou les Philippines - tiens, un autre pays colonisé par les USA, où ils ont évincé un réformateur, puis qu'ils laissé au bon vouloir d'un tyran (Marcos), à peine écorné par nos chastes démocrates soucieux des libertés, quand les leurs de s'enrichir sur la pauvreté sont illimitées. Pas remarqué que ça ait bien profité aux Philippins, ni pendant, ni après Marcos, d'être respectueux de la démocratie...Idem pour l'Indonésie.

 

Donc, ne vaut-il pas mieux, pour Cuba, suivre une voie autonome, certes nécessairement différente de la Chine, mais avant tout à l'opposée de l'ex URSS ? Encore, pour les pays de l'Est, la proximité spatiale, culturelle, économique de la vieille Europe Occidentale, aux moeurs malgré tout moins rustres que les Yankees, nouveaux riches arrogants, a-t-elle légèrement amorti la chute. Mais un Cuba laissé aux revanchards ultra-libéraux US, vous n'y pensez pas : il y aurait tout simplement non-assistance à peuple en danger.  Et sans doute peut-on interpréter la rigidité, excessive à nos yeux, de Castro comme un pis-aller pour éviter...pis.

 

Enfin, qui sommes-nous, Occidentaux repus et bouffis de moralisme, pour juger ce qui doit être prioritaire ?  Certes, l'idéal, ce serait une société prospère économiquement SANS ECRASER LES AUTRES (voire vivre à leurs dépens, cf l'abyssale dette US, financée par l'Asie), respectueuse des libertés individuelles sans que ne puissent finalement ne s'exprimer que les puissants (et des mascarades d'élections "libres" entre blanc bonnet et le parti du centre de la droite du centre, aux campagnes cyniquement financées au vu de tous par...les puissants), prônant l'égalité, etc.,...Tout ça à la fois.

 

Pour nos sociétés qui peuvent désormais se targuer d'un certain confort, de bons systèmes sociaux et sanitaires (jusqu'à quand ?), il est normal que la liberté d'expression soit si importante. Pour des pays qui peinent à subvenir aux besoins élémentaires, et si l'alternative doit se poser (et hélas, elle se pose, les "démocraties" Occidentales, US en premier, refusant à d'autres peuples de se prononcer souverainement sur leurs affaires internes. Singulière conception de la démocratie), qu'y a t il de plus important entre l'alphabétisme, le droit des femmes, la couverture sanitaire, l'éradication des bidonvilles, et le droit d'expression individuelle ? J'ai envie de dire qu'on pense plus à s'exprimer quand on n'a plus faim, qu'on est bien soigné, bien éduqué et bien logé. Dans bien des pays, des pauvres ont (parfois...) le droit théorique de s'exprimer, mais je suis sûr qu'ils le troqueraient sans peine contre des droits bien concrets et matériels de vivre plus décemment.

 

L'Inde. Ah, l'Inde, plus grande démocratie au monde, au point qu'ils sont du reste capables de faire les mêmes c...ries des autres peuples démocrates (l'intermède honteuse du parti hindou). Et en plus, pas particulièrement pro-US. Pour autant, ce n'est pas une référence en matière de soins, d'alphabétisme et de logement. Qu'on ne me dise pas qu'ils sont plus pauvres que Cuba : cela n'empêche pas l'existence d'une classe moyenne de 50 millions d'âmes (4,5 fois la population cubaine totale), qui vit bien, aux standards locaux, bien nourris, bien éduqués, bien soignés. Au fond, si j'apprenais que quelques types bien décidés mettaient (provisoirement) fin à cette démocratie de carton-pâte, et instituaient un système plus égalitaire (le rêve de Nehru) et plus social, en terminaient avec ces bidonvilles, ces ventres gonflés, ces épidémies, cette ignorance de 60 à 80 % de la population, eh bien, malgré une certaine répugnance pour les "démocraticides" (plus souvent proches de positions d'extrême droite, tel Pinochet - tiens, un démocrate épaulé par les USA pour en finir alors avec la tyrannie d'un Allende...élu), j'applaudirais des deux mains...et resterai vigilant pour la suite. Un Staline pouvant suivre un Lénine...

 

J'ai envie de dire : que les USA stoppent l'embargo, décrété illégal à plusieurs reprises par la communauté internationale (sauf les USA...et leur inévitable compère en brigandage, Israël), et après, on pourra eng... Castro sur les droits de l'Homme. On n'a jamais vu ni un homme ni un peuple se livrer pieds et poings liés à celui qu'il peut estimer inamical et puissant, sans que ce dernier n'ait d'abord fait preuve de bonne volonté.

 

C'est injuste pour les opposants, dont certains sont des démocrates sincères, d'autres des socialistes qui ne sont simplement pas d'accord avec Castro. Qui a dit que la politique était juste ? Elle est l'expression, parfois diluée, de rapports de force brutaux, et certains n'ont pas toujours le choix des armes. Que peut-on croire : que Cuba menace les USA, ou bien que les USA, archi-militarisés, plus va-t-en guerre que jamais (et, suprême ironie, se permettant, à coups de tortures, de mener une autre guerre sur le sol même de Cuba !) menace cette île voisine ? La seule chose les retenant étant l'étonnant appui à Cuba de plusieurs pays latino-américains, dont les gouvernants sont rarement de fervents admirateurs de Castro, mais qui savent tout le danger qu'il aurait à mettre la main dans cet engrenage, qui autoriserait ensuite les USA à faire de même dans n'importe quel autre pays du continent, pour n'importe quel prétexte. Avis de spécialistes, et mise à plat de qui est objectivement plus dangereux pour les droits de l'homme, au sens large.

 

Pour ma part, pour la paix dans le Monde, pour même la survie de celui-ci, les USA et Bush me font très nettement plus peur que Castro. Alors j'aimerais qu'on fiche la paix (justement) à ce dernier, tant qu'on n'aura pas mis l'autre foldingue illuminé ex-alcoolo dans un asile de vieux fêlés avec Thatcher et Reagan, et de manière générale circonvenu cette arrogance toute US de vouloir gérer à leur guise leur Empire Planétaire, à la manière de pompiers pyromanes.

 

"La maison brûle", disait Chirac, dans un de ces éclairs de lucidité, sinon de sincérité, qui faisaient tout son charme. Si elle brûle, ce n'est sûrement pas avec la consommation de pétrole de Cuba, chichement troquée avec le Venezuela, contre ce qui est la principale richesse de l'île, hélas peu monnayable en bourse et à l'OMC : le niveau d'éducation exceptionnelle de la population cubaine. Bien des pays, du reste pas beaucoup plus respectueux des droits d'expression, mais bien en cour à Washington, voire à Bruxelles, feraient bien d'en prendre de la graine.

 

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