A PROPOS DE LA CHINE

Attention : explicit politic lyrics, keep away from children !

Je sais qu'il est de bon ton, disons très «tendance» pour reprendre une expression à la mode (ou déjà dépassée, je suis assez peu le journal télévisé) de critiquer la Chine, pour quelque motif que ce soit. Ça peut pas faire de mal, à notre système occidental dans lequel nous n'avons pas toujours confiance, d'avoir un repoussoir. L'ennemi mondial des libertés, le massacreur de monuments anciens, le pourchasseur de voyageurs individuels, le voilà c'est bien lui, celui que vous attendez tous pour jouer à vous faire peur, j'ai nommé le pouvoir chinois. Ouh le méchant qu'il est laid ! Et avec les images symboliques de Tien An Men qui restent fixées dans les esprits comme des morpions à...enfin passons, même si nos cerveaux sont le centre essentiel de nos pulsions. Et de nos émotions.

Car, pour la troisième fois que je me rends en Chine, je me demande si cette détestation du pouvoir chinois tient vraiment du rationnel. Non que je sois un contempteur sans borne pour ce système autoritaire qui a de plus tourné casaque, délaissant de plus en plus l'idéologie qui pouvait encore expliquer cet autoritarisme (tiens-donc, s'esclafferont certains «tendance»), pour coller de plus en plus à la mondialisation capitaliste en marche, non sans profit pour les nouveaux nantis de ce système. Mais enfin, je me contenterais de l’œil du touriste (relativement) pressé, qui vaut bien au moins celui du zappeur-canapé devant sa télé, jugeant le monde à travers les œillères de son petit écran, celui-ci serait-il plat coins carrés à cristaux liquides.

Les Chinois ont ainsi bétonné partout, créant des villes inhumaines en détruisant des quartiers historiques ? Fort bien ! Au cas ou certains ne l'auraient pas tout à fait réalisé, la Chine est un pays sous-développé, qui doit adapter ses infrastructures à une population urbaine augmentant à vitesse galopante. Aurait-on demandé à nos ancêtres les Francs de continuer à vivre dans les huttes des Gaulois, rien que pour nous faire plaisir pour que nous puissions admirer les constructions de l'époque ? Et qui s'émeut aujourd'hui de ce qu'on enlève les rails d'anciens tronçons de voie ferrée, pour y construire à la place de bêtes autoroutes, dont le trafic fait tourner le lait des vaches ? Alors que, dans cent ans de cela, nos descendants aimeront admirer ces vestiges d'une époque révolue : des chemins de fer locaux, même pas utilisables par les T.G.V., si si ma chère ça peut exister.

Donc, les villes chinoises. Planifiées, quadrillées par des élites froides - et corrompues, cela va de soi. Lorsque des grosses compagnies privées financent le président des États-Unis, cela ne s'appelle pas corruption, cela s'appelle cyni... pardon, vérité des prix. Les USA atteindront des sommets de tartufferie à l'envers le jour ou ils autoriseront les mafias à financer officiellement des candidats (ça doit se faire, mais en coulisses). Mais comparons une ville charmante, adorée des touristes, comme Kathmandu (Népal), et une ville chinoise. Faisons abstraction des monuments, et essayons de voir objectivement, pour la vie de tous les jours.

Ah certes, Kathmandu, c'est l'exubérance indienne, la débrouillardise, les prix pas chers, mais alors, quel merdier innommable ! Ruelles étroites, tas d'ordures pourrissant de ci de là, pollution du nez, des oreilles et des yeux, un combat de tous les jours pour les habitants pour se désengluer de cet urbanisme anarchique où tout le monde semble faire ce qu'il veut, où la loi du plus fort semble prédominer.

Maintenant, une ville chinoise, en tout le cas son centre (car c’est vrai que les faubourgs ne sont pas toujours reluisants) : larges avenues, très staliniennes certes, menant inévitablement à l'invariable statue de Mao, mais au moins, on peut circuler. Les feux rouges n'y sont pas par simple décoration, mais sont bien respectés, avec des agents de la circulation, qui sont toujours plus utiles à être payés à ça qu'à pointer au chômage. Pour les feux, ils ont même un truc génial, dont on devrait s'inspirer : à de nombreux carrefours principaux, les feux indiquent un décompte du temps restant avant qu'il ne passe au vert (idem pour le rouge).

Pays du vélo oblige, les voies cyclables le long des principales avenues sont quasiment toujours présentes...et très fréquentées. Certes, il y règne une légère pagaille parfois (des triporteurs en contre-sens, des piétons trouvant plus pratique d'y gambader, surtout que bien souvent les trottoirs sont en perpétuels travaux), mais globalement, c'est bien fichu. Le mieux qu'auraient du reste à faire ces autorités autoritaristes, ce serait d'arriver à convaincre leur population que le vélo c'est très bien, que les gens achètent des portables ou des lecteurs VCD plutôt que des voitures, car là viendront les problèmes. Mais dans l'ensemble, on a plutôt l'impression d'une relativement bonne anticipation des autorités en matière d'urbanisme, surtout compte tenu du niveau de développement, et d'un boom économique forcement difficile à gérer. Je dis bien : comparé à ce qui se produit dans des pays de même niveau.

Oui, nous détestons ce pouvoir chinois. Il ne nous permet pas de rêver à un pays servile, se contentant de respecter les libertés formelles en ne se donnant pas les moyens de les faire respecter. Son credo c'est : développons donc notre pays à marches forcées (et, bien sûr, pour ceux qui détiennent le pouvoir, en s'en mettant plein les poches, mais ça, y'a pas qu'en Chine), les libertés on verra plus tard. Après tout, il n'y a pas si longtemps, la situation était identique à Taiwan ou la Corée du Sud, et il ne se trouvait personne pour critiquer ces pouvoirs autoritaires.

Je me souviens d'un de mes profs en fac qui, pour résumer, nous affirmait que la démocratie était un luxe de pays riche, et qu’il n’avait pu se développer en Europe…qu’une fois un certain enrichissement général constaté. Il ne disait pas ça pour critiquer ce fameux plus mauvais système politique à l'exception de tous les autres, mais en simple constat, sans doute quelque peu désabusé, sur la valeur prétendument universelle de la démocratie. Si l'on veut bien oublier l'idyllique démocratie grecque, quelque peu limitée toutefois aux bons bourgeois de l'époque, a-t-on entendu beaucoup parler de démocratie avant le 19ème, voire le 20ème siècle ?

Je suis le premier à penser que, quelles que soient les civilisations, il existe un fond commun de droits des personnes, et de droits des cultures, minorités, etc...Mais quand on voit le triste exemple de nos pseudo-démocraties, où l'acte principal d'intervention du citoyen, les élections, est de plus transformé, sur le modèle nord-américain, en vaste propagande publicitaire et kermesse à celui qui lavera le plus blanc, comment aller réclamer à ces pays pauvres de se comporter comme nous, d'aller singer plus singes qu'eux ?

Oui, c'est vrai, l'Inde, pays désormais plus peuplé même que la Chine, encore plus pauvre et pas prêt de décoller économiquement, a la plus grande démocratie au monde. Et ce n'est pas parce qu'ils auraient un pouvoir autoritaire qu'ils iraient forcément se développer plus vite sur le plan économique. Mais chaque pays a sa trajectoire, son historique, sa culture. Il faudra bien qu'un jour la Chine devienne aussi une démocratie. Mais est-ce vraiment la priorité ? Le Pakistan, formellement, est un système démocratique. C'est pourtant de là que les Talibans ont pu conquérir l'Afghanistan, avec le résultat que l'on sait (je ne parle pas des tours de Manhattan, mais des souffrances du peuple afghan durant des années, sans commune mesure). Et c'est tout aussi démocratiquement que l'État d'Israël se permet de maintenir un territoire sous occupation, avec une politique qui ressemble a s'y méprendre a l'ex-apartheid sud-africain de la grande époque...

Bref, on ne peut se permettre d'être manichéisme : d'un côté, les bonnes démocraties, sur le modèle occidental, et de l'autre les méchants autoritaires. Certes, le régime chinois n'a pas fait que des choses positives, sans même remonter à cette absurdité de révolution culturelle, et bien sûr l'annexion brutale du Tibet. Disons que nos démocraties ouest-européennes, avec un passé tout récent de colonialisme où la torture était pratique courante (il y a à peine 50 ans encore, c'est tout frais !) sont un peu mal placées, et nous avec, de chanter à ces pays «soyez démocrates, pas d'autoritarisme, d'impérialisme, etc...» sur l'air de «faites ce qu'on vous dit, ne faites pas ce que nous faisions il y a peu». Surtout que l'impérialisme économique a bien souvent pris place du colonialisme politique...

Alors, la Chine deviendra sans doute une grande démocratie. Mais il est sûrement trop tôt. On passe rarement d'un système autoritaire à un système souple rapidement sans dégâts, il n'y a qu'a voir l’ex-URSS, ou bien l'ex-Yougoslavie qui était pourtant un système bien moins autoritaire avec Tito que ne l'est la Chine. Ce vaste pays, avec ses profondes différences économiques d'une région à l'autre, menace d'imploser, et tout comme pour la Yougoslavie, personne n'a trop à y gagner. A ce prix, le Tibet serait peut-être enfin libre, Beijing, Shanghai et Guangzhou étant alors trop occupées à se chamailler,...à moins que le Pakistan démocrate ne se mette a lorgner sur ce vaste territoire, parfait pour ses essais nucléaires...Sans parler de l'Inde, dont le Népal a peine à ne pas se faire avaler, politiquement et économiquement, par son grand voisin. La géopolitique est comme la Nature : elle a horreur du vide.

Si ce cataclysme (implosion de la Chine) devait se produire, j'ai, pour le Tibet, une solution de bon sens : que les États-Unis, véritable Empire du début du troisième millénaire, accordent au Tibet le statut de 51ème État de l'Union, pour saluer enfin la libération de ce peuple du joug han. D'ailleurs, je leur suggère déjà le 52ème État : la Palestine, une fois que les mêmes États-Unis auront cessé de soutenir Israël dans sa politique brutale de conquête territoriale. C'est pas le tout d'aller botter les fesses a Saddam Hussein, au besoin en affamant un peuple tout entier qui n'y est pas pour grand' chose, ou de jouer à cache-cache avec Oussama, qu'ils ont formé et armé pour leurs sales besognes anti-communistes de l'époque, mais après il faut assumer.

Mais l'essentiel, c'est que, contrairement à la Chine, les États-Unis sont une grande démocratie. Et à ce titre ont le droit d'engueuler tous ceux qui ne leur plaisent pas (pour tout motif : manque de démocratie, obstruction au jeu libre de la concurrence...), tout en maintenant leurs faveurs à leurs chouchous, ceux-là feraient-ils les pires conneries aux conséquences monumentales (Israël, Pakistan, l'Iran du Shah...). Et nous, citoyens occidentaux, de reprendre, répéter, presque inconsciemment, les mêmes rengaines (contre la Chine, Irak, Libye, etc...), à nous serinées par des journalistes serviles perroquant à tour de langue la bonne vision des choses, celle de l'Empire Occidental Etatunien dont nous ne sommes devenus finalement que des provinces vassales et lèche-bottes. Je n'en veux que pour preuve l'institution de la fête de Halloween, désormais fêtée joyeusement à travers tout l'Empire...

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